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Springald : Critiques

黒博物館スプリンガルド

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 27 Septembre 2016

Critique 3


Quel plaisir incroyable d'apprendre qu'un nouveau titre de Kazuhiro Fujita allait apparaître dans nos vertes contrées!


Même si ses séries n'ont pas reçu un accueil des plus chaleureux en France, malgré une force narrative et visuelle sans commune mesure, l'auteur génial des fabuleux Karakuri Circus (dont on attend toujours la fin en France) et de Moonlight Act (qui peine à décoller dans les ventes) nous régale avec un one shot se situant dans l'Angleterre Victorienne, une période propice aux personnages charismatiques et énigmatiques! Et pour l'occasion l'auteur s'est intéressé à la figure de "Jack talons à ressort", un criminel n'ayant jamais été arrêté qui aurait attaqué des femmes les laissant dénudées sans jamais les tuer, avant de fuir en bondissant... La presse s'emparant du personnage va romancer ses actions et lui donner l'apparence d'un démon aux griffes acérées et crachant du feu...une figure emblématique de l'ère victorienne qui inspirera plus tard Jack l'éventreur!


Et pour l'occasion c'est Ki-oon qui tente sa chance avec cet auteur mal aimé du public français, mais en le mettant sur le devant de la scène, afin de récompenser le génie de l'auteur!


Nous allons donc plonger dans un récit d’aventures riche en rebondissements (dans tous les sens du terme) mis en scène de façon remarquable par un des auteurs les plus talentueux de sa génération!


L'inspecteur James Rockenfield souhaite entrer dans le "Black Museum", les archives de Scotland Yard, afin de consulter des notes sur une vieille affaire, celle concernant Jack Talons-à-ressort... Il raconte ce dont il se souvient à la conservatrice des archives...


Durant plusieurs semaines un criminel a fait régner la terreur en plein Londres, attaquant les femmes et les laissant à moitié nues avant de repartir en faisant des bonds inhumains... Plusieurs victimes ont témoigné et décrient une créature à l'apparence démoniaque, mais jamais cet être maléfique n'a pu être arrêté.


Voilà trois ans que ses méfaits ont cessés, mais la créature semble être revenue, à ceci près que cette fois elle lacère ses victimes pour les tuer, des crimes atroces qui obligent Scotland Yard à réagir. Le jeune et bouillant inspecteur Rockenfield suspecte le marquis Walter de la Poer Strade qui ne fait même pas semblant de nier avoir été Jack Talons-à-ressort, mais cela fait-il de lui le meurtrier?


Dès les premières pages le talent de Fujita parle, la mise en scène est intelligente et servira à faire avancer le récit de façon remarquable: le titre s'ouvre sur une vue subjective, le lecteur est la dans peau de l'inspecteur Rockenfield et va pénétrer dans le Black Museum...le titre n'est pas encore commencé que déjà la tension est palpable. Ainsi Fujita nous place dans la peau du narrateur et nous allons découvrir les faits de la bouche d'un personnage les ayant vécus, ce qui nous promet d'emblée de lever le voile sur le mystère du personnage de Jack Talons-à-ressort... On sait de suite que l'auteur se risquera à une interprétation et ne nous laissera pas sans réponse, quitte à justement déformer la réalité.


Très vite donc l'auteur s'empare de cette figure emblématique des récits victoriens comme peuvent l'être Sherlock Holmes, le Dr Jekyll et bien d'autres encore... à ceci prés que le fameux "Jack le bondissant" aurait véritablement existé!


Une fois passée la surprise de ce mode narratif intrigant et audacieux on retrouve toute la puissance et la vivacité du trait de Fujita avec une intrigue qui avance vite et qui nous dévoile des personnages forts et possédant une grande prestance (et qui ne sont pas sans rappeler d'autres personnages des titres précédents de l'auteur).


L'auteur va donc très rapidement nous proposer une interprétation et des réponses concernant l'identité de ce démon bondissant, peut être même trop vite. Car les six chapitres qui composent ce récit vont au final plus ressembler à un récit d'action qu'à une enquête tournant autour d'un mystère. Nous évoquons là ce qui est sans nul doute le plus grand défaut de ce titre: les réponses arrivent trop vite ce qui tue tout mystère dans l’œuf. On s'attendait à ce que l'auteur joue davantage avec le côté énigmatique du personnage...


On va donc suivre une aventure sans trop de surprises (bien qu'il y en ait quelques-unes), mais qui n'en demeure pas moins passionnante. Et pour ce qui est de l'action, Fujita n'a rien à envier à personne! Il arrive mieux que quiconque à insuffler un dynamisme incroyable dans ses planches et apporter une vivacité remarquable, à imposer un rythme...


Mais Fujita est également un maître quand il s'agit de créer des ambiances! Bien entendu à ce niveau les choses sont facilitées par le contexte même du récit, l’ère victorienne se prêtant merveilleusement bien à cela. Il nous propose donc un récit sombre, mais qui se veut malgré tout optimiste et qui ne laisse pas l'humour de côté. Comme souvent chez l'auteur les planches sont denses et fourmillent de détails ce ajoute plus de consistances à l'univers du titre.


Et bien entendu un twist final nous attend à la fin des six chapitres que compte cette histoire...mais là encore malheureusement, on le voit venir rapidement, ce qui ne gâche pas le plaisir pour autant.


Mais la vraie surprise c'est que le volume compte encore quatre chapitres qui viennent apporter une suite à cette fabuleuse histoire sur le mystère de Jack Talons-à-ressort. On y suit la descendance des protagonistes de l'histoire principale dans une histoire plus clin d'oeil qu'autre chose, qui n'apporte pas grand-chose et ne rend pas hommage au personnage de Jack Talons-à-ressort mis en avant dans ce one shot. Il s'agit plus d'une histoire prétexte qu'autre chose, mais chaque page de Fujita est bonne à prendre!


Entre chaque chapitre ou presque, on a droit à une double page, la gazette du Black Museum, expliquant le contexte et les éléments importants du récit, ce qui a servi de base pour le manga dans des notes précises et détaillées, véritablement enrichissantes, qui sont à n'en pas douter un vrai plus pour le manga, permettant aux lecteurs d'en apprendre davantage sur le personnage sans avoir à faire de recherches, sur l'époque, sur le contexte...de vraies mines d'informations


Et il faut également évoquer la remarquable édition qui nous est proposée par l'éditeur donnant l'apparence à ce tome d'un vieil ouvrage tout droit sorti d'une ancienne bibliothèque, avec un effet vieillot et abîmé sur la couverture. Vraiment du plus bel effet!


Et félicitations également à Sébastien Ludmann pour la traduction avec des expressions et du vocabulaire d'époque permettant de s'immerger d'autant plus dans cet univers riche et envoûtant!


Malgré quelques défauts, ce tome s'avère être un vrai trésor, une pépite que nous délivre Fujita, au sommet de son art! Et cerise sur le gâteau, il nous promet que la collection "Black Museum" va revenir...croisons les doigts pour que Ki-oon renouvelle l'expérience!






Critique 2


Kazuhiro Fujita est un mangaka de talent que les éditeurs ont tenté d’implanter en France, mais sans grand succès. La première tentative fut opérée par Delcourt qui publia Karakuri Circus, mais stoppa l’œuvre au bout de 21 tomes. Depuis, c’est Kazé qui a repris le flambeau de l’auteur avec Moonlight Act, une œuvre qui ne rencontre pas le succès escompté et connaît ainsi une publication laborieuse, bien que l’éditeur ait la qualité de refuser l’arrêt simple de la série. A la surprise générale, Ki-oon montre sa volonté de publier cet auteur en cette rentrée 2016 avec Springald, une one-shot qui recueille deux histoires revisitant le mythe de Jack Talons-à-Ressorts. Cette œuvre a une certaine symbolique pour l’auteur puisqu’elle est la première d’une collection intitulée The Black Museum, comprenant actuellement deux séries : Springald et Ghost Lady.

A Londres, en 1837, sévissait un énigmatique individu, ornant un casque et pourvu de longs bras et de jambes tout aussi immenses, agressant des cibles féminines en vue de déchirer leurs vêtements. Plus de peur que de mal dans cette série d’agressions qui cessa, mais permis de faire de Jack Talons-à-ressorts une véritable légende urbaine sur la ville londonienne.
C’est cette histoire qui a servi d’inspiration à Kazuhiro Fujita qui a tourné le mythe en fiction pour lui donner une suite. Dans Springald, Jack Talons-à-ressorts est de retour trois ans après avoir sévi, mais voilà qu’il se met à tuer ! Dans l’esprit de l’inspecteur Rockenfield, en charge du dossier Jack à l’époque, il ne peut y avoir qu’un seul coupable, un noble du nom de Walter de la Poesrstrade. Mais qu’en est-il réellement ?

Springald s’inscrit dans un registre qu’on attribue souvent au contexte victorien anglais, une dimension polar qui n’est peut-être pas si éloignée des œuvres d’Arthur Conan Doyle avec son héros, Sherlock Holmes. Aussi, l’œuvre de Kazuhiro Fujita peut d’abord être vue comme une histoire à suspense, se basant sur un mythe réel, mais se permettant de le déformer pour donner lieu à une véritable enquête proposant un aboutissement. Springald, c’est la traque de Jack Talons-à-ressorts par l’inspecteur Rockenfield, une affaire qui prendrait presque la forme d’un conte puisqu’il est présenté comme le récit de l’inspecteur en question, ce dernier apparaissant à la première personne lorsqu’il narre son récit. Cette notion de compte, on y reviendra, n’a d’ailleurs rien d’anodine tant l’intrigue se présente comme un mélange des genres, résultant de l’imagination en ébullition du mangaka. Dans la forme, le schéma du polar est parfaitement respecté et en prenant le récit tel quel, il fait office d’enquête rythmée et intense qui ne saurait proposer de temps mort une seule seconde.

Mais voilà, Springald a un auteur qui est Kazuhiro Fujita, et c’est ce qui fait toute la différence et empêche ce one-shot de n’être qu’un simple polar. Springald, c’est avant tout un mélange de genres puisqu’à cette époque victorienne se mêlent des notions de steampunk qui auront toute leur importance au sein de l’intrigue, sans pour autant que le contexte historique soit dénaturé. L’affaire menée par l’inspecteur Rockenfield évolue donc entre réalité et fiction, confère au tout une atmosphère envoûtante tant on se trouve à la fois dépaysé par ce XIXème siècle qui se dépeint sous nos yeux, mais aussi émerveillé par les ressorts (et c’est le cas de le dire) technologiques qui nous sont présentés. Pour tous ces éléments, Springald émerveille jusqu’à sa dernière page.

Mais le récit principal fait seulement l’objet des trois premiers quarts du manga. La dernière partie, Mother Goose, est une œuvre à part entière qui agit comme la suite directe de Springald. Tirant ses origines d’une série de comptines, cette courte suite développe une atmosphère plus légère qui n’est que la résultante de la finalité de Springald et de ses personnages hauts en couleur, permettant néanmoins d’achever l’intrigue sur une conclusion moins abstraite que celle de l’œuvre phare de ce one-shot.

Kazuhiro Fujita est aussi un dessinateur de talent. Magicien de la mise en scène et fabuleux artiste grâce à son trait d’une grande densité, celui-ci parvient à donner une véritable vie à ces deux histoires grâce à son coup de crayon qui fourmille de détails, rendant l’action intense et immersive, avec une déformation volontaire des corps et des environnements qui donnent un rendu aussi décalé que dynamique par moment. Les personnages, eux, paraissent aussi vivants sur le papier. Les figures dépeintes par le mangaka sont, en effet, particulièrement expressives et permettent de mieux appréhender les personnages en si peu de temps d’apparition. Viennent enfin les décors, riches de détails qui contribuent à l’immersion dans cette époque victorienne. Sans eux, l’expérience Springald ne serait sans doute pas ce qu’elle est.

La collection Black Museum, si elle se développe, fera date chez Ki-oon ne serait-ce pour l’édition fabuleuse proposée. Outre les caractéristiques propres à l’éditeur comme l’épaisseur du papier qualitatif et la présence de pages couleurs, on salue cette couverture, granuleuse et bénéficiant d’effets de dorure et de marques d’usures volontaires pour conférer à l’ouvrage un côté vieillot qui sied à l’ambiance de l’œuvre et à l’identité du Black Museum.
La traduction de Sébastien Ludmann n’est d’ailleurs pas en reste, le traducteur donnant au texte une belle conformité avec le contexte d’époque, le rendant crédible et vivant au sein de l’intrigue.

En définitive, Springald fait office de one-shot incontournable de cette année 2016. Enquête résultat de mélange d’influences soutenues par une esthétique dense à souhait, le récit a pour mérite de montrer les prouesses du mangaka Kazuhiro Fujita, bien trop sous-estimé en France, tout en captivant son lecteur grâce à un scénario constamment rythmé. On espère ainsi que la collection Black Museum se développera au plus vite, en espérant que Springald, et éventuellement Ghost Lady, soient les leviers idéaux pour faire connaître ce talentueux mangaka en France.


Critique 1


Malgré tout son talent, Kazuhiro Fujita est malheureusement un mangaka plutôt boudé en France : le merveilleux Karakuri Circus n'est jamais arrivé à terme chez Delcourt faute de ventes, le tout aussi excellent Moonlight Act connaît des difficultés de parution chez Kazé Manga, et son manga le plus connu, Ushio & Tora, reste malheureusement toujours inédit dans nos contrées même si nous pouvons désormais le découvrir via son animé chez ADN/Kazé. Alors, autant dire que c'est avec un mélange de surprise et de joie que nous accueillons une nouvelle oeuvre de l'auteur en France !

Et une oeuvre peu commune qui plus est, car Springald, one-shot de quasiment 250 pages conçu en 2007, tire ses origines d'un univers rarement vu en manga : celui des légendes urbaines de l'Angleterre du XIVème siècle, et plus précisément le mythe de Jack Talons-à-Ressort qui a défrayé la chronique au tout début de l'ère victorienne, à partir de 1837-1838. Pendant quelques mois, ce "plaisantin" aurait agressé dans la rue des jeunes femmes seules, les déshabillant pour toucher leur peau et les embrasser avant de repartir en bondissant parfois à près de 3m de haut et en poussant des rires retentissants. Puis il disparaît de la circulation, mais les journaux et petits spectacles sont là pour accroître la légende et faire du personnage l'une des figures folkloriques les plus populaires de son époque. Plutôt décrit comme un homme grand et mince, doté de doigts aux griffes glacées et d'yeux exorbités, voire d'une bouche pouvant cracher des flammes, il suscite toutes sortes d'hypothèse, certaines personnes de l'époque pensent qu'il s'agit d'un démon, d'autres d'un simple, mais ingénieux farceur ayant trouvé le moyen de se fabriquer des chaussures permettant de rebondir.

C'est donc de cette affaire que s'inspire Fujita pour proposer une enquête rondement menée. Nous voici en 1841, trois ans après les faits : Jack Talons-à-Ressort ne fait plus parler de lui... jusqu'à ce qu'il réapparaisse, mais cette fois-ci pour signer des meurtres, les victimes féminines étant désormais éventrées par des longues griffes. Ayant enquêté sur l'affaire trois ans auparavant sans pouvoir aller au bout, le brutal inspecteur James Rockenfield décide de reprendre ses investigations en commençant par aller rendre visite à son principal suspect de l'époque : Walter de la Poer Strade, un fortuné marquis qu'on lui avait interdit de voir à l'époque...
Commence pour Rockenfield une enquête mouvementée tant les méthodes assez musclées de l'inspecteur animent les pages. Toutefois, au fil des 6 chapitres et 180 pages composant cette histoire, Rockenfield aura fortement tendance à se faire voler la vedette par deux autres personnages, à savoir le marquis Walter lui-même, qui finit par percer les pages au fur et à mesure qu'on le découvre, et sa domestique Margaret, jeune femme à première vue frêle et douce, et pourtant dotée d'un caractère particulièrement fort dans son genre.
Concrètement, l'enquête concernant l'identité du meurtrier finit très vite, pour le lecteur, par paraître évidente dès lors qu'apparaît un certain personnage, mais ce n'est absolument pas un mal puisque Fujita ne cherche pas du tout à jouer la carte du suspense là-dessus. En effet, le souhait du mangaka est avant tout d'offrir sa propre vision du personnage de Jack Talons-à-Ressort, et d'imaginer toute une explication aux interrogations que pouvaient se poser les gens à l'époque. Qui se cache derrière ce masque ? Est-ce un démon ou un humain ? Quelle est son histoire ? Qu'est-ce qui l'a poussé à faire ça ? Comment faisait-il pour bondir à quelques mètres de haut ? Comment était conçu son costume ? Pourquoi a-t-il disparu subitement à peine quelques mois après avoir commencé ses "farces" ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à cet amas de mystères, Kazuhiro Fujita délivre un résultat captivant de par sa cohérence, sa minutie... et son savant mélange de genres témoignant d'une inventivité intacte !
Quiconque a lu Karakuri Circus et Moonlight Act le sait, l'imaginaire de cet auteur est débordant, et il est capable d'assimiler les influences avec une aisance presque déconcertante. Ainsi, ici, en plus d'offrir une enquête ayant parfois des allures de conte dans sa narration, il marie malicieusement un contexte historique crédible à des éléments plus proches du steampunk. Ses décors d'époque sont globalement saisissants de densité, que ce soit au niveau des extérieurs ou des intérieurs, et contribuent fortement à poser une ambiance assez réaliste à laquelle il ajoute l'évocation de plusieurs éléments, faits et personnages historiques : le rôle du Duc de Wellington (pour rappel, l'homme qui a battu Napoléon à Waterloo), la prison de Newgate si redoutée à l'époque... sans oublier les débuts du capitalisme accentuant encore les inégalités de classes sociales (on le ressent par exemple à travers le marquis et ses richissimes camarades de frasques d'un côté, ou au début avec la fille de joie de l'autre côté). Dans ce contexte, Fujita immisce donc cette silhouette de Jack, montée sur ressorts, affublée de griffes métalliques, d'yeux ronds et vifs et d'une large bouche vomissant volontiers quelques étranges flammes...

Si vous connaissez mal le contexte de l'époque et la légende de Jack Talons-à-Ressort, sachez que le tome, entre chaque chapitre, est ponctué de la "Gazette du Black Museum", succession de textes écrits par l'homme qui a inspiré cette histoire à Fujita : l'écrivain et traducteur Katsuo Jinka, grand connaisseur d'inquiétantes et populaires figures anglaises (Jack Talons-à-Ressort donc, mais aussi Jack l'Eventreur) ou d'autres pays (Lizzie Borden, Dracula...). Il faut lire ces textes, qui sont passionnants, car ils éclairent pas mal de choses (le contexte difficile dans lequel a grandi la popularité de l'inquiétant Jack, les hypothèses sur qui il était, les origines de Scotland Yard...), mais montrent également avec quelle minutie Fujita a tiré ses influences pour son manga (par exemple, le marquis Walter est inspiré d'un homme qui fut réellement soupçonné à l'époque, et certains coups d'éclat évoqués dans le manga - comme le choc entre deux locomotives - ont vraiment eu lieu).

Pour le reste, il faut vraiment saluer le travail visuel et narratif de Fujita.
Les planches sont denses, ne sont jamais vides, mais conservent une clarté exemplaire, le travail d'encrage apporte une intensité folle aux instants cruciaux, le design expressif et dynamique des personnages fait des merveilles, et le tout est sublimé par un souci évident de mise en scène (celle-ci étant parfois presque théâtrale)...
La narration, elle, est claire et ne souffre jamais de baisses de rythme. Elle est même très maligne, puisqu'il s'agit d'une histoire dans l'histoire : l'enquête sur le meurtrier Jack est narrée par l'inspecteur Rockenfield à la conservatrice du Black Museum (un lieu qui existe réellement : aussi appelé le Musée du crime de Scotland Yard, c'est un endroit archivant des objets et pièces à conviction sur des affaires criminelles). On voit donc, à chaque début de chapitre, l'amusante conservatrice attendre de plus en plus impatiemment la suite du récit tout comme le lecteur, tandis que dans ces cas-là Fujita applique une excellente vue à la 1ère personne sur l'inspecteur (c'est comme si nous étions dans son corps, on ne voit que ses mains). Et si, comme moi, vous vous posez des questions sur le fait que l'inspecteur raconte quelques éléments qu'il n'aurait normalement jamais dû connaître (l'enfance de Walter, ce que Francis cache à Walter lors de leurs retrouvailles...), sachez que le final répondra malicieusement à votre incrédulité !

Notons qu'après cette histoire de près de 180 pages, le reste du volume se consacre à un deuxième récit, toujours dans le même univers, mais se déroulant quelques années plus tard. Nommé "Mother Goose" (en référence à l'ensemble de contes/poèmes britanniques éponymes), il s'avère un peu plus comique, car porté par deux jeunes héros au caractère assez délicieux, et offre un prolongement vraiment plaisant, autant pour son rythme et son ambiance que pour ses nouvelles références (par exemple, l'essor de la photographie à l'époque) et pour ce qu'il nous laisse entrevoir de l'avenir de certains personnages de la première histoire.

Au final, Springald ne déçoit aucunement : dense, rythmé, cohérent, inventif, immersif, ce manga voit Kazuhiro Fujita se réapproprier à merveille le mythe de Jack Talons-à-Ressort pour offrir une petite pépite dont l'auteur a le secret. Qui plus est, l'ouvrage est servi dans une édition largement à la hauteur. La jaquette, avec son aspect granuleux, ses dorures, ses bords faussement usés et sa maquette, confère à l'objet un style proche d'un vieux livre de l'époque. A l'intérieur, le papier est bien épais, l'impression est de qualité, les 8 premières pages en couleurs sont très plaisantes, et la traduction de Sébastien Ludmann fait des merveilles entre son rythme, ses expressions tantôt d'époque tantôt bien fleuries, ou encore les rimes travaillées de la comptine de la deuxième histoire.

Notons qu'au Japon, la collection "Black Museum" se poursuit. A la fin du tome, Fujita précisait son désir d'un jour conter une autre histoire ancrée dans ce concept, chose qu'il a faite en 2014-2015 avec un récit en deux tomes, "Ghost & Lady". Inutile de dire que l'on espère vivement voir ce nouveau récit débarquer à son tour en France !


Critique 3 : L'avis du chroniqueur
Erkael

17.5 20
Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

18 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs