Akihiko YAMASHITA - Actualité manga

Akihiko YAMASHITA 山下 明彦

Interview de l'auteur

Publiée le Mercredi, 31 Décembre 2014

Conférence



En septembre dernier à Namur, la première édition du festival Rétro Made in Asia accueillait deux jolis noms de l'animation japonaise : Akihiko Yamashita à qui l'on doit  une grande partie de la conception de Giant Robo et le chara design du Château Ambulant, d'Arrietty et des Contes de Terremer, et Miho Shimogasa, chara designer de plusieurs animes principalement connue pour son rôle sur l'anime-fleuve Sailor Moon.

En plus des séances des dédicaces et de nos interviews que vous pourrez découvrir très bientôt, les deux artistes donnèrent ensemble une conférence, dont nous vous proposons aujourd'hui un petit compte-rendu.

Celle-ci fut notamment l'occasion pour Mr Yamashita de revenir sur plusieurs aspects de son travail sur Giant Robo et chez Ghibli, non sans nous présenter sur grand écran de précieuses archives souvent inédites, mais qu'il n'était malheureusement pas possible de prendre en photo, du fait qu'il s'agissait souvent de croquis refusés ou inutilisés.



Tout en présentant diverses illustrations de Giant Robo, Mr Yamashita insista sur l'importance qu'il y accorde sur la façon d'utiliser la lumière, de mettre dans la lumière les personnages ou les visages du robot, de façon à les mettre en valeur dans un léger contraste par rapport au reste de l'illustration. Egalement, il s'applique généralement à bien faire ressortir l'aspect très imposant et puissant du robot, notamment par l'utilisation de la contre-plongée.



Il aborda ensuite la façon dont il a dû concevoir les personnages pour les films du studio Ghibli dont il a été le character designer.

En s'appuyant sur des roughs et des dessins du Château Ambulant, il expliqua avoir d'abord reçu de brefs roughs directement de Hayao Miyazaki, lui présentant à peu près la dégaine de chacun des personnages. C'est sur cette base assez libre qu'il a dû travailler chacun des designs.

Tandis que les différents essais diffusés sur l'écran permettaient de cerner petit à petit l'évolution du design des personnages, Mr Yamashita s'attarda particulièrement sur Sophie âgée, en expliquant avoir eu beaucoup de difficultés à lui offrir son physique. Trop maigre, trop petite, pas assez marquée au niveau du visage et notamment du nez... l'artiste eut du mal à se rapprocher de la vision de Mr Miyazaki, jusqu'à ce que le physique final se dessine petit à petit, au fil des nombreux essais ratés.

Le même type de difficultés se posa pour la Sorcière des Landes, dont le caractère devait immédiatement transparaître à travers le physique.

Concernant Hauru, l'enjeu principal était de faire ressortir la beauté un peu androgyne du personnage ainsi que son côté un peu narcissique.

Au bout du compte, l'artiste affirma que c'est avant tout à force de discussions avec le réalisateur et de sketchs non retenus qu'il parvint au résultat final.



De son côté, Miho Shimogasa souligna l'importance dans son travail de bien suivre les directives du réalisateur pour la conception des personnages, tout en veillant à ne pas trahir le design du créateur original pour les animes adaptant des œuvres déjà existantes.

Par exemple, pour Kaitô Joker, l'un de ses derniers travaux en date (en cours de diffusion sur Crunchyroll, ndlr), il lui a fallu respecter le design assez simple et enfantin des personnages, tout en adoucissant un pue le trait du manga original.



Pour finir, voici quelques questions de l'animateur et du public posées pendant la conférence :

Mr Yamashita, pendant votre carrière vous avez eu la chance d'occuper divers postes : animateur, directeur de l'animation, character designer... Quelles sont les grandes différences entre ces postes ?

A. Yamashita : Le chara designer est celui qui fait les personnages, ça c'est assez facile à comprendre (rires).
Le directeur de l'animation doit principalement suivre les animateurs, veiller sur leur travail, vérifier que tout se passe bien. Il lui arrive de corriger, voire de redessiner.
Les animateurs sont généralement plusieurs et doivent faire chacun les dessins qui seront animés.
Je pense que parmi ces postes, le plus difficile est celui de directeur de l'animation, car il faut généralement superviser de nombreuses personnes. Si tous les animateurs étaient bons il n'y aurait aucun problème, mais certains ne sont pas terribles, alors il faut les reprendre, leur donner des conseils pour les aider à s'améliorer...

M. Shimogasa : Je confirme la difficulté du poste de directrice de l'animation !


Le character designer est en charge de la conception des personnages. Est-ce que ça veut dire qu'une fois les personnages approuvés par le réalisateur son travail est fini ?

A. Yamashita : Ca dépend. Il y a des character designers qui sont sur beaucoup de travaux à la fois, et qui se contentent alors de faire ce qu'on leur demande sans trop s'impliquer dans les différents projets faute de temps. Mais dans d'autres cas, le character designer occupe également d'autres fonctions sur l'anime, dont directeur de l'animation, où il peut donc superviser les animateurs.


Passer d'animateur à chara designer c'est une sorte de promotion ?

A. Yamashita : On peut dire ça. Une fois qu'un animateur est suffisamment doué, il peut être amener à passer directeur de l'animation ou character designer.


A quoi ressemble pour vous une journée type de travail ?

M. Shimogasa : Je me lève, je prends mon petit-déjeuner, je dessine, je prends mon déjeuner, je dessine, je prends mon dîner, je dessine, je vais me coucher (rires).


Comment arrive-t-on sur un projet comme Sailor Moon en tant que directrice de l'animation ?

M. Shimogasa : En fait, c'est une connaissance qui m'a dit qu'il y avait un projet avec des jeunes filles en tenues de guerrières/magical girls. Elle m'a proposé d'y participer, et ça s'est fait comme ça (rires).
Elle m'a aussi vaguement parlé d'un garçon avec un masque qui doit les aider tout en restant mystérieux... J'avoue qu'au tout début, quand elle m'a proposé ça, je n'ai rien compris et me suis demandé si ça valait le coup (rires).

A


Le poste de directrice de l'animation étant dense, comment supportiez-vous la pression sur Sailor Moon ?

M. Shimogasa : La pression était bien présente, c'est sûr. Mais l'équipe était bonne et était là pour aider.
Aussi, pour décompresser, il m'est arrivé d'aller au karaoke et de chanter pendant 6 heures d'affilée (rires).


Dans les films du studio Ghibli où généralement on reconnaît tout de suite les personnages typiques du studio, il y en a un qui se différencie : Ponyo, qui n'a pas le même type de visage et connaît une transformation en poisson... Comment a été travaillée cette transformation ?

A. Yamashita : Pour Ponyo, Hayao Miyazaki avait une vision très précise du personnage. Personnellement, je n'ai pas été très impliqué sur ce personnage-là. Mr Miyazaki savait exactement ce qu'il voulait.


Vous avez réalisé un court-métrage au sein du studio Ghibli, et diffusé exclusivement au Musée Ghibli au Japon. Pour ceux qui n'auront jamais la chance de le voir, pouvez-vous nous en parler un peu ?

A. Yamashita : Chūzumō (A Sumo Wrestler's Tail) est un court-métrage de 13 minutes tiré d'un conte japonais assez connu, qui raconte l'histoire d'une souris attirée par le sumo.
Ce qui est bien avec ce genre de petits projets chez Ghibli, c'est que ça permet d'explorer des histoires un peu décalées comme celle-ci, que l'on ne peut pas forcément faire en long-métrage.



Une question que sûrement beaucoup de monde se pose : comment ça se passe, le travail avec Hayao Miyazaki ?

A. Yamashita : Avec toutes les récompenses qui l'ont distingué et ses succès critiques et publics, on se dit qu'il doit être impressionnant, mais quand on le côtoie tous les jours on se rend compte que c'est juste un vieillard (rires).
Je veux dire par là que quand on est à côté de lui, on oublie le prestigieux artiste qu'il est, tout comme on oublie les difficultés du travail. Car quand il parle et donne ses directives, tout paraît très clair, limpide, y compris pour les idées un peu plus dures à exprimer.
Par exemple, sur le Voyage de Chihiro, j'ai travaillé sur une scène où Chihiro tombe dans le ciel avec Haku. Normalement les vêtements et les cheveux flottent, mais pas quand les deux personnages se tiennent ensemble: Mr Miyazaki nous a fait comprendre très facilement que cela représentait le fait que leurs deux cœurs se trouvent, se comprennent, et que leurs sentiments sont en totale communion. C'était aussi pour faire ressortir la douceur de l'instant.



Remerciements à l'équipe de Rétro Made in Asia, à l'interprète Fabrice Renault, à Mme Shimogasa et à Mr Yamashita.

Mise en ligne le 17/12/2014.



Interview



Pour sa première édition, le festival Rétro Made in Asia accueillait à Namur un prestigieux invité en la personne d'Akihiko Yamashita. Souriant et disponible, celui qui se cache derrière une grande partie de la conception de Giant Robo et derrière le chara design du Château Ambulant, d'Arrietty et des Contes de Terremer accepta de répondre à nos questions, revenant ainsi sur différents pans de sa riche carrière. Compte-rendu.




Akihiko Yamashita, c'est un honneur de vous avoir en face de nous ! Nous avons cru comprendre que vous avez débuté votre carrière en freelance sur l'anime Urusei Yatsura / Lamu. Quel souvenir gardez-vous de cette première expérience ?

Akihiko Yamashita : J'ai effectivement fait mes premiers pas sur cette série en tant qu'animateur-clé, et cela m'a surtout initié aux genga (ndlr : dessins-clés que les animateurs-clés font pour les mouvements d'un personnage – par dessins-clés, on entend la pose de début et la pose de fin du personnage). Je savais déjà faire les dôga (ndlr : les poses intermédiaires intercalées entre les genga par les animateurs).

La série a bien commencé, avec Mamoru Oshii en tant que réalisateur pendant les premières années. Puis le réalisateur a changé en cours de route, et ça a chuté en qualité.

Le souvenir que j'en garde, c'est qu'à l'époque je n'étais pas encore très bon en dessin (rires). J'ai dû effectuer beaucoup de travaux pour m'améliorer. J'ai eu de la chance de pouvoir en faire autant.



On sait que l'anime dans lequel vous avez sans doute été le plus impliqué est Giant Robo, qui est devenu au fil du temps une oeuvre véritablement culte, et dont la conception s'est étalée sur de nombreuses années. Quels sont les souvenirs les plus marquants que vous gardez de cette expérience ?

Giant Robo est une oeuvre très importante pour moi, car j'ai pu y faire tout ce que je voulais : character designer, directeur de l'animation... J'ai même fait les storyboards de 3 ou 4 épisodes sur les 7. J'ai passé toute ma vingtaine d'années sur cette oeuvre, mais c'est ce genre d'anime que je voulais faire à l'époque.

Au tout début, avant même que le scénario soit complet, j'ai fait une sorte de prototype complet du storyboard, puis je l'ai montré au réalisateur en lui demandant ensuite de m'embaucher ! C'est quelque chose d'assez impensable, normalement, d'aller voir ainsi le réalisateur de façon si cavalière, mais ça a montré tout ma volonté de travailler sur le projet.

Encore aujourd'hui, je suis fier de ce que j'ai fait.


La réalisation des OAV s'étant étalée sur plusieurs années, dans quelle mesure avez-vous senti que votre façon de travailler évoluait au fil de ces années ?

Ca a duré 10 ans. Ca a duré longtemps parce que nous étions un petit studio avec peu d'argent. Nous réalisions un épisode de Giant Robo, puis nous n'avions plus d'argent. Nous devions alors faire autre chose pour accumuler à nouveau de l'argent et pouvoir faire un nouvel épisode, et ainsi de suite.

Cela dit, comme avec le réalisateur nous nous sommes toujours arrangés pour faire les storyboards avant, nous avons pu réaliser chaque épisode d'une manière propre et idéale, comme nous le voulions.



Vous êtes également très connu pour votre travail au sein du studio Ghibli. Comment en êtes-vous venu à travailler pour ce studio réputé assez sélectif ?

A l'origine, un producteur qui me connaissait n'arrêtait pas de m'appeler pour me demander de entrer chez Ghibli, et j'ai toujours refusé, car à cette époque je ne m'estimais pas assez bon pour travailler dans ce studio. J'ai été appelé pour travailler sur Princesse Mononoké, j'ai dit que ce n'était pas possible !

Puis aux alentours de mes 33 ans, j'ai travaillé sur un projet pendant lequel je me suis enfin dit que je devenais bon. C'est à cette période que le producteur que je connaissais m'a de nouveau appelé pour me parler du projet Le Voyage de Chihiro, et cette fois-ci j'ai bien voulu tenter le coup. Ce fut une expérience captivante et vraiment très bonne. Même Mr Hayao Miyazaki a apprécié mon travail, à tel point qu'il a insisté pour que je travaille sur son film suivant, Le Château Ambulant, en tant que character designer et directeur de l'animation. Ca m'a confirmé que j'étais devenu suffisamment bon.

Bref, tout ça, c'est parce que je connaissais quelqu'un qui m'a appelé au bon moment.


En plus du chara design du Château Ambulant, vous avez aussi fait celui d'Arrietty et des Contes de Terremer. Les personnages du studio ayant quasiment tous un physique tout de suite identifiable, estampillé Ghibli, n'était-il pas trop dur de se réapproprier cette patte graphique pour créer les designs ?

On parle souvent du style Ghibli pour désigner ces dessins particuliers, typiques du studio. Je voulais moi aussi faire quelque chose d'assez particulier et reconnaissable par tous.

Au départ, je ne savais pas si je pouvais arriver à faire ce genre de personnage, mais comme j'aime ce style j'ai vraiment cherché à bien me le réapproprier. Ca m'a demandé énormément d'efforts ! (rires)



En travaillant sur les Contes de Terremer et sur Arrietty, vous avez été amené à travailler avec d'autres réalisateurs du studio : Goro Miyazaki et Hiromasa Yonebayashi. On pose souvent des questions sur le travail avec Hayao Miyazaki, mais qu'en est-il de celui avec ces deux jeunes réalisateurs ?

C'est un peu difficile de répondre pour moi.

J’ai été grandement influencé par monsieur Miyazaki, ainsi que par sa façon de voir les choses.
Son point de vue, c’est de ne pas s’attarder sur le réalisme, mais de représenter ce qui laisse la plus forte impression lorsqu’on regarde avec ses yeux, et ça m’a beaucoup marqué.
Son influence a été si grande que je me demande vraiment si elle ne se ressent pas aussi quand je travaille avec d’autres réalisateurs.
Cependant, lorsqu’on me parle du travail que j’effectue avec d’autres réalisateurs, je pense qu’il est sûrement impoli de vouloir les comparer immédiatement avec monsieur Miyazaki.

Par exemple, Hiromasa Yonebayashi, le réalisateur du dernier film du studio Souvenirs de Marnie, a voulu faire un film que ne ferait pas Mr Miyazaki, et l'approche est donc très différente, car basée avant tout sur le ressenti de Mr Yonebayashi. Je l'ai aidé du mieux que j'ai pu pour réaliser sa vision.


Vos talents ne se limitent pas au milieu de l'animation : vous avez aussi réalisé des illustrations de livres et du chara design de jeu vidéo. Selon vous, quelles sont les grandes différences entre votre travail dans l'animation et votre expérience dans le domaine du jeu vidéo ?

J'ai trouvé ces expériences plutôt similaires car elles abordaient des thèmes assez proches, et ma démarche a donc été la même.

Par contre, actuellement je travaille sur un projet différent et plutôt nouveau pour moi. Je dois créer la mascotte d'une entreprise nouvellement créée. C'est un personnage qui a un but promotionnel, qui doit servir à vendre des choses, et qui sera donc utilisé par l'entreprise dans cette optique. On m'a demandé de créer différents personnages : un robot, un animal, un dragon... et il faut que je fasse énormément d'essais pour arriver à un résultat final qui plaise. La tâche est rendue délicate car c'est un personnage qui ne repose sur rien de déjà existant. Alors qu'en animation, on fait des personnages qui servent une histoire, ce qui est déjà plus concret pour leur offrir un design.

On m'a donné 6 mois pour créer cette mascotte, et là ça fait déjà 3 mois, donc il faut que je m'active un peu plus ! Toutefois, 6 mois, c'est long, c'est le genre de délai qu'on n'a jamais dans l'animation, donc finalement j'y suis allé plutôt mollo (rires).


Remerciements à Mr Akihiko Yamashita, à son interprète Fabrice Renault, et au staff de Rétro Made in Asia pour la mise en place de cette rencontre.
  
Mise en ligne le 31/12/2014.