Paprika - Actualité anime

Critique du dvd : Paprika

Publiée le Vendredi, 04 Juin 2010

Paprika est un film de Satoshi Kon (à qui l'on doit notamment les films Perfect blue, Millenium actress, Tokyo Godfathers ainsi que la série Paranoia Agent). Il s'agit d'une adaptation d'un roman de Yasutaka Tsutsui (plus connu pour son roman la Traversée du temps, lui-aussi adapté en anime). Paprika a été présenté à la 63° Mostra de Venise en 2006.

Il s'agit d'un film d'anticipation, mêlé à du thriller, de la psychanalyse et un onirisme évident. Un mélange a priori déroutant mais où Satoshi Kon est passé maître, déjà aperçu dans Perfect blue.

Dans le futur, un nouveau traitement psychothérapeutique nommé PT permet de rentrer à l'intérieur des rêves des patients et de les enregistrer afin d'examiner leur inconscient. Grâce à une machine ressemblant à une oreillette, le DC Mini, généralement placée pendant le sommeil du patient, beaucoup de choses deviennent possibles. Alors que le processus est toujours en phase de test, l'un des prototypes du DC Mini est dérobé. Or, selon l'utilisation faite par le propriétaire, le DC Mini pourrait avoir des conséquences extrêmement dangereuses. Le docteur Tokita, génie excentrique et obèse, et sa collègue Atsuko Chiba, décident de s'aventurer dans le monde des rêves pour découvrir qui s'est emparé du DC Mini. Les deux scientifiques ont recours à l'alter-ego de Chiba dans le monde des rêves, l'effrontée et attachante Paprika. Ils reçoivent l'aide d'un agent de police expérimenté, tourmenté par un meurtre non élucidé.

Paprika se distingue par un début tonitruant. Rarement on a vu un démarrage aussi dynamique dans un anime. Ce démarrage est servi, comme l'ensemble du film, par la géniale musique de Susumu Hirasawa qui constitue l'un des compositeurs les plus prometteurs au Japon. La musique est un des points forts de Paprika, prolongeant l'expérience graphique. Elle est on ne peut plus appropriée à ce monde de rêves déjanté. Le compositeur nous livre une bande-son techno-punk (Hirasawa étant lui-même créateur du genre au Japon), mélange de synthétiseur, chants traditionnels orientaux et borborygmes. La musique de l'opening sort vraiment du lot et revient à chaque scène d'action marquante, la musique propre à la fanfare revient de même tout au long du film et s'avère délicieusement agaçante et entêtante, digne représentante du chaos visuel régnant à l'écran. On a donc affaire à l'une des meilleures bandes-son jamais créées pour un film d'animation japonaise, tout simplement : originale, collant parfaitement au film et allant même jusqu'à le transcender.

Le scénario est passionnant mais comme d'habitude avec Satoshi Kon, la complexité peut nuire à la compréhension si on n'a guère l'habitude de son style. De plus, le rythme est très inégal : on pourrait évoquer ce rythme particulier en le comparant à un grand huit dans un parc d'attractions (image parlante et renvoyant à la fanfare défilant de nombreuses fois dans le film).

Le graphisme retranscrit un univers délirant. C'est non pas à du psychédélique (comme dans Perfect blue) que nous avons affaire mais à une foire pétillante de couleurs toujours plus vives et entremêlées : les couleurs chaudes, notamment un rouge exaltant, sautent aux mirettes. La farandole de confettis, d'ours en peluche, de jouets, d'électro-ménager de poupées dominée constitue le fil directeur du film, marquant l’évolution scénaristique et graphique.
L'animation n'est pas en reste. Le déhanché et le mouvement des membres est fluide, alors que l'animation japonaise nous habitue trop souvent à de la rigidité morne. Tout est fait pour rendre Paprika le plus vivant et éclatant possible. Des environnements infiniment plus calmes constituent l'autre moitié du film : lieux inhabités, laboratoires remplis de nouvelles technologies, bureaux... Ce contraste est vraiment très plaisant.

Le délire pur ne renvoie pas à un chaos scénaristique, loin de là. Les personnages sont passionnants et on perçoit bien les thèmes principaux développés malgré la complexité apparente. La superposition entre le monde des rêves et la réalité, les implications de l'un sur l'autre, fait office de constante. La quête d'identité du docteur Atsuko, brune renfermée et arrogante, à travers son alter-ego Paprika, qui évoque d'autres traits de sa personnalité, est de même une problématique déterminante de l'avancée du scénario. Une métaphore peut être relevée en ce que la réunion du réel et de l'imaginaire renvoie à la réunion des deux personnalités d'Atsuko. Au-delà de l'imaginaire, Satoshi Kon va aussi jusqu'à évoquer des sujets inattendus et imperceptibles : le délire graphique est tellement grand que c'est le ridicule qui finit par être touché, la société de consommation est dénoncée, de même que le contrôle des idéologies, la liberté, et même l'amour en toute fin de film. Le scénario est complexe mais n'est pas un fourre-tout de problématiques propres au film d'anticipation, demeurant efficace car parvenant à gérer tout cela.

Là où le bât blesse, c'est qu'à force de trop vouloir en faire, Paprika néglige totalement un aspect pourtant fondamental du film. S'il se surpasse dans l'anticipation, la psychanalyse (à travers des personnages excellents) et dans l'onirisme et le délire, Paprika en oublie son intrigue de fond, c'est-à-dire l'intérêt de l'enquête menée par les scientifiques. Tout l'aspect thriller est délaissé. Non seulement une question reste en suspens sur la fin (l'identité de l'homme recherché par le policier, pourtant récurrente), mais on devine aussi trop rapidement, et aisément, qui est l'auteur du vol du bijou technologique... Cela est regrettable, puisque le scénario perd de son intérêt et de sa crédibilité.

Notons les références, nombreuses, sonnant évidemment comme des clins d'oeil du réalisateur à ses fans. Dans un film relatif à l'imaginaire, Satoshi Kon pouvait se permettre certains plaisirs sans desservir l'oeuvre, et il ne s'en est pas privé. Premièrement, dans le bar Radio club, il y a deux barmen. C'est Satoshi Kon lui-même qui fait la voix du grand mince et Yasutaka Tsutsui qui fait la voix du grassouillet à moustache. En second lieu, dans la scène du train, lorsque le rêve se déchire, la bande-son est le générique de Paranoia Agent. Enfin, à la fin du film, Paprika recommande au policier d'aller voir le film « Les enfants qui rêvent ». En se rendant au guichet, on peut remarquer les affiches en présentation des trois autres films de Satoshi Kon (Perfect Blue, Millennium Actress et Tokyo Godfathers).

Cette version est contenue dans un fourreau et contient 2 DVD. Le premier DVD comprend le film, proposé en japonais ou en français, tandis que les sous-titres sont disponibles en français, arabe et anglais. Des commentaires de l'équipe du film peuvent être activés durant le film. Remarquons que les quatre bande-annonces sont accessibles à travers un menu ou un sous-menu (une curieuse redondance). Le second DVD contient des suppléments en version originale (les langues du sous-titrage sont variées) : il s'agit d'interview et de reportages portant sur la réalisation et la conception du film, l'adaptation par rapport au roman, les opinions des auteurs quant à l'imaginaire. Tout ceci apporte un véritable plus au film et montre une nouvelle fois que l'équipe a préféré réaliser une expérience graphique basée sur l'imaginaire et un film d'anticipation osé plutôt qu'un bon thriller.
On salue les traducteurs qui nous ont proposé des sous-titres français reprenant les raisonnements décousus des personnages sombrant dans la folie, des dialogues aussi barrés n'étant certainement pas faciles à traduire.

Paprika se révèle donc comme un des meilleurs films portant sur le rapport de l'humain vis-à-vis du rêve. Mais ne pouvant pas être brillant sur tous les points, il délaisse une intrigue de fond pourtant importante.

Paprika apparaît, hélas, comme un mauvais thriller mais un excellent film d'anticipation et une expérience graphique extrêmement riche. Le fait que les auteurs ne se soient pas attachés davantage à l'aspect thriller n'est de toute façon pas si grave, cet aspect finissant par passer au second plan.

L'image est étincelante, la musique admirable, le scénario inégal mais très généreux.
A voir absolument.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
RogueAerith

16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs