LAMODIERE Fédoua - SHINDO - Actualité manga

LAMODIERE Fédoua - SHINDO

Interview de l'auteur

Publiée le Samedi, 21 Avril 2018

Si les traducteurs de manga sont peu mis en avant, l'édition de la première édition 2018 de Paris Manga a innové en comptant parmi ses invités Fédoua Lamodière, traductrice à qui l'on doit les textes français de nombreuses séries populaires. L'occasion pour nous de la rencontrer et d'en apprendre plus sur le métier ainsi que l'envers du décor de la traduction...


Bonjour Fédoua. Une question qui intéressera ceux qui aimeraient devenir traducteurs : Quel parcours as-tu suivi, et quelles écoles as-tu fréquentées ?



Fédoua Lamodière : Je ne sais pas si le dire sera utile mais à la base,  je n'avais pas prévu d'être traductrice de mangas. J'ai commencé des études de japonais en pensant pouvoir partir m'installer au Japon et dessiner des mangas. J'ai fait cinq années d'étude de japonais et, pendant ce temps, quelqu'un m'a proposé de faire de la traduction de manga. C'est comme ça que je suis entré dans le milieu. Je ne pourrais pas parler des cursus pour la traduction car je n'en ai jamais fait, mais je sais que ça existe.
Mes études se sont limitées à l'apprentissage du japonais à l'INALCO, après le lycée.



Quelle a été la première série que tu as traduite ? Quelles furent tes difficultés dessus ?

Fédoua Lamodière : Le premier manga que j'ai traduit était Pikachu Adventures, je remplaçais une autre traductrice. C'est un shôjo Pokémon sorti chez Glénat qui n'a pas eu de succès et qui a été stoppé au bout de 5 volumes. C'était vraiment facile car j'étais fan de Pokémon à l'époque, et la série ne posait pas de difficulté.
La première série longue qu'on m'a attribué était Rave de Hiro Mashima. C'était déjà beaucoup plus complexe car il y avait tout un univers à recréer, du vocabulaire spécifique à définir, et des mystères. C'est le pire, je pense, dans le manga, ces dialogues et textes vagues car ils représentent quelque chose de mystérieux. Le japonais est une langue naturellement vague et on est parfois obligé de trancher quand traduit en français, tout en restant évasif pour ne pas créer d'incohérences avec la suite de l'histoire.

Tu as traduit des œuvres aux styles vraiment différents. De l'aventure et du combat avec Dragon Ball, du contemplatif avec The Ancient Magus Bride, et même de l'historique avec Reine d’Égypte. Selon le titre, le travail doit être plus important. Peux-tu nous en parler ? As-tu des exemples d’œuvres qui nécessitent un travail de documentation approfondi ?

Fédoua Lamodière : Reine d’Égypte justement, on est vraiment dans le manga historique qui a nécessité de la documentation. En France, on a une connaissance de l’Égypte antique que les japonais n'ont pas forcément. On a donc une responsabilité supplémentaire par rapport à nos acquis. Ça a représenté beaucoup de recherches sur les dynasties, sur la manière de vivre à l'époque, ou encore les transcriptions des noms sur lesquelles les historiens sont en désaccords. Par exemple, Senmout est aussi appelé Sénènmout par certains. Dans ces cas, l'éditeur me propose de partir sur telle ou telle version. Plus il y a de recherches à faire en amont, plus on mettra de temps à traduire un volume.

La question de la richesse de l'univers se pose aussi. Dans The Ancient Magus Bride, il y a le concept de magie et des créatures spécifiques... Il faut faire des recherches pour rester cohérent car on ne peut changer le nom d'un personnage ou d'une créature d'un tome à l'autre, parce qu'on a oublié. Il faut tenir une bible précise du lexique car avec de tels univers, on peut se perdre.



Tu as aussi travaillé sur Dragon Ball. C'est un cas particulier car il a existé une première traduction, édulcorée et raccord avec la VF de l'anime diffusée sur le Club Dorothée. Est-ce que retraduire une telle œuvre a constitué un challenge ?


Fédoua Lamodière : Oui, c'était une responsabilité énorme et beaucoup de pression. Je n'ai récolté que ce que j'ai semé, car c'est moi qui ai insisté auprès de Glénat pour qu'il y ait une nouvelle traduction de Dragon Ball. La première avait déjà dix ans et, justement, elle contenait de la censure, des suppressions, des changements de noms de personnages... Ça constituait beaucoup de pression sans que je m'en rende compte car, à l'époque, je n'avais pas de retour du résultat. J'ai fait de mon mieux, sachant que c'est ma série préférée. Je l'ai portée à bout de bras. (rires)

C'était très intéressant car on avait parfois l'impression de redécouvrir l’œuvre.

Fédoua Lamodière : C'était exactement mon intention. Je voulais que le lecteur français puisse avoir les mêmes sensations que moi lorsque j'ai découvert le texte japonais.

La pression devait aussi être grande car l'univers d'Akira Toriyama est vaste, et Dragon Ball a un statut presque religieux pour certains...

Fédoua Lamodière : Oui, et cette nouvelle traduction était très importante pour moi. Mais comme c'est sorti de manière assez confidentielle, à travers des volumes publiés en coffrets et avec une impression désastreuse, cette édition ne s'est pas beaucoup vendue... A l'époque, j'avais l'impression que personne ne lisait cette version, ça me rendait un peu triste. J'ai vu que des gens réagissaient lorsqu'est sortie la version Perfect, qui possède une traduction que j'ai encore remaniée. Avoir des retours, bons comme mauvais, m'a fait plaisir. Je ne laisse rien au hasard avec Dragon Ball, chaque choix est réfléchi. Donc si je reçois des critiques, j'aurais de quoi argumenter. Il y a toujours une justification. (rires)

Avec Dragon Ball Super, il y a tout un parallèle entre le manga et l'anime qui sortent en même temps. Est-ce que tu es en relation avec les équipes de traduction de l'anime pour qu'une certaine cohérence soit gardée entre les deux supports ?

Fédoua Lamodière : Habituellement, chaque médium est complètement cloisonnée. Pour Dragon Ball Super, j'ai l'impression que la Toei souhaite qu'il y ait une homogénéité entre les deux versions. Certains choix de traduction m'ont donc été imposés. Par exemple, le personnage de Cabba. Ça se prononce "Kyabe" ou "Cabbe", mais c'est Cabba qu'on m'a demandé de choisir.



On te retrouve sur pas mal de séries "nostalgiques" comme Dragon Ball, Sailor Moon, Ranma... Est-ce que c'est ta spécialité ?


Fédoua Lamodière : Ça l'est devenu. (rires)
C'est vrai qu'on fait beaucoup appel à moi pour des re-traductions. Je sais à peu près pourquoi : les éditeurs savent que je suis fan de ces séries. Pour Ranma, je m'étais manifestée auprès de Glénat, ils savaient que ça me ferait plaisir. J'étais aussi sur la nouvelle version de Captain Tsubasa mais j'ai arrêté au bout de quatre volumes, j'étais vraiment mauvaise dessus. C'est pas facile de retraduire une œuvre car on souffre de la comparaison avec le premier texte. Pour moi, c'est surtout une opportunité de travailler sur des séries que j'adore, mais c'est à double tranchant.

As-tu une organisation de travail précise ? Par exemple, des jours consacrés à la documentation et d'autres à la traduction...

Fédoua Lamodière : Je traduis tous les jours et si documentation il y a, je le fais en direct, dès qu'il y a quelque chose à chercher, lorsque je suis sur mes pages.

Combien de temps passes-tu en moyenne sur la traduction d'un tome ? Cela doit évidemment dépendre de la quantité de texte dans un volume...

Fédoua Lamodière : Ça dépend si le manga un bavard, de la quantité de pages, si c'est un shônen ou un shôjo... Mais en général, je passe entre trois et quatre jours sur la traduction d'un tome.

On remarque que la traduction de manga est de plus en plus mise en lumière. Est-ce qu'il y avait une frustration des traducteurs d'être mis en retrait ?

Fédoua Lamodière : Je ne peux pas spécialement parler pour mes collègues car la traduction est un travail solitaire, et on se voit finalement assez peu. Le plus frustrant était de voir dans certains articles de presse "tel éditeur livre une bonne traduction". Sauf que ce n'est pas l'éditeur qui traduit, mais le traducteur... et les lecteurs ne pensent pas forcément à regarder l'achevé d'imprimer en fin de tome pour voir qui a traduit le texte.
Après, on n'a pas vraiment envie d'être mis sous les projecteurs. Personnellement, je suis contente d'être invitée à Paris Manga car ça ne s'est jamais vu et je suis heureuse que la profession commence à être reconnue. Mais nous ne sommes pas des personnalités publiques et si on est traducteur, c'est qu'on aime travailler seul chez soi. Mais le fait que le public prenne conscience que derrière une traduction il y a une personne précise est important, ainsi que dire que toutes les traductions d'un éditeur sont nulles n'a pas de sens. Bien-sûr, le contrôle qualité doit varier d'un éditeur à l'autre, mais boycotter un éditeur car il "traduit mal" c'est ne pas connaître la chaîne du manga en France.



Qu'entends-tu par contrôle qualité ? L'éditeur a un regard sur ton travail ?


Fédoua Lamodière : Oui. Parfois, le correcteur repasse sur la traduction, puis l'éditeur relit aussi. Chaque éditeur a une charte des choix qu'il accepte ou non, par exemple les registres de langage, les onomatopées... Il y a des listes, et il faut piocher dedans.
Selon l'éditeur, il y aura deux ou trois relectures croisées, comme il peut ne pas y en avoir. Ça peut aller jusqu'à une réécriture du texte traduit pour que toutes les traductions chez un éditeur soient homogènes.

Est-ce difficile de travailler sur une œuvre que tu apprécies peu, ou sur laquelle tu n'adhères pas à l'univers ?


Fédoua Lamodière : Oui, c'est vraiment très difficile. Comme je suis une tête de mule, j'ai tendance à travailler uniquement sur des titres qui me motivent. On ne sait jamais à l'avance car on peut être emballé par un titre quand on nous le propose, puis le trouver nul après quelques tomes. Ça m'est déjà arrivé, et on porte l’œuvre comme une croix, malheureusement. Mais vu que des gens aiment, je me donne toujours à fond, même sur ces séries. Il est toutefois arrivé que j'abandonne. Je parlais de Captain Tsubasa un peu plus tôt, une série en plus très populaire qui parle de football. Je suis nulle dans ce sport, je faisais même des erreurs sur les règles du jeu, c'était impardonnable... J'ai préféré laisser tomber en demandant à ce qu'un traducteur passionné de foot reprenne le boulot. Vu qu'on est en France, ce n'est pas ce qui devait manquer ! (rires)
Mais en règle générale, même si je n'aime pas, j'essaie de ne pas abandonner une série en cours de route. Professionnellement, ça ne se fait pas. Tant pis si je souffre un peu.

Il y a aussi la question des onomatopées que certains aiment traduire, d'autres non. Quelle est ta position sur ce sujet ?

Fédoua Lamodière : C'est un peu compliqué car je lis les onomatopées en japonais, et je les comprend directement. Je n'arrive pas vraiment à savoir si l'onomatopée sous-titrée sort le lecteur de l'action. J'aurais tendance à dire que ça fait partie du style graphique de l'auteur, ce n'est pas rajouté après. Dans mon cas, je préfère simplement sous-titrer. Mais je suis très admirative envers les graphistes qui parviennent à garder la cohérence et le style graphique en retouchant une onomatopée. Pour ma part, égoïstement, je préfère les garder en japonais.

Quelles sont les séries que tu as préféré traduire ?


Fédoua Lamodière : Dragon Ball, la base. (rires)
Seven Deadly Sins aussi, c'est mon chouchou absolu.



T'est-il arrivé de traduire autre chose que du manga ? Quelles sont les principales différences entre les supports ?

Fédoua Lamodière :
Je n'ai pas traduit de roman, mais des light-novel adaptés de mangas, oui. J'ai fait les romans Fairy Tail, l'un des romans L'Attaque des Titans... C'est une expérience très différente car il y a beaucoup de passages descriptifs, là où le manga propose purement du dialogue.
J'ai aussi fait pas mal d'albums jeunesse pour nobi nobi. C'est aussi différent car c'est essentiellement des phrases très simples, surtout en japonais où le texte est plat. Le challenge est de rendre ce texte vivant et intéressant pour les petits. Faire des rimes,trouver des petits gimmicks... c'est intéressants. Ce sont souvent des ouvrages très courts qui recensent peu de texte, mais ça nécessite pas mal de recherches sur le rythme et sur le style, histoire d'avoir quelque chose d'artistiquement plaisant au final.


Interview réalisée par Takato et Zebuline. Remerciements à Fédoua Lamodière pour sa disponibilité.

Mise en ligne le 21/03/2018.