
Manga Rencontre avec les auteur de la bande dessinée Goldorak chez Kana
Depuis sa sortie dans nos librairies en octobre 2021, publiée aux éditions Kana, le bande dessinée Goldorak par Xavier Dorison, Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo ne cesse de faire parler d'elle. Les auteurs ont fait la tournée de la francophonie, tandis que le projet a eu droit à son exposition dédiée.
Plus grand événement dédié à la bande dessinée du pays, le Festival International de la BD d'Angoulême ne pouvait ne pas accueillir les artistes. Au cours d'un long entretien qui a pris la forme d'une discussion enjouée et passionnée, les cinq auteurs sont revenus sur le projet, les axes de réflexion, l'accueil du lectorat, et tout ce que Goldorak peut représenter pour eux.





De gauche à droite, de haut en bas : Xavier Dorison, Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo.
La bande dessinée Goldorak est maintenant sortie il y a plus d'un an. Avec du recul, quel bilan tirez-vous de cette création ?
Brice Cossu : Un bilan extrêmement positif. Quand on s'attaque à un monument tel que Goldorak, on a beau être le plus honnête possible, on se questionne toujours sur l'accueil du public. On savait qu'on allait toucher des gens, mais je ne pensais pas qu'on en toucherait autant. Pour ma part, j'ai commencé à comprendre l'ampleur du phénomène quand on a dévoilé le projet. Quand la BD est sortie, on a compris qu'on avait touché au doudou de beaucoup de monde. C'était un résultat assez fort, qui nous a fait voir de belles choses. On est tous auteurs de BD depuis un certain temps, mais cette fois nous avons assisté à des réactions très touchantes. C'est là qu'on sent qu'on touche à quelque chose de plus gros qu'une simple bande dessinée. En tant que fans de Goldorak, nous avons touché les fans de Goldorak.
Denis Bajram : On a jamais vu autant de bonheur en face de nous. Nous avons mis beaucoup de passion dans ce projet et même si nous étions d'accord entre nous, je craignais que nous soyons en total hors sujet. Nous avons fait du Goldorak dans notre petit coin, alors j'avais peur que notre histoire ne corresponde pas à la vision des autres fans de la série. Mais ce fut l'inverse : Nous n'avons eu que des retours positifs, deux-trois troll mis à part ! Et quand même bien des lecteurs avaient leurs réserves sur certains éléments, ils restaient enthousiastes. Pour beaucoup, la BD est même la continuité légitime de Goldorak.
Brice Cossu : « Magique » est le bon mot. Au départ, Denis avait déclaré que l'objectif est de retranscrire la magie de Goldorak en bande dessinée. Ce que nous disent les gens, et ce qui nous fait plaisir, c'est qu'ils ont ressenti cette magie à la lecture et l'album, et ont retrouvé les émotions qu'ils ont ressenties quand ils étaient petits. Rien que ça, c'est une énorme récompense. Avec la situation qu'on connait, entre le Covid et la guerre en Ukraine, faire du bien aux lecteurs est quelque chose de satisfaisant.

La bande dessinée présente un ton plus dur que celui de la série télévisée d'origine, plutôt bon enfant en général. C'est une suite qui tient compte des spectateurs d'époque qui ont grandi, et qui propose un récit adéquat aux adultes qu'ils sont devenus. Quel est votre avis sur le sujet ? Et est-ce que cette direction s'est imposée naturellement à la naissance du projet ?
Denis Bajram : A l'époque, quand on a tous découvert Goldorak, on a justement aimé le fait qu'on ne nous parle pas comme des enfants. C'est un programme qui s'adresse naturellement aux enfants, mais qui propose des choses sombres et très matures. Ce n'est pas traité dans le pathos, mais Goldorak conte des récits d'une grande cruauté humaine, que ce soit des méchants qui réalisent qui sont du mauvais côté de la barrière, des pertes, un sentiment de fin du monde du côté d'Actarus... Je pense que c'est ce qui nous a marqués, car ça n'avait rien à voir avec les récits enfantins qu'on nous proposait habituellement. Dans la bande dessinée, nous avons eu l'impression de suivre cette voie-là.
Yoann Guillo : Je ne trouve pas que le dessin animé soit bon enfant. Mais entre le début et la fin de la série, il y a une évolution. Les premiers épisodes sont très manichéens, sans être enfantins. Par exemple, dans une scène de l'épisode 2, un Golgoth attaque une ville. On y voit une fille avec son chien avant de se faire vaporiser. On ne la voit même pas blessée, il n'y a juste plus rien. C'est encore plus violent que de montrer un personnage blessé.
Comme on le disait, la première partie de l'histoire est manichéenne. Mais plein de choses vont se greffer à ces bases : Des questions sur l'écologie, la place de la femme avec le personnage de Vénusia qui est meilleur que les mecs, le fait que les héros soient passés à côté de la paix, car Actarus devait épouser la fille de son pire ennemi...
Brice Cossu : C'est un de mes épisodes préférés, car Actarus y a presque le rôle du méchant.
Yoann Guillo : Dans la série, on trouve même des méchants qui se tirent dans les pattes, entre eux, à des fins politiques. Et on donne ça à des enfants. Quand on trouve tous ces éléments dans une œuvre, c'est naturel de les reprendre dans un projet lié. On nous fait souvent cette remarque, c'est pour ça que j'aime apporter des précisions. Mine de rien, Goldorak est une série plus complexe que dans le souvenir qu'on peut en avoir.
Brice Cossu : Les thématiques présentes dans l'album sont déjà incluses dans la série. Le seul point sur lequel Xavier voulait aller a contrario est le suivant : Les histoires de l'anime sont résolues par la violence. Dans la BD, c'était l'inverse, et je vais laisser Xavier développer.
Xavier Dorison : Oui, grosso modo, la plupart des problèmes auxquels est confronté Actarus sont résolus à coup de fulguropoing. Avec les années, on a été comme le héros, pris dans une contradiction. On était fasciné par ces grandes destructions de buildings au cours des batailles, et en même temps une prise de conscience, le fait que jeter de l'huile sur le feu éteint rarement un incendie. Cet aspect conflictuel était génial pour développer une histoire, si bien que c'est ce qu'on a mis dans cette intrigue. Ça a été notre façon de vieillir avec la série.
Nous avons bien épuisé le sujet, et sommes allés au bout de nos idées. Par exemple, l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas envie de dessiner un deuxième tome, c'est par rapport à ce qu'on pourrait raconter. Je pense que dans cette bande dessinée, il y a deux motivations. D'abord, l'absence, l'envie de retrouver Goldorak et le côté madeleine de Proust. Nous étions tous dans cet état d'esprit. Puis, il y avait l'histoire qu'on voulait raconter. Nous avons trouvé un thème, que nous avons traité et qui est mis en forme dans la dramaturgie. Je ne vois pas quelle nouvelle évolution pourrait avoir Actarus.
Denis Bajram : Nous sommes nombreux à être restés sur notre faim dans le dernier épisode de la série animée. Nous avons voulu faire « notre » dernier épisode, donc ça serait bizarre d'en refaire un. (rires)
Xavier Dorison : Certains médias nous ont suggéré de dessiner l'avant. Mais personnellement, je ne vois pas l'intérêt. On perdrait tout ce contraste qu'il y a entre Goldorak et la réalité, celle des buildings. Si on place le robot dans une ville du futur, on perd ce contraste, et on perd l'intérêt.
Brice Cossu : La fin de Goldorak a été un déchirement, car Actarus repart avec Phénicia, en laissant ses amis sur Terre, en larmes. Et nous aussi, nous étions déchirés. (rires)
Ce que j'aime, c'est que notre fin a évolué pour devenir un « ils vécurent heureux ». Dans un conte de fées, le déroulé de leur vie est indiqué, il n'y a pas besoin d'en savoir plus. C'est la conclusion qu'on voulait donner. Si dans plusieurs années un autre auteur veut donner une suite, pourquoi pas.
Denis Bajram : Personnellement, je serai contre.
Xavier Dorison : Non non, je pense que c'est fini. Mais bonne nouvelle : Ce n'est pas nous qui décidons. Pour le côté prequel, ce sera peut-être du côté du jeu vidéo. Mais il faudrait interroger Microids, car on ne sait rien à ce sujet.

Certaines idées ont peut-être pu surprendre le lecteur. Par exemple, on retrouve un Actarus qui n'est plus que l'ombre de lui-même, ou encore le passé de Rigel qui était plutôt un comic-relief dans l'anime. Est-ce que ce type de choix a facilement été validé par les ayants droit japonais ?
Brice Cossu : De base, Actarus est déjà un personnage torturé. J'ai le même souvenir que vous concernant Riguel, mais apparemment...
Yoann Guillo : Rigel était double facette. C'est une sorte de sage bizarre, un clown voire un psychopathe qui se balade avec son flingue. Mais quand les événements s'aggravent, il regagne en sérieux, là où Alcor s'en fout complètement, et tout le temps.
Et pour en revenir à la question (rires), il n'y a eu aucune retouche du côté du Japon. Il fallait qu'on instaure un climat de confiance, sachant que Goldorak a un certain passif en ce qui concerne le piratage. Avec Kana, tout a été hyper transparent. Le Japon l'exigeait, mais on a essayé d'aller encore au-delà. Les ayants droit ont validé les storyboard, l'encrage, les planches couleur, les PLV, les expositions... Nous avons eu une seule demande de retouche, celle d'une image issue de l'animée qui était présente dans le storyboard mais qui était vouée à être supprimée. Pour des questions juridiques, on nous a demandé de l'enlever, sachant qu'elle n'aurait jamais été incluse dans le résultat final. À part ça, zéro correction, ce qui est un peu flippant, car on s'est demandé s'il avait aimé, s'ils s'en fichent...
En tout cas, il y a visiblement beaucoup à dire du côté de Rigel !
Denis Bajram : Oui. Rigel a aussi ce design de démon japonais, une petite entité domestique de l'histoire.
Yoann Guillo : Quand il y a de grosses menaces, il devient le personnage le plus réaliste dans sa manière d'appréhender les situations.
Alexis Sentenac : On a fait quelques recherches après coup et c'est vrai que certains masques du folklore japonais rappellent le visage de Rigel.
Xavier Dorison : En pure théorie, l'archétype du fou que représente Riguel est aussi l'archétype du sage, c'est le paradoxe. Le « fou » qui arrive à profiter du moment est le vrai sage, à l'instar de Tortue Géniale dans Dragon Ball. Au-delà des idées, du vrai et du faux.
Brice Cossu : Au Japon, il y a aussi le fait d'excuser beaucoup de choses aux personnes âgées. Je me demande s'il n'y a pas un peu de ça dans le côté foufou et extravagant de Rigel.
Denis Bajram : Sachant que personne n'ose lui dire quoi que ce soit dans la série animée, ce qui est très drôle. C'est un peu le penchant fou de Procyon.
Brice Cossu : Sachant que Procyon n'est pas encore fou. Il est plus jeune, et représente l'archétype avant le fou.
Alexis Sentenac : Au final, les quatre personnages que sont Alcor, Actarus, Procyon et Rigel représentent les quatre étapes d'une vie.
Xavier Dorison : Si vous voulez une analyse archétypale, Actarus est orphelin et guerrier. Orphelin, car c'est un personnage qui n'arrive pas à se détacher de sa souffrance. Dans l'album, il n'arrive pas à la dominer, ce qui sera un sujet majeur. Sa sœur est une vagabonde, un peu en dehors. Viennent ensuite Procyon le sage, et Rigel le fou. Alcor a un petit côté innocent.

Une question d'ordre graphique : La BD passe par beaucoup d'ambiances, de l'euphorie au pessimisme en passant par la mélancolie. Ces tons sont traduits par différentes notes de couleur. Par exemple, les retrouvailles entre Actarus et son père adoptif sont baignées dans un bleu très doux, tandis que le passé de Rigel est en noir et blanc, à la manière d'un film historique. Ces intentions visuelles proviennent-elles d'une concertation entre vous, ou sont-elles plutôt instinctives ?
Brice Cossu : C'est de la science de bande dessinée. La couleur a un autre rôle que de dépeindre de manière crédible la couleur du ciel ou de la peau des personnages. En plus du dessin par la couleur, il faut retranscrire les émotions. Pour évoquer la scène entre Procyon et Actarus, on aurait pu la dépeindre en rouge, mais elle n'aurait pas eu le même impact.
Denis Bajram : On n’a donné presque aucune consigne colorée à Yohann. Il a eu toute notre confiance, car là où il se démarque, c'est bien dans sa manière de raconter une histoire et mettre en avant des sentiments par la couleur.
Yoann Guillo : Comme on l'a dit, c'est de la science de bande dessinée. En BD, il faut que le message soit le plus limpide possible. Quand on change de scène, il faut que le lecteur comprenne la transition. Quand des personnages discutent et changent de pièce, il faut que l’on comprenne ce déplacement de la même manière qu'au cinéma. Ici, c'est pareil. Chaque ambiance doit avoir sa personnalité afin que le lecteur puisse voyager.
Quelque chose que j'aime beaucoup dans le manga et l'animation, c'est ce type de relief émotionnel. Les artistes parviennent parfois à passer du comique au grave en un rien de temps. On trouve parfois même ces deux tons contradictoires dans une même séquence. Je me souviens récemment de Demon Slayer : En plein milieu d'un moment tragique, on a le droit à un gag ! Mais comment faire ça ? C'est du génie. De notre côté, on essaie nous aussi de jouer sur les émotions et de faire voyager les lecteurs. On doit veiller aux particularités des scènes, si certaines demandent plus d'intention au regard, si d'autres permettent de respirer un coup...
Au début de l'album, il y a beaucoup de couleurs vives. Puis, petit à petit, on assombrit et on désature certaines choses pour donner graduellement de la noirceur tout le long des 130 pages. Ça a été murement réfléchi, par seulement par moi, mais aussi avec mes camarades. Il y a d'abord de la microgestion de petites scènes, puis une réflexion plus globale afin de savoir comment l'ensemble évolue. Ça paraît incroyablement compliqué comme ça... et ça l'est. (rires)

Parmi certains retours, on trouvait des parallèles entre la bande dessinée et le divertissement hollywoodien, mais c'est quelque chose dont la BD semble avoir conscience, notamment Alcor qui rit de ça...
Yoann Guillo : Ce n'est pas vraiment Alcor qui fait la remarque, mais Xavier à travers le personnage d'Alcor.
Xavier Dorison : Lorsqu'on tombe dans un gros cliché, l'une des solutions pour l'éviter, c'est l'avouer. (rires)
Peut-on y voir un moyen de rire de certaines de ces ficelles dans la fiction ?
Xavier Dorison : Non, il n'y a pas de dérision, sauf à un moment quand on inclut le disque de Noam qui est un non-sens. Nous n'avons jamais cherché à faire du second degré. Seulement, les personnages ont évolué et grandi, et ils ont la lucidité de remarquer lorsqu'ils font face à des situations manichéennes. Au contraire, on veut que les lecteurs soient impliqués, et ne pas qu'ils minimisent la BD.

Pour finir, si vous aviez l'occasion de travailler sur une autre licence de votre licence de votre enfance en bande dessinée, laquelle choisiriez-vous ? Et pourquoi ?
Brice Cossu : S'il s'agit de choisir une saga qui nous rassemblerait tous les cinq, Goldorak sera la seule. Si je dis que je veux travailler sur Dragon Ball, ça ne parlera pas à Xavier. Goldorak est la seule œuvre qui nous aura tous marqués au fil des époques.
Xavier Dorison : C'est à l'image du caractère fédérateur du personnage. Historiquement, c'est le seul héros de la télévision française à avoir faire autant d'audimat.
Brice Cossu : Et individuellement... Il y en aurait énormément, mais si je devais en choisir une ça serait Astro-Boy.
Alexis Sentenac : De mon côté, beaucoup de choses m'amuseraient, mais je pencherais sur Cobra et Ulysse 31. Cobra, car on rentre vraiment dans la science-fiction avec du bagou. Et Ulysse 31, car ça reste une des séries les plus épiques que j'ai vues.
Yoann Guillo : Ulysse 31, c'est vrai que ça serait super... Mais honnêtement je ne sais pas. (rires).
Xavier Dorison : J'ai eu la chance de travailler sur plein de licences que j'adore, dont XIII et Thorgal. J'ai l'impression d'avoir un peu donné sur les séries qui me tiennent à cœur. Un projet qui m'amuserait, mais je ne suis pas sûr d'accepter si on me le proposait demain, ce serait sur le Docteur Fatalis des 4 Fantastiques, ou Doctor Doom en anglais. Mais je pense qu'il faut faire des projets originaux. « It's time to create news characters ! »
Remerciements à Xavier Dorison, Denis Bajram, Brice Cossu, Yoann Guillo et Alexis Sentenac pour leurs réponse, leur disponibilité et leur sympathique. Nous remercions aussi Stéphanie Nunez des éditions Kana pour l'organisation de la rencontre.