Rencontre avec Kenny Ruiz autour de Team Phoenix- Actus manga
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Manga Rencontre avec Kenny Ruiz autour de Team Phoenix

Dimanche, 03 Juillet 2022 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

L'édition 2022 du Festival International de la Bande-Dessinée d'Angoulême a rayonné par la présence de nombreux auteurs occidentaux. Ainsi, les éditions Vega-Dupuis accueillaient à leurs côtés Kenny Ruiz, artiste à l'œuvre variée que les lecteurs de manga ont pu connaître avec l'ambitieux projet Team Phoenix, regroupant moult personnages phares d'Osamu Tezuka au sein d'une même histoire.

Kenny Ruiz nous a fait l'honneur d'une interview au cours de laquelle il revient aussi bien sur son parcours que sur la création de son manga, publié en France comme au Japon. A l'occasion de la parution imminente du deuxième tome de Team Phoenix, nous vous proposons le compte-rendu de notre rencontre.



Dans un premier temps, pouvez-vous nous parler de votre parcours d'artiste ? Comment vous est venu le goût du manga et du dessin ?

Kenny Ruiz : En Espagne, les librairies regroupent la bande-dessinée, le comics et le manga dans un même rayon, sans distinction. Alors, quand j'étais enfant, j'étais habitué à lire tous ces formats en même temps. Il y avait cette connexion. Puis, j'ai commencé à dessiner mes propres bandes-dessinées, sans penser au médium ou au format. Je ne comprenais pas cette nuance, je faisais juste mes propres dessins. C'est plus tard, c'est en devenant professionnel que j'ai vraiment découvert les différences entre les formats. Toute ma vie, j'ai cherché à connecter les supports et faire mes propres œuvres. Pour moi, ce mélange est la meilleure forme d'évolution. C'est ce que j'ai essayé de faire.

Mon premier récit était une BD appelée Deux Epées (Dos Espadas en espagnol), dont j'ai publié le premier album en France aux éditions Soleil. Mais ce format bande-dessinée n'a pas vraiment fonctionné. Alors, je suis revenu en Espagne pour adapter ce projet au format manga. J'ai voulu faire une série de type shônen autour de l'escrime en guise de métaphore. Ca a bien marché, et j'ai adoré travailler sur un tel projet. Ca ne me rapportait pas beaucoup financièrement, mais j'aimais travailler avec une telle liberté. Je suis allé au bout de cette série, et ai établi un plan pour revenir avec un style manga, en quelque sorte. Entre temps, je devais dessiner de la BD et essayer d'autres types de projets. Mais durant tout ce temps, je voulais vraiment lancer un nouveau manga.


Pouvez-vous revenir sur votre rencontre avec les œuvres d'Osamu Tezuka ?

Kenny Ruiz : Ce fut par le biais des séries animées, car nous n'avions pas eu droit aux mangas originaux d'Osamu Tezuka, à l'époque. Je l'ai découvert avec Unico, Princesse Saphir et Le Roi Leo. J'adorais ces anime, mais je ne savais pas qu'ils adaptaient les œuvres d'un même auteur. C'est lorsque j'ai commencé à étudier le dessin à Barcelone que j'ai découvert qu'un seul artiste avait créé tous ces personnages, un homme qui avait aussi imaginé Astoboy. Je devais toute mon enfance à un seul et même auteur. Cette découverte m'a chamboulé. Depuis, je suis amoureux de son œuvre, de son potentiel, de son habilité à transformer son style. A partir de là, j'ai essayé de lire tous ses mangas.

 


Team Phoenix est une sorte d'Avengers, mais réunissant les personnages de Tezuka. Pouvez-vous nous parler de la naissance du projet ?

Kenny Ruiz : C'est exactement ça ! Je suis venu à Angoulême en 2018, c'était l'année de l'exposition dédiée à Osamu Tezuka. A l'époque, je travaillais avec l'éditeur de ses oeuvres, autour d'une histoire courte publiée dans les magazines anthologiques Tezucomi. Mon récit s'appelait Boku no Son Goku. J'avais rendez-vous avec cet éditeur et Frédéric Toutlemonde, qui est la clé de tout le projet. Frédéric m'a présenté à ces éditeurs,, cinq personnes japonaises qui parlaient en japonais avec Frédéric. Je ne comprenais rien du tout, à part quelques mots comme "Avengers" ou "Tezuka", mais rien d'autre. Une fois la discussion terminée, l'éditeur en chef s'est adressé à moi pour me demander "Es-tu prêt à dessiner les Avengers d'Osamu Tezuka ?". J'étais choqué. J'étais simplement venu boire un café avec les éditeurs, et Frédéric avait préparé cette mise en scène pour m'avoir ! Il en avait déjà parlé en amont avec l'ayant-droits mais ne m'avait rien dit jusqu'à cet instant, d'où ma réaction lorsque la proposition m'a été faite.

J'ai évidemment dit oui. Mais je n'imaginais pas la difficulté de l'exercice car dans les univers de Tezuka, il y a des samouraïs, des robots ou encore des chevaliers. C'est beaucoup plus compliqué à connecter que les Avengers qui, de base, existent dans le même monde. Après avoir fini ma bière, j'ai proposé la chose suivante : On ne peut probablement pas créer les Avengers d'Osamu Tezuka, mais nous pouvons faire le Star Wars de Tezuka. Nous pouvons créer un monde avec tous les personnages de ses univers où, comme dans la saga de Georges Lucas, chaque planète aurait sa propre culture. Nous pouvons créer une planète pour Leo, une planète pour Blackjack.... J'ai expliqué cette vision totalement improvisée, une idée que l'éditeur a trouvé très bonne. J'ai suggéré un Hyakkimaru sous forme de cyborg, ce que l'éditeur a trouvé très cool. Nous avons bu une autre bière et, deux heures après, je prenais mon train pour rentrer en Espagne. Durant le voyage, j'ai dessiné mes premières ébauches celles que j'allais présenter à Tezuka Productions et à Macoto Tezuka.


Avez vous reçu beaucoup de consignes de la part des ayant-droits japonais ? Notamment dans la sélection des personnages utilisés ?

Kenny Ruiz : Avec Frédéric Toutlemonde, mon éditeur, nous étions en brainstorming permanent. Nous réfléchissions à ce que nous pouvions faire et ce que nous devions faire, sachant que nous étions libres de suggérer toutes nos idées à Tezuka Productions. Si je voulais inclure Futureman Chaos ou Leo, c'était possible. Je pouvais utiliser tout l'univers de Tezuka. Nous avions sous la main tous ses fabuleux ouvrages et nous les utilisions constamment pour proposer d'adapter tel ou tel personnage. A chaque fois, nous envoyions nos suggestions à Tezuka Productions qui nous faisait leur retour. Je crois que la seule limite qui nous a été fixée concerne l'œuvre Phénix - L'oiseau de feu qui est, pour Macoto Tezuka, la plus importante de son père. Il ne voulait pas qu'on y touche. C'est un peu triste car j'adore ce récit, et j'aurais voulu utiliser la figure du phénix. Mais nous étions libres pour le reste, même si Tezuka Productions donnait des consignes. On ne nous interdisait rien, mais on nous demandait d'ête vigilents sur l'utilisation de certains personnages.



Il existe deux versions de Team Phenix : L'une en noir et blanc, et la seconde en couleur. Travaillez-vous seul sur ces deux moutures ?

Kenny Ruiz : Non, je travaille avec Noiry qui fut ma partenaire sur les bandes-dessinées Télémaque et Magic 7.C'est la meilleure illustratrice du monde entier, et la meilleure coloriste de l'univers !

Quand j'ai commencé à travailler sur Team Phoenix, je ne savais rien d'une version couleur. Je dessinais simplement en noir et blanc. J'ai aussi un partenaire espagnol spécialisé dans les trames, Ruben. C'est ensemble que nous aboutissons à la version finale en noir et blanc. Puis, c'est Vega-Dupuis qui nous a proposé une version colorisée, exclusivement pour le marché français. C'était un sacré challenge car les tomes comportent beaucoup de pages, et que le dessin n'était pas pensé pour la couleur à l'origine. Mais Noiry a accepté le défi, elle a pris sur elle toute la responsabilité de la colorisation. Je lui ai fourni mes fichiers numériques puis lui ai accordé toute la liberté nécessaire. Elle avait ma confiance totale, elle pouvait même apporter des modifications sur mon travail si elle voulait. Je n'étais donc pas impliqué sur cette mouture. J'ai trouvé le résultat incroyable ! Parfois, je proposais certaines idées, ou je tentais d'indiquer à Noémie quelques intentions. Mais elle ne m'a jamais écouté et a fait comme elle le sentait. (rires)

Mais le résultat est génial, et je suis extrêmement heureux de pouvoir travailler avec elle. Actuellement, je prépare le troisième tome, tandis que Noiry colore le deuxième volume (ndt : A l'heure de l'enregistrement de l'interview, en mars 2022). Nous travaillons donc en décalé.


Juste avant le festival, l'information d'un format total de 6 volumes a été communiquée sur les réseaux sociaux. Qu'en est-il ?

Kenny Ruiz : Mais qui a dit ça ? Tous les journalistes me parlent de ces six tomes, mais je ne sais pas pourquoi. Il n'a jamais été question de ce format dans le contrat. C'est juste une fake news. (rires) Mais peut-être que la personne qui a dévoilé l'information connaît mon éditeur mieux que moi ! Mais s'il est question de six opus, je n'ai pas prévu l'écriture pour ce format. On travaille selon le système de production japonais : La série est en continu, et je dessine chapitre par chapitre. Peut-être que Team Phoenix sera annulé, qui sait ? Parfois, il arrive qu'un mangaka signe pour un petit nombre de chapitres. Dans mon cas, mes éditeurs japonais veulent poursuivre l'aventure le plus loin possible. Ils veulent pousser les limites de l'univers tellement loin que nous tenons occasionnellement des réunions au cours desquelles nous imaginons un tome 20, parce que nous évoquons ce que nous pouvons faire avec tel ou tel personnage une fois que certains événements auront eu lieu. Je ne dis rien de précis afin de ne pas spoiler mais parfois, mes éditeurs me disent de réfléchir à certains éléments pour le futur de l'histoire. Mais en même temps, il est possible que la publication soit arrêtée demain. Le marché japonais est si compétitif que c'est un tout autre état d'esprit, loin du fonctionnement européen. Aujourd'hui, je travaille sur le troisième tome qui sera bientôt bouclé. Mais je n'ai aucune sécurité quant à la poursuite vers un tome 4, un tome 5 ou un tome 6. J'ai des arcs narratifs en tête, et la première aventure devrait être conclue aux alentours du cinquième volume. Mais on ne peut pas affirmer si la série se poursuivra ou non. Si la parution continue, je resterai libre de dessiner. Si elle est annulée, je comprendrai, et c'est le jeu.



Quel est l'état d'esprit des éditeurs japonais quant à votre travail ?

Kenny Ruiz : Ils aiment vraiment le projet.  Mes éditeurs trouvent étrange que des occidentaux veulent lire Team Phoenix. L'un d'eux est terrifié à l'idée de la version colorisée, car c'est un format vraiment singulier à ses yeux. Pour lui, c'est irréel.


Êtes-vous souvent en contact avec vos éditeurs ?

Kenny Ruiz : Tout mes contacts se font avec mon éditeur français, Frédéric Toutlemonde. Il vit à Tokyo et parle couramment japonais, il est donc le capitaine du navire qui assure tous les entretiens avec Tezuka Productions et l'éditeur Akita Shoten. A chaque fois qu'une réunion se termine, il m'appelle et me fait un topo. Je prends note des remarques et apporte les corrections nécessaires sur mes travaux, et lui retourne le rendu final.



D'une manière générale, les mangas d'Osamu Tezuka dépeignent une multitudes d'atmosphères. Comment parvenez vous à condenser toutes ces ambiances en une seule œuvre ?

Kenny Ruiz : Ce n'est pas facile. (rires)
Je dois faire des choix et prendre les décisions les plus appropriées. C'est plus pratique dans un genre comme la science-fiction, car il y a plusieurs options pour réunir plusieurs personnages d'univers différents. Dans le cas de Tezuka, sa série SF la plus importante est Astroboy. C'est une saga qui s'est développée sur 20-30 ans et qui a beaucoup évolué au fil du temps. Parfois, c'est de la tranche de vie, et parfois c'est de l'aventure épique. J'essaie de me focaliser sur une seule part de ce fantastique personnage, et je relis toute la série. C'est comme ça que j'ai eu l'idée de l'histoire avec le Chevalier Bleu.

Le Chevalier Bleu est le personnage qui souhaite créer un monde pour les robots, et il propose à Astroboy de le rejoindre. C'est la seule fois que le héros choisit de trahir les humains pour rejoindre les robots. J'ai trouvé le choix intéressant de par la complexité qu'il représente pour Astroboy. Il a été créé par les humains et les aime vraiment. Cela lui impose un vrai dilemme. Je me suis concentré sur cette intrigue afin de créer tout un univers autour. Si Astroboy avait perdu, que se serait-il passé ? De là, nous avons penser tout un monde avec des personnages robotisés et des personnages biologiques. Comme je l'ai dit, j'ai tenté une vision à la Star Wars et ses mondes différents.



Remerciements à Kenny Ruiz pour sa disponibilité et ses réponses, ainsi qu'à Sébastien Agogué des éditions Vega-Dupuis pour l'organisation de la rencontre, et à Tristan MZ pour sa qualité d'interprète.

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