Ryuko Vol.1 - Actualité manga
Ryuko Vol.1 - Manga

Ryuko Vol.1 : Critiques

Ryuko

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 01 Décembre 2016

Dans le milieu des yakuzas, le clan du Dragon Noir a su étendre son influence jusqu'au Moyen-Orient, aux côtés du souverain du Royaume de Forossyah. Mais l'alliance est vouée à disparaître quand un coup d'Etat militaire entraîne la chute du pouvoir en place. Avant de succomber, le Roi Jibril confie Barrel, sa fille qui vient de naître, à Ryûko, la boss du clan, avec pour mission de protéger ce bébé.
Dix-huit ans plus tard, le bébé a bien grandi et est devenu une jeune fille aussi jolie que désireuse de prendre son envol seule, au grand dam de Ryûko qui a toujours pris soin de lui cacher son ascendance royale, et qui craint de ne plus pouvoir la protéger efficacement dans ces conditions. Mais la chef yakuza n'a pas vraiment le temps de beaucoup s'en faire face aux caprices de l'adolescente, car l'armée au pouvoir a retrouvé sa trace et attaque le QG du clan. Alors que la mort plane, et à l'heure où Forossyah pourrait bien connaître un nouveau tournant, l'affrontement amène surtout des vérités insoupçonnées qui vont ébranler ce pour quoi Ryûko se battait, et qui vont replacer face à aller le spectre d'une mère qu'elle aimait et qu'elle pensait morte. Pour tenter d'en savoir plus et de peut-être retrouver la trace de cette figure maternelle, Ryûko fait le choix de se rendre jusqu'au Japon...

Le Lézard Noir semble aimer dénicher des talents atypiques de par leur parcours hétéroclite. Ainsi, après le manga-musicien-tatoueur Bonten Taro, l'éditeur poitevin nous propose de mieux faire connaissance avec Eldo Yoshimizu, un autre artiste touche-à-tout. D'abord spécialisé dans la sculpture, il a conçu de nombreuses œuvres d’art exposées publiquement au Japon et à l’étranger. Il a aussi, par exemple, réalisé en 2003 la pièce “First Light” pour la boutique Louis Vuitton à Omotesando. C'est en 2011 qu'il décide de se lancer dans un nouveau défi en concevant une histoire dans le registre du manga, car se sentant repu dans le domaine de l’art contemporain. Le gekiga l'attire, et de là naît Ryûko, un récit qui comptera en France deux épais volumes (le premier tome fait 250 pages), qui est essentiellement présenté comme une sorte d'hommage aux anciens films de yakuzas, mais qui est en réalité plus que cela.

L'édition, par ailleurs très soignée avec son excellente traduction de Miyako Slocombe, son papier légèrement cartonné et son format rigide, attire d'emblée l'oeil de par sa couverture qui a quelque chose d'hypnotique, en ceci qu'elle joue avec la silhouette de l'héroïne, sa moto et sa longue chevelure, dans des tonalités entre le rouge du sang et le noir du chaos. En ajoutant la quatrième de couverture ponctuée de plusieurs images entre moto déchaînée, action tonitruante et jolies demoiselles, le ton est donné : le monde de Ryûko sera mouvementé et sombre.

Sombre, l'histoire de Ryûko l'est bel et bien, puisant une part de ses sources dans tout un pan du film de yakuzas. Car on y découvre un univers où rien n'est tout blanc ou tout noir, ou personne n'est totalement bon ou totalement mauvais. Un univers où les bons sentiments comme les rêves et l'amitié n'ont pas leur place, où le pouvoir et le bonheur ne s'obtiennent pas avec la loyauté et l'honneur, et  où on ne choisit pas son destin. La quête de vérité de Ryôko va venir donner un coup de pied dans une fourmilière en impactant nombre de personnages. Et de cette dernière à Barrel en passant par Garyû (le père de Ryûko), par les Russes Tatiana et Nikolaï et par bien d'autres personnages, Eldo Yoshimizu exploite à merveille sa gestion habile entre le temps présent et le passé pour nous faire comprendre que ce passé influera grandement ses différentes figures. On découvre dès lors des personnages souvent déracinés, marqués par des événements et drames qu'ils contrôlent rarement, mais qu'ils devront accepter s'ils veulent survivre. Dans Ryûko, choisir son destin semble particulièrement difficile, voire impossible. Mais c'est en grande partie ce qui permet à chacun d'eux de captiver le lecteur grâce à leur histoire personnelle.
On devine par exemple en Ryûko, figure perçant les pages, un esprit fort et indomptable surtout nourri par les traumatismes d'un passé où même les figures qu'on a le plus en admiration peuvent devenir avides et ignobles. Et en protégeant Barrel, elle accomplit non seulement sa promesse, mais se permet aussi de justifier un acte odieux qu'elle a été obligée de commettre il y a des années, cela lui permettant quelque part de tenir le coup dans ce monde chaotique. Mais la réalité de ce passé concernant son père pourrait être tout autre, et on vous laisse le soin de la découvrir.

Dans ce monde de chaos où les destins inévitables s'entrecroisent voir s'entrechoquent, évidemment, l'action est là, et celle proposée par Eldo Yoshimizu est particulièrement léchée. Les motos et hélicos crépitent, les courses-poursuites sont là, les explosions et les flingues se font entendre, les sabres sont aussi de la partie, le tout dans un rythme qui ne faiblit jamais. Il n'y a aucun moment de repos, le récit avance à vive allure en étant appuyé par des visuels toujours en mouvement. En effet, on constate que les personnages sont très rarement fixes, font toujours quelque chose, bougent comme ils le feraient dans un film, et c'est une impression que beaucoup de choses viennent renforcer : les angles de vue souvent excellents, le découpage dépassant les critères académiques (les cases bien délimitées sont rares, quand il y en a l'auteur aime jouer sur les diagonales, il arrive souvent que les bulles/cases débordent pour entretenir le flot des choses...), des dialogues finement ciselés, car jamais trop longs et abordant de façon directe ce que les images ne peuvent expliquer, des onomatopées souvent très travaillées et qui font partie intégrante des planches (do'ù le choix éditorial de ne pas du tout u toucher, ce qui n'a pas empêché Eldo Yoshimizu d'en retravailler certaines à la plume spécialement pour l'édition française) ... sans oublier le jeu régulier et hypnotique sur la longue chevelure virevoltante de Ryûko voire de certains autres personnages comme Tatiana, un jeu presque psychédélique par instants. Ryûko, c'est un vrai film sur papier.

Le dessin lui-même est d'une grande maîtrise. Les silhouettes féminines à la fois élancées, sensuelles et sexys ont un aspect rétro pouvant rappeler Leiji Matsumoto ou dans une moindre mesure Monkey Punch, les visages ont régulièrement des airs qui semblent empruntés à de grands noms du gekiga comme Sanpei Shirato ou à Osamu Tezuka (surtout celui de Barrel), ce qui évidemment colle bien à l'hommage voulu et au désir de l'artiste de faire du gekiga. Mais c'est pourtant un gekiga résolument moderne dans sa forme qu'il offre, ne serait-ce que pour ses spécificités de découpage évoquées précédemment.
Avec ses longs cheveux noirs hypnotiques, son tatouage de dragon tout au long de sa jambe dénudée, son regard perçant marqué par les événements et témoignant de sa force, Ryûko perce facilement les pages, et ce n'est sans doute pas pour rien qu'on la retrouve en égérie d'un clip musical de Lepers & Crooks, "Her Kiss", qui la met joliment en valeur.
On sent que l'artiste a énormément travaillé sur ses décors, en a pensé l'architecture avec détails, tout comme il a eu un désir de minutie sur les véhicules (un making of mis en ligne par le Lézard Noir nous informant également qu'il a utilisé des miniatures de véhicules comme modèles pour les scènes de course-poursuite). Yoshimizu alterne également des cases fourmillant de détails, d'effet crayonné et d'encrages très noirs, avec d'autres un peu, plus épurées, pour un résultat souvent fascinant.

Le résultat est une oeuvre qui commence d'excellente manière, portée par une héroïne de choc et de charme, par un ensemble ultra dynamique et par une patte riche et personnelle, pour un gekiga qui dépasse le cadre du simple hommage et sait être moderne.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs