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Manga Rencontre avec les auteurs de Crueler than dead

Samedi, 30 Avril 2016 à 17h00 - Source :Rubrique interviews

L'année dernière, Glénat lançait en France Crueler than dead, manga de zombie au parcours atypique : d'abord sorti en auto-édition au Japon, il a connu sa première publication en maison d'édition en France !

Nous avons pu rencontrer les auteurs à l'origine de ce diptyque dont nous attendons toujours le second et dernier volume. Très complices et n'hésitant jamais à se vanner, Tsukasa Saimura et Kôzô Takahashi forment un "couple" d'artistes pour le moins original, que nous avons pris plaisir à rencontrer pour une interview dont voici le compte-rendu.




Tsukasa Saimura et Kôzô Takahashi, merci d'avoir accepté cette rencontre. On sait que vous vous êtes rencontrés en devenant tous deux assistants d'un même mangaka. Pouvez-vous revenir un peu sur cette époque ?

TS : Quand je suis arrivé, Mr Takahashi était déjà assistant pour ce mangaka depuis un an.

KT : La première chose que j'ai apprise sur place, c'est le comportement que doit avoir un mangaka quand il est professionnel, et la rigueur qualitative qu'il doit produire.

TS : Nous étions assistants pour un auteur vraiment très très doué, et son rythme de travail était extrêmement sévère. Tous les jours il nous râlait dessus au point de nous faire pleurer, on avait du mal à suivre. C'était très dur, mais aussi très formateur. Je pense que Mr Takahashi et moi sommes devenus naturellement amis parce que nous étions les deux sur qui l'auteur râlait toujours (rires). Un jour j'ai demandé à Mr Takahashi quel genre de films il aimait, il m'a dit les films de zombie, et ça a été le coup de foudre (rires). Nous aimions également tous deux les mangas plutôt underground.

KT : Comme c'est le genre de travail où on est tous réunis dans un lieu assez restreint, on pouvait discuter facilement même si on n'était pas forcément l'un en face de l'autre.

TS : D'un autre côté, c'est difficile de travailler tout en discutant, donc je pense que faire ça nous a appris à être meilleurs. Kôzo, est-ce qu'aujourd'hui tu aimerais revoir l'auteur pour qui on était assistants ?

KT : Pas encore, c'est trop tôt ! Il me fait encore trop peur ! (rires)


Mais... qui était donc cet effrayant mangaka ?

TS : J'hésite un peu à vous le dire... Bon, tant pis, lançons-nous ! C'est Yasuo Ôtagaki, l'auteur de Moonlight Mile et Gundam Thunderbolt.



On connaît votre passion pour les zombies sous toutes leurs formes (livre, BD, films, jeux...) et on sent que vous avec de nombreuses influences dans le domaine. Mais à votre avis, d'où vous vient cette passion ? Comment est-elle née ?  Y a -t-il une oeuvre en particulier qui a amené le déclic ?

KT : Principalement des films, surtout ceux de Romero. Egalement les jeux Resident Evil.

TS : De mon côté je suis très axé films, et de ce côté-là je m'intéresse à tous les types de zombies.


Justement, que préférez-vous dans le genre zombie ?

TS : Ils sont libres, ils ne s'inquiètent de rien, ils se reposent quand ils en ont envie, et quand ils ont besoin de viande ils vont en chercher. Je les envie beaucoup, parce que moi en ce moment je passe mon temps à travailler. (rires)


Aujourd'hui, le zombie est particulièrement à la mode, et ce, partout dans le monde et dans tous les genres (TV, BD, romans...). Vous ajoutez une pierre à cet immense édifice avec Crueler than dead. Selon vous, qu'est-ce qui fait la particularité de votre manga par rapport à la production zombie actuelle ?

TS : La spécialité de notre manga, c'est que l'héroïne est un ancien zombie qui est revenu à son état normal grâce à un vaccin. C'est quelque chose qu'on ne voit pas souvent. Et il y a aussi le fait qu'un vaccin existe déjà.



L'héroïne de Crueler than Dead est une femme, ce qui est plutôt inhabituel pour un manga de zombie.

TS : Le fait que ce soit une femme va avoir son importance dans le tome 2, car elle va permettre d'amener une nouvelle forme de vie. Je ne vous en dis pas plus.


Si les zombies sont particulièrement effrayants, face à eux nous n'avons pas vu d'être humain foncièrement mauvais dans ce premier tome de Crueler than Dead, et ceux qui s'opposent à Maki dans un premier temps finissent par l'aider. Pourquoi un tel choix ?

TS : On a quand même des méchants qui apparaissent dans ce premier tome, et certes ils finissent pas venir en aide à l'héroïne, mais rien ne dit que cette aide n'est pas calculée et qu'ils resteront des alliés une fois arrivés au Tôkyô Dome... Là aussi je ne vous en dis pas plus !


En présentant une certaine forme de dignité humaine face à l'invasion zombie, vous prenez à contrepied la plupart des oeuvres de zombies qui la plupart du temps dressent un portrait beaucoup plus critique de la société.

TS : Je pense que c'est quand les humains sont précipités dans ce genre de situation extrême que l'on peut voir leur vraie nature, et je voulais montrer l'autre facette de cette nature, celle qu'on voit plus rarement dans ce type d'oeuvre. Par exemple, ces dernières années au Japon il y a eu des événements très graves, et on a pu voir des gens s'entraider. Ca fait partie de ce que je voulais présenter dans mon scénario.



Imaginons que le Japon soit envahi par les zombies... Quelle serait la première chose que vous feriez en cas d'invasion ? Pensez-vous que vous pourriez survivre à long terme ?

TS : En fait, au Japon je suis en train de dessiner un manga qui parle de ça. Dans ce genre de cas, je pense que tout le monde finirait par y passer.

KT : A mon avis le Japon ne serait pas très doué pour résister à ce genre de chose.

TS : On n'a pas d'armes et notre armée de défense est très faible.

KT : Et en plus on habite les uns sur les autres, donc l'épidémie se propagerait en trois fois rien de temps. (rires)


Mis à part les zombies, qu'est-ce qui vous effraie le plus dans la vie ?

KT : Moi j'ai peur des gens. (rires)

TS : Et moi j'ai peur de Mr Takahashi ! (rires) Pendant 72 mois il n'a pas payé son loyer, ça fait peur, il n'est pas humain !


Donc entre vous deux, c'est Mr Takahashi qui ferait le meilleur zombie ?

KT : Je suis sûr que j'y arriverais très bien !



Au début, le zombie était lent et hésitant. Puis il a été rapide et plus puissant. Comment imaginez-vous le zombie de demain ?

TS : Justement, dans l'autre manga que je suis en train de dessiner, Igai – The play dead/alive (prévu en France chez Glénat pour l'été 2016, ndlr), je dessine un type de zombie qui est limité dans le temps : ils deviennent zombie, puis redeviennent humain, redeviennent zombie, ainsi de suite.


De tous les zombies que vous avez pu voir dans la culture populaire, quel est votre préféré et pourquoi ?

TS : Mon type de zombie préféré reste celui qui est lent avec les bras en avant, comme dans les films de Romero.

KT : Moi j'adore le zombie qu'on ne peut pas tuer quoi qu'on lui fasse, comme dans le Retour des morts-vivants.


Mr Takahashi, pour le design des zombies, quelles sont vos inspirations ? Comment les avez-vous créés ?

KT : Mr Saimura m'a laissé faire, me disait juste quand il trouvait que mon design avait de l'impact, et m'informait sur les angles de vue qu'il voulait que je leur offre. Je me suis principalement inspiré des films que j'ai vus et des jeux que j'ai faits, mais j'ai choisi de pousser le trait à fond.


Et Mr Takahashi, avez-vous donné des idées pour le scénario ?

KT : Bien sûr, ça m'arrive de faire des remarques. Mais généralement ça ne change pas grand chose à l'histoire globale.

TS : Généralement, quand il me fait des remarques je l'envoie balader. (rires)



Vous croquez une ville de Tôkyô visuellement plutôt réaliste, avec ses hauts bâtiments, ses monuments comme le Dome... à ceci près que la ville est en partie ravagée par l'invasion zombie. Comment avez-vous trouvé l'équilibre dans cette retransposition d'un Tôkyô réaliste vers un Tôkyô en proie au chaos ?

KT : Il se passe un an dans le premier tome, donc j'ai essayer de dessiner Tokyo qui aurait subi ce genre de ravages pendant un an. Par exemple, je n'ai pas mis trop de plantes, parce qu'en un an il n'y aurait sans doute pas beaucoup de plantes qui auraient eu le temps de pousser. De même, comme c'est une invasion de zombies, il n'y a aucune raison pour que les bâtiments soient en ruines et s'effondrent, sauf si l'armée était arrivée mais ce n'est pas vraiment le cas, ou dans des endroits comme celui où l'avion s'est écrasé.


Mr Takahashi, quels outils utilisez-vous pour dessiner ?

KT : De l'encre classique. Je fais des croquis au crayon à papier, puis je repasse à la plume. Je place les trames, je fais les aplats de noir au pinceau, et j'utilise l'ordinateur pour les couleurs de couverture.


Vous ne cachez pas que Katsuhiro Otomo est une de vos grandes influences, Monsieur Takahashi. Mais vous inspirez-vous aussi du travail d’auteurs plus modernes, datant d’après les années 2000 ?

KT : En fait, je ne peux pas dire que je suis influencé de manière profonde par un seul mangaka, mais je pioche ce qui me plaît par-ci par-là.



On connaît la genèse du projet Crueler than dead, on sait que le manga a d'abord été refusé par les éditeurs japonais sous prétexte que ça ne marcherait pas. A partir de là vous avez décidé de poursuivre le projet indépendamment des maisons d'édition, ce qui est plutôt osé. Pensez-vous qu’il est difficile à l’heure actuelle de proposer un manga novateur ? Et craignez-vous une uniformisation du manga sur le long terme, si les éditeurs continuent de refuser les projets avant de les avoir essayés ?

TS : On m'a refusé énormément de projets différents, et même quand j'ai réussi à en publier on m'a imposé une censure très forte. Et même en réussissant à publier des oeuvres par moi-même, on vient parfois me dire que je ne peux pas aller si loin dans le gore. On me dit d'éviter de représenter des morceaux de cerveau, de changer la couleur du sang, ce genre de choses...

KT : La censure et très forte au Japon. Mais n'y en a-t-il pas en France aussi ?


Il y en a partout, et cela peut prendre bien des formes... Admettons que l’on vous propose un projet d’adaptation en film live de la série. Quel réalisateur choisiriez-vous pour prendre en charge ce travail ?

TS : Au Japon, Takashi Miike, forcément ! Et hors Japon, je ne sais pas trop... Tant que c'est quelqu'un qui aime les zombies !


Comment avez-vous été abordé par Glénat pour l'édition française ? Avez-vous tout de suite été emballé par l'idée que votre oeuvre atterrisse chez nous ?

TS : Satoko Inaba, la responsable éditoriale de Glénat, a acheté notre version auto-éditée au salon Comitia. Elle m'a contacté par mon blog quelques jours plus tard. Elle nous a alors proposé une publication française, et forcément j'avais du mal à y croire ! J'en ai tout de suite parlé à Mr Takahashi. Personnellement, quand j'auto-édite mes oeuvres, c'est toujours dans l'espoir que quelqu'un d'une maison d'édition japonaise les remarque. Alors quand c'est une maison d'édition française qui m'a contacté, j'ai été hésitant, méfiant, je me suis demandé si ce n'était pas une blague. Nous avons même dû vérifier que Glénat était bien une maison d'édition existant en France. On était emplis de doutes. Mais en même temps, on était très heureux à l'idée que tout ça soit vrai. C'était une impression étrange, maintenant que j'y repense.

KT : Pendant qu'on concevait le manga, on allait voir des maisons d'édition pour le leur présenter, mais à chaque fois on nous disait que c'était intéressant mais que ça n'allait pas marcher parce que c'était du zombie. Donc les éditeurs refusaient une publication. Jusqu'à il y a peu, je n'arrivais donc pas à croire en une publication hors du Japon, jusqu'à voir le livre en français devant moi. A présent, je suis vraiment très heureux que tout ça soit vrai.


Remerciements à Messieurs Saimura et Takahashi, à Satoko Inaba, à Marie-Saskia Raynal, et au Manga Café V2.
  



Crueler Than Dead © 2015 Tsukasa Saimura et Kozo Takahashi / Éditions Glénat

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