Monsieur est servi ! - Actualité manga

Monsieur est servi ! : Critiques

Hanaukyô Maid Tai

Critique de la série manga

Publiée le Jeudi, 28 Février 2013

Alors que le fan service s’est fondu dans la masse des genres, Monsieur est servi ! remet les pendules à l’heure en retournant aux sources du phénomène. Des filles, toujours plus de filles… Le lecteur est donc aussi servi, même si une autre lecture, moins légère, met au jour certains travers de ce type de mangas.

Impossible, aujourd’hui, d’échapper au fan service. Même les plus ignorants, ou les plus retords, sont tombés dans le piège sans le savoir, au détour d’une série, d’un volume ou simplement d’une page. En effet, le phénomène est tel qu’il imprègne toute la production manga en général, et shônen en particulier, depuis plus d’une dizaine d’années. Déjà en 1989, Masakazu Katsura dessinait sa Video Girl Aï dans des positions suggestives ou vêtu d’une simple culotte. Il continua avec I’’s en 1997, où son héroïne Iori devient une Idol typique des magazines masculins japonais, quand elle ne se fait pas le relais du lolicon – contraction de Lolita Complex, cette attirance malsaine des hommes mûrs pour les jeunes écolières en uniformes. Le célèbre Ah ! My Goddess de Kosuke Fujishima accentua le côté « bonne à tout faire », tandis que Love Hina de Ken Akamatsu devint incontournable grâce à son véritable harem gravitant autour du pauvre Keitaro, qui, tout compte fait, n’est peut-être pas si à plaindre que cela. Les séries animées prirent le relais en multipliant le concept de fan service à outrance : Mahoromatic, Hand Maid May ou encore L’invincible Nuku Nuku pour les rares à être arrivés jusque chez nous. Plus souvent extraterrestres ou cyborgs qu’humaines (une manière comme une autre de garder une certaine distance, voire une distanciation), les nymphettes sont toutes dévouées corps (surtout) et âme au héros, un gentil loser complexé et mal dans sa peau. Le reflet à peine déformé du lecteur mâle de base, ou du moins de l’image qu’il a de lui-même. Alors que le phénomène, dans sa forme originelle, semblait s’être dissolu pour renaître sous d’autres comme dans No Bra (et son absurde retournement de situation et de sexe) ou l’inédit Ichigo 100% (et son traditionnel triangle… carré amoureux), Monsieur est servi ! débarque en France et se pose là.

« slurp », « boiing » et « zzziippp » !?!

Créé en l’an 2000, soit en plein boum du fan service, le manga fut adapté par deux fois en série animée, en 2001 (+ 3 OAV) et en 2004. Les premières pages ne laissent d’ailleurs aucun doute. Nous voilà replongés des années en arrière, où les clichés du genre sévissaient encore.
A la mort de sa mère, Tarô Hanaukyô, 14 ans, devient orphelin, et son grand-père, le sachant seul, lui demande de venir le rejoindre à Tôkyô. Mais ce dernier est parti vivre sur une île et Tarô se retrouve malgré lui propulsé à la tête d’une immense résidence, où une armée de servantes (« soubrettes » dans le manga, terme plus théâtral et comique) est à sa disposition. Rien d’original donc, et rien de bien méchant non plus… sauf qu’à la troisième page, l’une des soubrettes accueille son nouveau maître en lui gobant la bouche, avant grand renfort de « slurp » et de « boiing ». A peine Tarô a-t-il le temps de faire le tour de sa nouvelle demeure et d’aller aux toilettes que « zzziiippp » une autre lui descend la fermeture de son pantalon pour une gâterie. Car « nous faisions toujours comme cela avec le vieux maître », explique l’une d’entre elles. En effet, le grand-père n’est rien d’autre qu’un sale pervers et a ainsi conditionné la plupart de ses servantes pour les pires basses besognes. Mais ce n’est pas du goût de Tarô, dont les principes risquent fort de chambouler cette petite vie de château. Il faut oublier certaines considérations scénaristiques (d’où viennent les soubrettes ? comment peuvent-elles être aussi nombreuses ?) pour se laisser aller dans une suite de péripéties plus improbables les unes que les autres, et surtout plus sages que le début un peu scabreux ne le présage.

Un cahier des charges suivi à la lettre

Le mangaka Morishige ne fait ni dans la finesse, ni dans l’originalité. Il se place dans le sillon de Love Hina et caricature ce dernier à l’extrême. Les quatre servantes principales rappellent d’ailleurs un peu trop des figures féminines du manga de Ken Akamatsu. Mariel est une Naru insipide, Noé la responsable de la sécurité ressemble comme deux gouttes d’eau à Motoko la samouraï et Ikuyo la scientifique est une gentille gaffeuse dans l’esprit de Sû. Bien que celle-ci se retrouve aussi dans le personnage de la petite Cynthia. Aucune règle définitive donc, mais le manga suit tout de même le cahier des charges du fan service à la lettre. Chaque chapitre conte une aventure propice à dénuder les soubrettes, à multiplier les explosions ou à poser un problème technologique. Tout est mis en œuvre pour caresser le lecteur, et encore plus l’otaku, dans le sens du poil, et nourrir ses fantasmes. Des filles, des robots, de l’action, de l’humour… que demander de plus ?! A moins d’être très regardant, force est de constater que le manga remplit en effet son contrat, surtout qu’au final, comme pour Love Hina, la morale est toujours sauve. Mais n’est-ce pas le cas de pléthore de mangas ? Le principal défaut de Monsieur est servi !, au-delà de son manque flagrant de créativité, est d’arriver après la tempête – plus de cinq ans maintenant.

Double lecture

Cacherait-il une subtilité qui aurait échappé à nos yeux experts ? Difficile à dire, ou de tirer des conclusions concrètes au bout d’un seul et unique volume. Certains assureront que le manga fournit au lecteur ce qu’il demande, purement et simplement, dans la grande tradition du fan service, et encore plus du ecchi pour le léger érotisme. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les éditions Punch Comics ont intégré un tel titre à leur collection ecchi, qui accueille aussi No Bra. Mais contrairement à ce dernier, Monsieur est servi ! se débarrasse de toute réelle narration ou enjeux pour devenir un simple produit de consommation, dont le but est de titiller le lecteur, entre autres, en dessous de la ceinture. Il n’y a foncièrement pas de mal à ça, mais à y regarder de plus près, il est vrai qu’à l’image des premières pages osées, certains passages dérapent légèrement et valent aisément au manga son avertissement « pour public averti » en couverture. Les filles ne sont pas simplement légèrement dénudées du genre « cachez ce sein que je ne saurais voir », mais plutôt les vêtements déchirés ou en train de se frotter au héros. Ces scènes ne sont pas légion (à peine une poignée dans le premier tome), mais elles donnent un indice sur l’esprit qui règne. De même, le fait que la frêle Cynthia se révèle avoir une double personnalité, plus diabolique, n’étonnera peut-être personne. Mais le thème, pourtant délicat, est traité paradoxalement par-dessus la jambe. Tout concorde à créer un environnement érotisé et pas si moral qu’il n’y paraît. Certaines idées, ou plutôt l’insouciance avec laquelle elles sont véhiculées peut devenir tout à fait contestable. Un peu à la manière du travail de Tatsuya Egawa avec Talulu, le magicien. Sous des dehors naïfs et enfantins, le mangaka érotomane dérive parfois vers des considérations plus adultes, sexuelles, et donc parfois déstabilisantes (même inconsciemment) pour un lecteur non averti. Cet auteur est aujourd’hui bien (re)connu pour son obsession du sexe sous toutes ses formes, ce qui peut se révéler tout à fait intéressant, comme dans Golden Boy. Morishige se rapprochait donc plus d’un Tatsuya Egawa que d’un Ken Akamatsu, ce jusque dans son dessin anguleux et caricatural.

Mais, ne vous y tromper pas, Monsieur est servi ! est avant tout un divertissement sans prétention, sans fioritures. Seulement, il navigue entre deux eaux, et l’on ne saisit pas encore bien à qui veut s’adresser réellement son auteur Morishige. Il n’est donc pas à mettre entre toutes les mains, et l’éditeur Taifu Comics l’a compris en prenant les précautions de rigueur.

Hoagie