Affamés (les) Vol.1 : Critiques

Kûfuku na Bokura

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 25 Février 2022

Les zombies sont décidément à l'honneur aux éditions Akata en cette fin de mois de février ! Parallèlement à la sortie papier du one-shot Boys of the Dead sur lequel nous sommes déjà revenus, l'éditeur vient effectivement de lancer aussi un tout nouveau drame social et psychologique sur fond post-apocalyptique: Les Affamés. Derrière ce nom se cache Kûfukuna Bokura (littéralement "Nous sommes affamés"), toute première série de la carrière d'un mangaka nommé Kunitaro Tomoyasu. Lancée en 2019 au Japon sur le label numérique Darubana de l’éditeur Shogakukan, l'oeuvre compte actuellement 3 volumes.

Dans le monde des Affamés, voici bien longtemps que l'apocalypse zombie s'est abattue, tant et si bien qu'il ne semble désormais quasiment plus y avoir d'êtres humains vivants... ce qui pose donc un gros souci de crise alimentaire pour les morts-vivants ! Et si la très grande majorité des zombies se contente de déambuler sans avoir vraiment conscience du problème, le dénommé Wataru, lui, est différent: bien que lui aussi mort-vivant, il a gardé son intelligence et sa conscience, ce qui en fait un être vraiment à part. Et lui qui n'a jamais été gâté par la vie à l'époque où il était humain (sa famille était pauvre, il n'avait pas le droit de rêver, il était considéré comme bête, sa mère a fini par se donner la mort tant sa vie précaire était devenue insupportable...), il souhaite désormais prendre sa revanche sur la vie (même s'il n'est précisément plus envie), en imaginant un plan devant en faire le maître du monde: dénicher un home et une femme encore vivants pour les séquestrer, les pousser à se reproduire, et entamer ainsi un élevage d'humains à donner ensuite en pâture à ses congénères. L'homme, il l'a trouvé depuis déjà plusieurs mois en la personne d'un hikikomori ingrat et pervers, à qui il a fait part de son plan, et dont il exécute les ordres pour mieux le garder dans sa cabane. Quant à la femme, elle se fait attendre, Wataru n'en ayant toujours pas dénichée. Mais quand il en trouve enfin une, il risque fort de voir le doute s'immiscer dans ses projets: la survivante humaine s'avère être Tachibana, la fille qu'il a aimée autrefois et qui, dans sa triste vie humaine, fut son unique rayon de soleil.

Si Kunitaro Tomoyasu se réapproprie le sujet classique de l'apocalypse zombie, c'est donc avec une certaine originalité qu'il décide de l'aborder puisque, ici, le point de vue est en partie inversé: il n'est pas vraiment question de suivre des humains essayant de survivre, mais bien de suivre avant tout le parcours de Wataru, ce mort-vivant quelque peu particulier, ni vraiment humain, ni vraiment zombie. Et cette particularité, le mangaka cherche à en tirer parti pour croquer un récit qui, au fil de différents rebondissements, ne cesse de nous questionner, voire de nous prendre au dépourvu (en particulier, sur ce dernier point, dans les deux derniers chapitres du tome). Et si, en premier lieu, le pitch de base permet d'interroger avec un certain cynisme notre rapport à l'alimentation et la dépendance alimentaire, le récit va assez vite aller beaucoup plus loin que ça, en dressant des portraits de personnages particulièrement intéressants que, petit à petit, on va découvrir un peu mieux au fil de certains souvenirs/flashbacks, ne serait-ce que la vie humaine chaotique qu'avait Wataru de son vivant, ce que Tachibana pouvait représenter pour lui à cette époque, ou encore la vie de reclus peu sociable et pervers de l'hikikomori "recueilli" par Wataru. Ces différents éléments, peu à peu, nuancent les personnages, et offrent un portrait assez critique de notre société, mais Kunitaro Tomoyasu ne s'arrête pas là: ce qui frappe le plus est, peut-être, l'hypocrisie latente se cachant derrière chaque personnage, où chacun continue de chercher ses avantages en interprétant la situation à sa sauce, à l'image de Wataru lui-même bien sûr, mais aussi de l'hikikomori qui pense surtout à perdre son pucelage, ou de Yûki qui passe ses nerfs sur Wataru sans autre considération.

L'ambiance générale du récit oscille alors, en permanence, entre une part du cynisme, quelque chose d'assez chaotique voire malsain, et des éléments faisant beaucoup plus figure de tragédie humaine, pour un ensemble qui, couplé aux rebondissements parfois très inattendus, parvient souvent à déstabiliser. La lecture des Affamés cherche à bousculer son lectorat, et ça fonctionne d'autant mieux que le dessin, très réaliste dans ses décors et volontiers un peu plus "ingrat" ou caricatural dans ses personnages (certains designs oscillent entre du Kengo Hanazawa et du Minoru Furuya), contribue beaucoup à cette impression.

Au bout de ce premier gros volume d'environ 250 pages, Les Affamés pique à vif la curiosité, de par sa façon d'aborder son thème-phare, ses événements et son ambiance cherchant très souvent à bousculer, et les différents éléments de portrait critique qui en ressortent. Une lecture aussi curieuse qu'addictive, dont on attendra la suite avec beaucoup d'intérêt.

L'édition proposée par Akata s'avère de fort bonne facture. La jaquette de Haikel "Luchisco" B. attire bien l'oeil et s'offre un logo réussi, le papier allie souplesse et épaisseur tout en permettant une excellente impression, le lettrage de Tom "spAde" Bertrand est très propre, et la traduction de Vincent Marcantognini est d'une grande clarté.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs