Wet moon - Actualité manga
Wet moon - Manga

Avis sur Wet moon

Wet Moon

Anvil

De Anvil [830 Pts], le 14 Février 2016 à 19h05

16/20

S'il fallait résumer le manga Wet Moon en quelques points, quatre s'imposeraient :

Le manga est, d’abord, ... un malentendu. La première fois que j’ai vu passer le titre entre mes doigts, j’ai lu « Wet Mom ». J'en ai donc déduit que cette œuvre n’appartenait pas vraiment à mes lectures habituelles. Mais en parcourant les pages, j’ai rapidement ajouté le o manquant pour être en présence d’une « Lune moite »… le titre des deux premiers chapitres.

La série est, ensuite, une expérience olfactive. Oui, vous avez bien lu. C’est la première fois que l’odeur d’un livre me semble correspondre à son contenu, nous donner une sorte d’avant-goût de l’atmosphère. Je ne sais pas si cela vient du procédé d’impression, de la manière dont l’ouvrage fut transporté, entreposé etc. mais cette série a une odeur. (Je ne sais pas si elle a un goût car je n’ai pas poussé le bouchon au point de goûter une page ou deux.)

C’est aussi une expérience visuelle qui s'offre à nous : l’agencement des planches m’a fait penser au travail entrepris par Eiji Otsuka et Kamui Fujiwara pour Unlucky Young Men, avec une approche très cinématographique. Ici aussi une telle approche est à l’œuvre même si elle ne se manifeste pas de la même manière (notamment dans le rendu graphique). A travers le découpage des cases, les gros plans, l’agencement des décors, les contre-plongées… Atsushi Kaneko déploie toute une panoplie qui inscrit son œuvre du côté du septième art. Et ce n’est pas un hasard car l’auteur a conçu Wet Moon pour que l'histoire du manga devienne un film.

Enfin, le manga propose une expérience de lecture qu’on ne rencontre pas tous les jours. Le temps est sans doute la notion centrale dans la série, couplée avec celle de lieu. Pourquoi ? Parce que dans ce manga on ne sait pas trop où on est, où on va voire… qui nous sommes. On se perd et, le pire (?), c’est qu’on finit par en redemander ! La faute en incombe bien évidemment à l’auteur : Atsushi Kaneko joue avec Sata, le personnage principal, et avec les lecteurs. L’inspecteur est victime d’hallucinations aussi des blancs, des ellipses ne sont pas rares. On était à l'instant t dans un lieu l et nous voilà ailleurs sur la page suivante, dans le futur ou dans le passé. Pour se repérer on peut toujours regarder si Sata a ou non sa cicatrice au niveau de la tempe droite (s’il ne l’a pas c’est que nous sommes dans le passé). Pour le lieu on le découvre par la suite, sauf si Sata est sur la Lune car là on sait qu'il déraille, qu’il a « les fils qui se touchent » car pour lui « il n’y a absolument aucune chance pour que les hommes aillent un jour sur la Lune » (une phrase moins anodine qu’il n’y paraît, vous verrez en lisant la série).

On accompagne donc notre inspecteur dans ses tribulations et hallucinations (les fourmis qu'il voit sur les autres, le sol...) et on a le tournis. Sata a un bout de métal dans le crâne, qui lui provoque ses pertes de mémoire, troubles… Alors que son médecin lui recommande de prendre du recul, de ne pas continuer à travailler, le jeune inspecteur ne l’écoute pas. Il s’entête : il veut retrouver Kiwako Komiyama, la meurtrière supposée d'un artisan/ingénieur travaillant pour un programme spatial. Il la poursuit en placardant des affiches d'elle un peu partout dans Tatsumi – il imprime lui-même les affiches. Un tel zèle ne lui vaut pas que des amitiés. Il en fait trop, bondit sur la première personne qui dit avoir vu Kiwako... Il dérange. Pourquoi un tel acharnement ? Une telle obsession ? En la retrouvant il espère comprendre ce qui lui est arrivé, comment la poursuite s'est terminée, comment il a été « accidenté » mais on comprend qu'au-delà de ces raisons il y a autre chose. Cette course-poursuite infernal se déguste à volonté et j'ai énormément apprécié ce qui se passe dans les chapitres 19 et 20 du tome 3 avec la fuite dans la station service puis dans la maison inhabitée.

En plus de cette (en)quête, Sata doit composer avec des collègues sympathiques en apparence (le capitaine Mori par exemple) mais qui se méfient de lui. Il faut dire que la police ne semble pas bien nette, à tremper dans des affaires louches où on retrouve le maire et la mafia. Sata n’est pas là-dedans aussi il représente un risque potentiel, surtout avec sa « fragilité psychique » du moment. Ajoutons un soupçon de mystère avec différents individus qui n’auraient pas volé leur place dans les aventures de Blake et Mortimer et un mystérieux informateur, Tamayama, dont la seule évocation suffit à plomber l'ambiance d'une salle, et qui pourrait aider notre inspecteur.

L’intrigue se déroule dans les années 1960, période marquée par la course à la Lune. Cette conquête spatiale imprimera sa marque discrète au fil des pages. La Lune est alors un élément important dans le manga. Pas seulement à cause de sa conquête et de ses apparitions récurrentes – à tel point qu’on finit par avoir l’impression que le manga se déroule de nuit tant on prête peu attention à ce qui se passe de jour – mais aussi à cause du parallèle qui s’établit entre la Lune version Méliès (1902) et Sata : obus dans l’œil pour la première, bout de métal dans le crâne pour le second, il y a comme un air de famille…

Finalement, au fil des pages, des scènes de fête hypnotiques, des personnages hors normes, des déambulations plus ou moins alcoolisées de Sata, on profite peu de la station balnéaire. La plage ne sert pas à se baigner mais à voir Sata courir après Kiwako ou un type qui s'enfuit. On peut même se demander si on est bien au Japon tant la distance semble parfois mince entre ce qui se passe dans Wet Moon et ce que l’on peut retrouver dans les films policiers américains traitant de tels thèmes – point évoqué du reste par le synopsis (rapprochement Tatsumi - Las Vegas). De plus, l’univers du manga se dévoile tout au long des trois tomes, laissant le lecteur en mode découverte pour un bon moment : nous ne sommes pas en vase clos mais dans un monde qui se déploie... pour mieux nous entraîner et nous engloutir, nous imprégner de cette atmosphère pesante.

Deux mots sur l’édition française – il serait dommage de ne rien en dire : les trois tomes sont en format 13 cm par 18 cm ce qui permet de les manipuler sans difficulté. Les couvertures cartonnées sont agréables au toucher et j’adore la page presque transparente qui figure au début des volumes. La traduction est très agréable, le propos des personnages est fluide et se lit d'une traite. En somme il n'y a pas grand-chose à commenter parce que le travail est très bien fait.

Le moment est venu de conclure notre parcours. Avec Wet Moon vous avez du deux en un : d'abord un manga en trois tomes, proposant une histoire assez folle, une course-poursuite qui ne vous laissera pas insensible en vous donnant le tournis tandis que vous explorez la face cachée du monde. Ensuite c’est un film noir couché sur le papier qui vous donnera accès à une séance de cinéma sans avoir besoin de bouger de chez vous ou d'allumer un écran. Pas mal non ? Ce premier contact, pour ma part, avec Atsushi Kaneko se termine donc de manière plus que positive. Un vrai coup de cœur.

Wet Moon a reçu le Prix Asie de la Critique ACBD 2014.

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