Ciné-Asie Chronique ciné asie - Tokyo Tribe
En parallèle à la diffusion du film à la Maison de la Culture du Japon à Paris, les éditions Wild Side proposent depuis décembre en DVD et Blu-ray une création récente du réalisateur Sono Sion toute particulière dans le paysage du manga: Tokyo Tribe. Adaptation directe du manga Tokyo Tribe 2 de Santa Inoue, manga stoppé chez Glénat après 6 tomes, le film s'inscrit, entre autres, dans la politique de l'éditeur qui a déjà propose plusieurs films nippons coups-de-poing,notamment avec la trilogie des Crows.
Dans un futur alternatif, la ville de Tokyo est devenue un véritable ghetto que se partagent plusieurs grands gangs belliqueux. Parmi eux, les Musashino Saru se font remarquer par leurs discours pacifistes, ce qui énerve particulièrement Mera, leader des Wu-Ronz à la solde du clan Bubba. Entre vengeances et complot, tous ces gangs font se retrouver propulsés dans une guerre inévitable et même Kai, leader des Musashino Saru,devra mettre de côté ses idées de paix pour la survie des siens...
Simple film de baston ou approche originale pour le film de Sono Sion ? La question est légitime puisque le concept même de guerres de gang n'a absolument rien d'original, ce qui n'empêche pas la réussite de certaines pépites comme les deux Crows Zero. Le réalisateur surprend toutefois pour les risques qu'il prend côté mise en scène, ce qui risque d'ailleurs d'en dérouter plus d'un qui s'attendaient à une narration classique. Le film, plus particulièrement ses dialogues, se construit sur les échanges entre personnages sous forme de rap, rap d'ailleurs souvent vulgarisé afin d'accentuer le côté décalé de ce Tokyo anarchique.
Suivre le film est alors plus complexe qu'on l'aurait imaginé, d'autant plus que celui-ci n'est proposé qu'en vostfr,un choix compréhensif sur lequel nous reviendrons plus tard. Pour en revenir aux choix de mise en scène, l'ensemble du métrage se construit sur énormément de plans-séquences, notamment dans sa première partie qui expose la situation complexe de Tokyo. Comme s'il souhaitait faire voyager le spectateur dans ce cadre apocalyptique,Sono Sion le déstabilise au plus haut point puisque dans Tokyo Tribe, ses jeux de caméra n'ont rien de conventionnel. Dans ce même ordre d'idées, on peut soulever les éclairages particuliers, qui donnent à l'univers du film une dimension irréaliste qui dérange là aussi énormément et donne beaucoup de relief à la vision de Tokyo du cinéaste.
Concernant l'intrigue, celle-ci n'est pas une révolution et reste assez basique.On peut même dire qu'elle manque de panache dans le sens où certains enjeux ne sont pas assez développés, par exemple la rivalité entre Kai et Mera qui est pourtant présenté comme sujet central du scénario. Plutôt que se focaliser sur une histoire qui n'aurait étonné personne, Sono Sion mise avant tout sur la représentation de son Tokyo décalé et sur son ambiance globale qui l'est tout autant. Quand Wilde Side parle de "kitsch" sur sa jaquette, ça n'a rien d'anodin puisque le film entier est à prendre au second degré. Les jeux de certains acteurs, notamment celui de Riki Takeuchi qui joue les excités comme il aime tant le faire comme le prouvait sa prestation dans le rôle du professeur de Battle Royale 2, sont toujours dans l'excès et n'agissent jamais de manière réaliste, sauf à de rares moments. Cela se ressent davantage du côté des antagonistes qui interprètent le paroxysme des clichés qu'ils représentent. Le traitement même de l'univers, empli de stéréotypes grossiers, ajoutent une couche au décalage et présente toujours les hommes comme de gros bras bien virils et les demoiselles en guise d'objets voués à satisfaire les désirs masculins,impression renforcée par forte présence de dame dévêtue où là uniquement pour se faire palper. Discours sexiste la part de Sono Sion ? Que nenni, puisque tous ces choix d'ambiance et de scénario sont là pour véhiculer un message.
L'absurdité générale décrite ci-dessus va de pair avec l'engagement du cinéaste nippon qui s'est déjà intéressé à la condition de la femme dans la société japonaise. On peut dire qu'avec Tokyo Tribe, il véhicule une vraie satire de cette société patriarcale en reléguant la gent féminine à un rôle misérable et en présentant les figures masculines comme des figures de violence pure. Le cas de Mera et du roi Bubba sont de bons exemples et tendent à assimiler, du point de vue sociétal, l'Homme à un rôle grotesque dont les réflexions se font souvent à l'aide de l'organe inférieur. Les derniers discours de Mera en sont la preuve puisque sur la toute fin du film, Sono Sion donne comme objet de cette guerre de gangs une question de taille de pénis, littéralement.
La critique du film est aussi à propos de la guerre, des simples querelles ou plus globalement des conflits politiques. En un sens, Tokyo Tribe est un discours de paix et d'égalité puisqu'il soulève le grotesque des différences entre les sexes, mais aussi l'absurdité d'un conflit qui peut tourner autour de motifs dérisoires qui ne concernent et n'arrangent qu'une poignée d'individus. La pensée finale de Sono Sion est alors plus que positive et si l'histoire proposée par le film n'est pas spécialement solide, le message, lui, l'est bien plus.
Moins de deux heures pour un scénario au tel contexte est un frein sur un autre plan : les personnages. Certains sont fortement appuyés et nous permettent de les saisir tandis que d'autres restent trop dans l'ombre, et ce jusqu'à la fin de l'histoire. Le fait que l'intrigue repose sur un très grand nombre de clans et de sous-clans dont les relations ne sont pas toujours évidentes pose aussi un problème et à moins d'être très attentif à l'exposition du cadre et d'avoir une bonne mémoire, il arrivera peut-être que le spectateur se questionne à plusieurs reprises sur les enjeux d'une scène.
L'édition proposée par Wilde Side est sobre, mais efficace. Le Blu-ray se présente dans un boîtier amaray noir qui s'insère dans un fourreau cartonné. L'unique galette présente propose le film, quelques bandes-annonce de l'éditeur, mais aussi des bonus appréciables comme les scènes coupées.
Là où certains pourront s'étonner, c'est que seule une version originale sous-titrée en français est proposée alors que d'autres films japonais comme Crows Zero ont bénéficié, eux, d'un doublage français. Outre le fait qu'il aurait peut-être été coûteux pour Wilde Side de doubler un film de niche, c'est surtout la construction même du film qui aurait été un vrai frein au doublage. L'essentiel des dialogues se construisant sur des raps, les retranscrire oralement de manière efficace et fidèle aurait été une grande difficulté. D'ailleurs, la traduction des sous-titres elle-même peut faire l'objet de débats puisque dans l'optique d'ancrer l'intrigue dans une ambiance moderne et urbaine, le ton est à la vulgarité et il arrive que quelques OVNI comme "thug" soient choisis parmi les choix d'adaptation. Sujet difficile puisque la traduction elle-même a dû être un véritable casse-tête.
Tokyo Tribe est une expérience cinématographique particulière de par ses choix de mise en scène et l'ambiance décalée globale qui véhicule un message engagé de la part de Sono Sion. Le film est plus subtil qu'une simple histoire de baston et ses choix esthétiques le rendent captivant. Néanmoins, certains pourront rester sur leur faim du côté de l'intrigue,peu développée, mais finalement mineur par rapport à ce que le film a à nous proposer à côté.
Dans un futur alternatif, la ville de Tokyo est devenue un véritable ghetto que se partagent plusieurs grands gangs belliqueux. Parmi eux, les Musashino Saru se font remarquer par leurs discours pacifistes, ce qui énerve particulièrement Mera, leader des Wu-Ronz à la solde du clan Bubba. Entre vengeances et complot, tous ces gangs font se retrouver propulsés dans une guerre inévitable et même Kai, leader des Musashino Saru,devra mettre de côté ses idées de paix pour la survie des siens...
Simple film de baston ou approche originale pour le film de Sono Sion ? La question est légitime puisque le concept même de guerres de gang n'a absolument rien d'original, ce qui n'empêche pas la réussite de certaines pépites comme les deux Crows Zero. Le réalisateur surprend toutefois pour les risques qu'il prend côté mise en scène, ce qui risque d'ailleurs d'en dérouter plus d'un qui s'attendaient à une narration classique. Le film, plus particulièrement ses dialogues, se construit sur les échanges entre personnages sous forme de rap, rap d'ailleurs souvent vulgarisé afin d'accentuer le côté décalé de ce Tokyo anarchique.
Suivre le film est alors plus complexe qu'on l'aurait imaginé, d'autant plus que celui-ci n'est proposé qu'en vostfr,un choix compréhensif sur lequel nous reviendrons plus tard. Pour en revenir aux choix de mise en scène, l'ensemble du métrage se construit sur énormément de plans-séquences, notamment dans sa première partie qui expose la situation complexe de Tokyo. Comme s'il souhaitait faire voyager le spectateur dans ce cadre apocalyptique,Sono Sion le déstabilise au plus haut point puisque dans Tokyo Tribe, ses jeux de caméra n'ont rien de conventionnel. Dans ce même ordre d'idées, on peut soulever les éclairages particuliers, qui donnent à l'univers du film une dimension irréaliste qui dérange là aussi énormément et donne beaucoup de relief à la vision de Tokyo du cinéaste.
Concernant l'intrigue, celle-ci n'est pas une révolution et reste assez basique.On peut même dire qu'elle manque de panache dans le sens où certains enjeux ne sont pas assez développés, par exemple la rivalité entre Kai et Mera qui est pourtant présenté comme sujet central du scénario. Plutôt que se focaliser sur une histoire qui n'aurait étonné personne, Sono Sion mise avant tout sur la représentation de son Tokyo décalé et sur son ambiance globale qui l'est tout autant. Quand Wilde Side parle de "kitsch" sur sa jaquette, ça n'a rien d'anodin puisque le film entier est à prendre au second degré. Les jeux de certains acteurs, notamment celui de Riki Takeuchi qui joue les excités comme il aime tant le faire comme le prouvait sa prestation dans le rôle du professeur de Battle Royale 2, sont toujours dans l'excès et n'agissent jamais de manière réaliste, sauf à de rares moments. Cela se ressent davantage du côté des antagonistes qui interprètent le paroxysme des clichés qu'ils représentent. Le traitement même de l'univers, empli de stéréotypes grossiers, ajoutent une couche au décalage et présente toujours les hommes comme de gros bras bien virils et les demoiselles en guise d'objets voués à satisfaire les désirs masculins,impression renforcée par forte présence de dame dévêtue où là uniquement pour se faire palper. Discours sexiste la part de Sono Sion ? Que nenni, puisque tous ces choix d'ambiance et de scénario sont là pour véhiculer un message.
L'absurdité générale décrite ci-dessus va de pair avec l'engagement du cinéaste nippon qui s'est déjà intéressé à la condition de la femme dans la société japonaise. On peut dire qu'avec Tokyo Tribe, il véhicule une vraie satire de cette société patriarcale en reléguant la gent féminine à un rôle misérable et en présentant les figures masculines comme des figures de violence pure. Le cas de Mera et du roi Bubba sont de bons exemples et tendent à assimiler, du point de vue sociétal, l'Homme à un rôle grotesque dont les réflexions se font souvent à l'aide de l'organe inférieur. Les derniers discours de Mera en sont la preuve puisque sur la toute fin du film, Sono Sion donne comme objet de cette guerre de gangs une question de taille de pénis, littéralement.
La critique du film est aussi à propos de la guerre, des simples querelles ou plus globalement des conflits politiques. En un sens, Tokyo Tribe est un discours de paix et d'égalité puisqu'il soulève le grotesque des différences entre les sexes, mais aussi l'absurdité d'un conflit qui peut tourner autour de motifs dérisoires qui ne concernent et n'arrangent qu'une poignée d'individus. La pensée finale de Sono Sion est alors plus que positive et si l'histoire proposée par le film n'est pas spécialement solide, le message, lui, l'est bien plus.
Moins de deux heures pour un scénario au tel contexte est un frein sur un autre plan : les personnages. Certains sont fortement appuyés et nous permettent de les saisir tandis que d'autres restent trop dans l'ombre, et ce jusqu'à la fin de l'histoire. Le fait que l'intrigue repose sur un très grand nombre de clans et de sous-clans dont les relations ne sont pas toujours évidentes pose aussi un problème et à moins d'être très attentif à l'exposition du cadre et d'avoir une bonne mémoire, il arrivera peut-être que le spectateur se questionne à plusieurs reprises sur les enjeux d'une scène.
L'édition proposée par Wilde Side est sobre, mais efficace. Le Blu-ray se présente dans un boîtier amaray noir qui s'insère dans un fourreau cartonné. L'unique galette présente propose le film, quelques bandes-annonce de l'éditeur, mais aussi des bonus appréciables comme les scènes coupées.
Là où certains pourront s'étonner, c'est que seule une version originale sous-titrée en français est proposée alors que d'autres films japonais comme Crows Zero ont bénéficié, eux, d'un doublage français. Outre le fait qu'il aurait peut-être été coûteux pour Wilde Side de doubler un film de niche, c'est surtout la construction même du film qui aurait été un vrai frein au doublage. L'essentiel des dialogues se construisant sur des raps, les retranscrire oralement de manière efficace et fidèle aurait été une grande difficulté. D'ailleurs, la traduction des sous-titres elle-même peut faire l'objet de débats puisque dans l'optique d'ancrer l'intrigue dans une ambiance moderne et urbaine, le ton est à la vulgarité et il arrive que quelques OVNI comme "thug" soient choisis parmi les choix d'adaptation. Sujet difficile puisque la traduction elle-même a dû être un véritable casse-tête.
Tokyo Tribe est une expérience cinématographique particulière de par ses choix de mise en scène et l'ambiance décalée globale qui véhicule un message engagé de la part de Sono Sion. Le film est plus subtil qu'une simple histoire de baston et ses choix esthétiques le rendent captivant. Néanmoins, certains pourront rester sur leur faim du côté de l'intrigue,peu développée, mais finalement mineur par rapport à ce que le film a à nous proposer à côté.
De BASILE93, le 26 Janvier 2016 à 22h10
Critique sympathique, mais Sono Sion ayant lui-même insisté sur le fait qu'il a voulu faire un simple film de divertissement (sans réel message), il est délicat de lui attribuer une volonté de critique de la société patriarcale ou de la guerre. Ce qui ne veut pas dire que ces thématiques sont totalement absente.