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Ciné-Asie Chronique ciné asie - Swordsmen

Dimanche, 24 Mai 2015 à 18h00

Manga-news est fier de vous présenter un film passé totalement – et injustement – inaperçu lors de sa sortie DVD début 2013, alors même qu'il avait été présenté en séance de minuit au festival de Cannes deux ans auparavant : Swordsmen. « Le marketing a ses raisons que la raison ignore », nous glisse dans l'oreillette Rogue Aerith, qui s'est chargé de cette chronique.
En 1917 en Chine, dans un village perdu dans le Yunnan, Liu Jinxi (Donnie Yen), un fabricant de papier, mène une vie paisible avec sa femme et ses deux fils. Confronté à deux brigands, il est contraint de se battre...et les tue par accident. Un accident, vraiment ? Ce n'est que plus tard, avec l'arrivée de l'inspecteur Xu Baijiu (Takeshi Kaneshiro), que l'on apprendra si Jinxi est vraiment celui qu'il prétend être...


Attardons-nous tout d'abord sur le titre... « Wu xia » est le titre original (mandarin donc) et le titre espagnol, tandis que « Dragon » prévaut aux États-Unis et en Allemagne, et « Swordsmen » en France... Rappelons que le titre chinois « Wu xia » fait écho à un genre de la littérature classique et populaire de l'Empire du Milieu, le « wu xia pian », qui reprend les thèmes traditionnels d'opposition du bien et du mal, du devoir et de la justice.
Généralement, des experts en arts martiaux parcourent la Chine ancienne pour se battre contre des autorités usant d'un pouvoir arbitraire, pour défendre le paysan, la veuve et l'orphelin, pour lutter contre la corruption (plutôt ironique lorsque l'on voit la Chine contemporaine). Pouvant être traduit par « film de chevalier errant » ou « film de sabre chinois », le « wu xia pian » est célèbre pour avoir inspiré récemment le « Tigre et Dragon » d'Ang Lee, le « Hero » de Zhang Yimou, les « Il était une fois en Chine » de Tsui Hark, et bien d'autres. Tout ce qui s'est fait de mieux en somme ! Un peu prétentieux de la part du réalisateur que de donner ainsi à son film le nom d'un genre ultrapopulaire en Chine ? Pas forcément, puisqu'il en reprend tous les ingrédients, et il le fait bien. Dans tous les cas, il est assez incompréhensible de voir le film prendre autant de titres différents selon le pays où il est distribué, alors que l'original est parfaitement représentatif du contenu. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué...


Réalisé par Peter Ho-sun Chan, « Swordsmen » n'a pas eu l'occasion de bénéficier d'une sortie ciné, alors même qu'il fut projeté en séance de minuit au Festival de Cannes 2011. Il a ensuite fallu attendre près de 2 ans (!!!) pour avoir droit à une sortie française direct-to-video début 2013.

Ajoutez à cela une jaquette élaborée pour attirer le fan de Donnie Yen , allant totalement à l'encontre de l'esprit du film et de l'affiche originale pourtant si jolie (« Swordsmen » N'EST PAS un film de combats), et vous obtenez la formule suivante : titre sortant de nulle part + sortie ultratardive + jaquette à côté de la plaque = un pur gâchis marketing, pour un film qui mérite pourtant le détour !

« Les seigneurs de la guerre », le précédent film du réalisateur, malgré son gros casting (Jet Li, Andy Lau, Takeshi Kaneshiro) avait déjà pâti d'une sortie française quasi simultanée avec la fresque épique de John Woo, « Les Trois Royaumes », ce qui avait donné lieu à une injuste comparaison en défaveur du premier. A croire que les démons du marketing français sont contre le réalisateur !


Toujours est-il que « Swordsmen » vaut le coup d'oeil, mais vraiment. Ni film d'arts martiaux pur et dur, ni totalement film d'aventures, il faut réellement le prendre pour ce qu'il est : un « wu xia pian » fidèle aux codes du genre... ou en détournant certains ! De plus, il paraît que Peter Chan s'est librement inspiré de « A History of violence », roman graphique de John Wagner adapté au cinéma par David Cronenberg. On ressent toutefois bien davantage l'empreinte « wu xia pian » que d'éventuelles touches faisant écho à l'oeuvre américaine...

La trame est claire et limpide. Après un début naïf, insistant trop sur un Liu Jinxi vivant tranquillement dans sa demeure avec femme et enfants, puis un combat qui n'en est pas un (vous découvrirez pourquoi...), le film ne démarre réellement qu'avec l'arrivée de l'inspecteur Xu Baijiu. Celui-ci va chercher à savoir ce qu'il s'est passé entre Jinxi et les deux malfrats. Bien que cette enquête dynamise la première partie du long-métrage, elle n'est peut-être pas aussi réussie qu'espéré. Heureusement, Peter Chan reste sage en évitant toute tentative de copie des Sherlock Holmes de Guy Ritchie, ce qui permet au film de conserver une vraie identité.

On est ici, pendant quelques minutes, plus proche du « Hero » de Zhang Yimou. Quelle est la vérité ? Peter Chan, en se basant sur les théories développées par le détective Xu, fait une relecture intelligente du récit original (celui qui nous est montré au début du film) en lui substituant une autre version conforme aux indices découverts (parties abîmées de la quincaillerie, absence de stigmates sur le corps de Jinxi, utilisation de l'espace, autopsie des cadavres...). Cette « vraie » version sera l'occasion de profiter du premier gros combat mené par Donnie Yen.
Il n'y en aura que deux autres, au milieu et à la fin du film. Ceux-ci sont plutôt inégaux. Le premier est trop « coupé » (comprendre que la chorégraphie se fait davantage au montage qu'elle n'est réellement effectuée par l'artiste martial, en l'occurrence Donnie Yen).

Le second fait trop appel aux effets spéciaux et aux cordages. Il n'y a vraiment que le dernier qui soit vraiment impressionnant, fort d'une excellente mise en scène et d'une grosse dose d'originalité (un vrai combat sur plusieurs étages), et hommage à peine voilé à « Un Seul Bras les Tua Tous », premier volet de la trilogie du « Sabreur Manchot ». Au-delà de l'exigence légendaire de votre serviteur, notez bien néanmoins que ces trois joutes restent un cran (très) au-dessus de ce qui se fait dans 90% de la production asiatique, grâce au talent, à la précision et à la technique de Donnie Yen.


Entre ces trois batailles, le cinéaste ne meuble pas. Il conduit son intrigue intelligemment, fait le choix de scènes plus intimistes pour s'intéresser à ses deux personnages principaux, et rajoute de nouveaux enjeux au fur et à mesure. Le jeu du chat et de la souris entre Jinxi et Xu laisse place à une complexification de leurs rapports, puis à des déboires pour chacun et à beaucoup d'autres choses...mais je ne vais pas trop vous en dire non plus. C'est en tout cas un réel plaisir que d'avoir une narration fluide mêlée à un scénario qui s'enrichit progressivement, sans fautes de goût apparentes, sans que ça ne tire trop en longueur, même si le rythme toussote un peu lors de phases de transition. Et il y a une surprise. Une grosse. Les effets spéciaux.

Alors que le spectateur occidental est trop souvent mort de rire face aux tentatives des studios chinois, qui malgré des moyens énormes, n'y arrivent pas (voir les deux Detective Dee ou encore le Monkey King de 2014), les quelques effets présents ici sont étonnants, car... plutôt de bonne facture. Au début du film, une dent (oui, une dent) saura vous convaincre de la véracité des lignes précédentes... Là encore, je n'en dis pas plus. Le réalisateur va même jusqu'à s'affranchir de la prévisibilité propre au genre pour offrir une fin sans concessions, avec quelques grains de noirceur, et donc plutôt réaliste. C'est bien là que l'on voit qu'il s'est approprié les codes du « wu xia » pour en faire ce qu'il en voulait. Et il n'en a pas fait n'importe quoi. « Swordsmen » a donc tout du vrai bon film, maîtrisé sur quasiment tous les plans.


Et ce n'est pas l'énorme travail sur le visuel qui va changer le ton de cette critique. Les décors, largement naturels, sont superbes (époustouflant duel dans un plan d'eau rempli d'algues, bataille finale sur deux étages et dans la boue). Peter Chan alterne entre des plans larges sur les superbes paysages du Yunnan et des gros plans sur ses personnages lors de scènes plus intimes, avec des jeux sur les éclairages. Oui, ce n'est pas forcément original, mais c'est efficace ! Et si vous voulez un peu d'inédit, regardez donc certains angles de caméra captivants, dont un très beau travelling en plongée depuis un toit lors du combat aquatique (oui, cette scène est vraiment superbe). Ce cinéaste a un petit quelque chose, il le confirme bel et bien dans ce film !

La bande-son, volontairement anachronique pour coller à l'ambiance, est extrêmement classique. Peut-être le réalisateur aurait pu oser un peu plus sur cet aspect-là.

Takeshi Kaneshiro, vieillissant, a compris qu'il ne pouvait plus tout miser sur son charme, donnant ainsi de l'ampleur à son jeu. Donnie Yen, tout en retenue comme à son habitude, montre qu'il peut être un bon acteur et cela fait plaisir à voir.

Concernant les bonus, un making-of d'une vingtaine de minutes est proposé. Cela devient tellement rare sur DVD qu'on a envie de sabrer le champagne.

Passé totalement inaperçu, « Swordsmen » mérite clairement que l'on s'attarde dessus : certes assez classiques, ses forces se trouvent dans son immersion et sa maîtrise générale. Quand on voit tous les navets sortant sur grand écran chaque semaine, c'est écœurant d'avoir vu un si bon film disparaître des plannings une fois sa projection cannoise achevée...pour réapparaître comme par magie deux ans plus tard en direct-to-video. Il y a des claques qui se perdent...
Mais vous, ne perdez pas l'occasion de profiter de ce beau « wu xia ».

L'avis du chroniqueur
RogueAerith

Dimanche, 24 Mai 2015
15 20

commentaires

saqura

De saqura [4239 Pts], le 26 Mai 2015 à 19h00

je vais voir 

Bobmorlet

De Bobmorlet [5525 Pts], le 24 Mai 2015 à 19h39

Très beau!

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