Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 09 Juin 2015
Critique 1
En France, Goldorak est un titre culte, présenté comme un monument de l’animation nippone au point de détrôner aisément, en termes de notoriété, des œuvres comme Evangelion ou Gundam. Et pour cause, l’anime inspirée du robot de Go Nagai fut l’un des premiers issu du pays du Soleil Levant et a apporté une révolution à son époque. Au Japon, c’est une autre histoire et Goldorak, ou Grendizer, n’est qu’un segment parmi d’autres dans l’œuvre de Nagai qui s’est aussi fait connaître pour la série des Mazinger qui a d’ailleurs un impact direct sur ce one-shot. Réparant une injustice, Black Box se lance dans une opération de publication des différentes œuvres de Go Nagai, et Goldorak se devait d’en faire partie. Pour la première fois, c’est la base de la série qui nous est proposée en français à travers ce one-shot qui engendrera ensuite la série de 4 volumes signée Gosaku Ota avant d’être adaptée en série animée, celle que nous connaissons.
Actarus, prince d’Euphor, a dû quitter sa planète natale ravagée par Véga et son armée de Golgoth. Trouvant refuge sur Terre, l’orphelin est adopté par le réputé professeur Procyon et mène une vie de fermier aux côtés du vieux Rigel et sa famille. Mais les forces de Véga l’ont suivi pour détruire le Prince une bonne fois pour toutes. Alcor doit ainsi les combattre et pour ça, il peut compter sur Goldorak, robot issu de la technologie d’Euphor aux formidables compétences, mais aussi sur l’aide d’Alcor, pilote de Mazinger Z.
C’est avec une certaine émotion que se déroule la lecture de cet opus presque mythique pour les Français qui adorent Goldorak tant le récit se présente comme daté, implique un certain retour dans le temps et propose un plaisir de lecture original. Pourtant, ce one-shot ne casse pas trois pattes à un canard dans sa forme puisqu’il nous propose une succession d’histoires dans lesquelles Actarus affronte les Golgoth de Véga, et le tout sans même proposer de conclusion digne de ce nom. Tel un shônen estampillé Shueisha, l’histoire s’arrête sur la fin d’un arc narratif, tout simplement.
Et pourtant, on prend un réel plaisir devant ce volume qui ne nous intéresse pas forcément pour son scénario. Forcément, la valeur symbolique de la série entre en jeu, mais pas que. On apprécie alors e ton d’époque, le fait que la part belle soit donnée surtout et avant tout à l’action et aux robots très étranges vus d’un œil actuel, ressemblant même à des monstres ou des dinosaures. La formule est rébarbative de prime abord, mais chaque chapitre parvient suffisamment à se renouveler pour permettre un plaisir entretenu. On assiste alors à une succession d’idées, évidemment maintes fois réutilisées en 2015, mais qui étaient peut-être plus originales à l’époque : la manipulation, la trahison, la prise d’otages… Tout y passe et permet ainsi à chaque histoire d’apporter son lot de rebondissements voir de séquences dramatiques. Le tout est parfois très théâtral et donc très kitsch, mais fonctionne plutôt bien : la détresse du prince d’Euphor est palpable lors des moments les plus difficiles et l’ultime histoire de ce one-shot est même suffisamment grave et osée dans la violence pour capter notre attention jusqu’à la fin du récit.
Go Nagai ne pourrait pas être classé comme un dessinateur de génie à l’heure actuelle. Son travail sur les personnages suit les standards de l’époque et révèle même quelques imperfections au niveau de la physionomie, tant il est difficile parfois de ne pas trouver certains personnages difformes. Mais lorsqu’il s’agit de dépeindre de grandes batailles entre robots, on en prend aisément plein les mirettes. Les planches se révèlent alors plus précises et dynamiques, montrant que Go Nagai a un certain sens de la mise en scène en jouant avec les profondeurs et proposant certaines planches très cinématographiques. Les batailles se suivent ainsi avec un grand plaisir et bien que daté, on apprécie le style pour ce qu’il a à nous offrir.
Ce one-shot établit une liste importante de personnages, très stéréotypés certes, mais avec beaucoup de couleur. Du côté des gentils, Actarus et Alcor sont les principales vedettes et sont soutenus par une nuée de personnages secondaires, notamment le professeur Procyon et Rigel et sa famille. Si ces derniers servent de spectateurs (bien qu’une idylle soit suggérée entre Actarus et Vénusia), leur originalité provient de l’excentricité de certains d’entre eux. On pense notamment à Rigel, brave papy survolté qui a toute notre sympathie. De l’autre côté, les ennemis assument à 100% leur fonction de vilain de l’époque : ils sont costauds, souvent affreux et surtout affreusement maléfiques, ce qui peut constituer une certaine fraîcheur à l’heure où un antagoniste est souvent développé dans le but d’être le moins manichéen possible.
Goldorak est une lecture qui ne laisse pas indifférent. On rit du cliché que l’œuvre représente comme on apprécie le retour dans le temps proposé, tout en se laissant surprendre par une intrigue qui, bien que classique, arrive à se renouveler dans ses situations et même à capter notre attention en usant régulièrement de pirouettes narratives. Pour couronner le tout, Black Box propose une édition de bonne facture, donnant au titre un air de livre de qualité grâce au grand format, format d’ailleurs pertinent pour mieux apprécier le travail graphique parfois audacieux de Go Nagai.
Critique 2
C'est l'un des événements éditoriaux du monde du manga en France en 2015 : le mythique Gô Nagai est enfin de retour dans notre pays grâce aux éditions Black Box qui lui dédient une collection. Et c'est évidemment son oeuvre la plus populaire en France, Goldorak qui inaugure celle-ci, avec le one-shot original dessiné par Nagai en 1974-75, et le reboot en 4 tomes dessiné par Gosaku Ota là aussi en 1975.
Si Goldorak est l'oeuvre la plus populaire de Gô Nagai en France, c'est beaucoup moins le cas au Japon, et l'oeuvre doit surtout son aura chez nous à son dessin animé qui a bercé toute une génération. En réalité, le manga Goldorak est, au Japon, la troisième oeuvre d'un ensemble qui a vu naître avant Mazinger Z et Great Mazinger, deux titres beaucoup plus emblématiques et à la portée beaucoup plus forte puisqu'ils ont contribué dans leur pays à l'émergence du genre mecha.
Le premier constat à faire concernant le one-shot concerne l'édition elle-même et est mi-figue mi-raisin. Annoncé dans une édition de haute volée, le titre comporte en réels points forts sa première page couleur sur papier glacé, son autre page couleur un peu plus loin, sa traduction très claire, son grand format et sa qualité d'impression très honnête. Mais pour le reste, c'est plutôt maigre : la couverture reste austère et ne comporte aucun synopsis, le papier souffre d'un effet de transparence bien qu'il soit agréable au toucher, la police manque de variété... et, surtout, il y a de quoi regretter l'absence totale de textes de présentation. Aucune présentation de Gô Nagai, aucune présentation de Goldorak et de l'impact que l'oeuvre a eu en France... Après tant d'années à attendre le retour de Nagai en France, un minimum syndical aurait été vraiment agréable, d'autant que l'éditeur nous avait plutôt habitués à offrir des textes de présentation sur la plupart de ses titres.
Notons, enfin, que la traduction a choisi de conserver les noms français utilisés dans le dessin animé. Un choix qui pourrait éventuellement diviser les lecteurs, mais qui reste logique, tant le titre vise avant tout les nostalgiques du dessin animé. Et plus personnellement, je trouve que des noms comme Actarus, Alcor ou Venusia sont plus jolis que les noms originaux nippons, plus banals/passe-partout.
Passons maintenant à l'oeuvre en elle-même, et autant vous le dire d'emblée : hormis les noms et les grandes lignes de l'histoire que des échos m'ont donnés, je ne connais strictement rien du dessin animé Goldorak et n'en ai jamais vu un seul épisode. Cette chronique est donc celle d'un néophyte.
L'histoire, elle est simple : ayant fui à bord du robot Goldorak sa planète Euphor détruite par les armées de Vega, le prince Actarus atterrit sur Terre et fait la rencontre d'Alcor, jeune garçon qui l'amène en laboratoire pour qu'il soit soigné. Une nouvelle vie commence dans un ranch pour le prince d'Euphor aux côtés d'Alcor et des voisins, le vieux Rigel et ses enfants dont la jolie Venusia. Mais Actarus est toujours traqué par les armées de Vega, décidées à l'abattre, quitte à détruire la Terre avec. A l'intérieur de Goldorak, le prince d'Euphor n'aura de cesse de lutter contre les forces du mal pour protéger ses nouveaux amis, mais aussi pour venger la mort de ses parents, de ses amis et de tous les habitants d'Euphor.
Ainsi, le titre consistera surtout en une succession de menaces qu'Actarus tâchera de repousser, affrontant les uns après les autres les sbires de Vega, à commencer par les célèbres Golgoths. On a donc un schéma assez linéaire, dans lequel on pourra regretter le manque de consistance de la plupart des personnages. Qu'il s'agisse de Venusia, de Rigel , du professeur Procyon ou de Mizar, aucun n'a vraiment droit aux honneurs, ne serait-ce que dans des scènes plus quotidiennes qui manquent un peu, si bien que l'on n'a pas vraiment le temps de bien cerner toute l'amitié qu'Actarus a pu développer pour eux. Seul Alcor sort du lot. C'est un peu le même topo du côté des ennemis, ou des personnages comme le commandant Minos ou même Vega lui-même sont peu mis en avant.
Ce schéma linéaire et ces personnages globalement peu (voire pas) mis en avant suffisent-ils à rendre le titre inintéressant ? A vrai dire, clairement pas, car ce one-shot sait rester un divertissement efficace, emmené par un style graphique qui a bien vieilli. Gô Nagai a en effet su insuffler un design travaillé à ses robots, Goldorak en tête, et parvient sans difficulté à en faire ressortir le gigantisme et la puissance à coups de techniques bien connues comme le fulguro-poings, et c'est d'autant plus le cas qu'il le fait dans des scènes d'action qui ont conservé tout leur dynamisme et bénéficient d'angles de vue souvent travaillés où la notion de profondeur est bien palpable, ce qui est plutôt bien joué pour un titre vieux de 40 ans. Sans oublier les décors assez présents et plutôt riches, et le design des personnages humains expressifs et aisément reconnaissables. Et le schéma à beau être plutôt basique, il sait apporter ce qu'il faut d'enjeux et de tension quand il le faut, notamment à partir du moment où apparaissent Mazinger Z et Great Mazinger qui auront une grande importance dans toute la seconde moitié du tome. Mais on retiendra surtout le dernier affrontement du volume contre Barendos, un ennemi qui, de par son sadisme et sa grande cruauté, accentue considérablement le côté sombre, et permet à Nagai de laisser s'exprimer un peu plus sa propre facette sombre. La violence est bien présente, on l'avait déjà entrevue auparavant dans le volume avec quelques scènes d'exécution ou de décapitation, elle explose réellement dans ce dernier combat avec notamment des enfants broyés. Cela n'est qu'un avant-goût de plusieurs autres titres très sombres du mangaka, comme Devilman ou Violence Jack.
Finalement, l'ultime défaut des gros one-shot de 280 pages est qu'il ne comporte pas de vraie fin. Le livre se termine sur l'affrontement contre Barendos, en plein milieu d'un scénario abandonné avant de connaître une nouvelle vie avec le reboot en 4 tomes, sorti en même temps chez Black Box.
Il faudra donc prendre le one-shot original de Goldorak pour ce qu'il est : un titre inachevé, très perfectible, mais en même temps très intéressant, ne serait-ce que pour découvrir les origines en manga du mythique robot. Désormais, affaire à suivre dans la série en 4 tomes.