Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 14 Novembre 2022
La maison Coamix, fondée par l'ancien directeur éditorial du Shônen Jump qu'est Nobuhiko Horie en compagnie de vétérans tels que Tsukasa Hôjo et Tetsuo Hara, est porteuse de licences comme de projets. Ainsi, quand Hara et Hôjo récupèrent les droits de Hokuto no Ken et City Hunter, voilà l'occasion idéale pour enrichir leurs licences par des spin-offs, avec un regard strict. À côté, il semble que l'éditeur nippon ait trouvé un véritable concept, né avec Valkyrie Apocalypse : Sous l'œil de divins, des figures historiques nous sont montrées confrontant les dieux, dans des duels spectaculaires et invraisemblables. Ainsi, en octobre 2020, le magazine Comic Zenon accueille le pan féminin de cette mécanique : Majo Taisen – 32-ri no Isai no Majo wa Koroshiau (que l'on peut traduire par « La guerre des sorcières – Quand 32 sorcières formidables s'entretuent »).
Cette fois, le projet est porté par Homura Kawamoto, auteur de la saga Gambling School. Il assure l'écriture tandis que le dessin est assuré par Makoto Shiozuka, un mangaka dont nous avons déjà pu apprécier les travaux avec Shimba Ra Da aux éditions Tonkam, puis Meminisse aux éditions Doki Doki. Deux artistes chevronnés donc, qui mènent une série qui semble bien se porter puisque 5 volumes sont déjà parus au Japon. De notre côté, là où Ki-oon propose Valkyrie Apocalypse dans son catalogue, c'est Pika qui s'empare de son alter ego, le proposant sous le titre anglophone Wicthes' War.
C'est du point de vue de Jeanne d'Arc que débute l'histoire de cette guerre entre sorcières. Après avoir été éduquée dans le catholicisme le plus strict, Jeanne n'a cessé d'obéir aux figures d'autorité qui l'entouraient. Alors, quand elle entend une voix de Dieu lui imposant de chasser l'envahisseur anglais du pays, la jeune femme s'exécute, participant aux guerres contre l'ennemi, avant d'être brulée vive pour sorcellerie. Au lieu de mourir, Jeanne est accueillie dans un lieu hors du temps, parmi trente-et-une autres femmes qui partagent son destin : Toutes sont des « sorcières » à la vie exceptionnelle, et c'est sous les ordres de la reine des démons Agrat Bat Mahlat qu'elles devront se livrer bataille, dans des duels à mort qui ne laissera la vie sauve qu'à l'une d'entre elles. Mais la récompense est à la hauteur de l'événement, puisque la survivante verra son plus grand désir exaucé par la démone...
Le concept de Wicthes' War, un peu comme celui de Valkyrie Apocalypse, est assez brillant de simplicité. C'est d'ailleurs à l'image de son titre qui ne plante pas de grande prétention, si ce n'est celle de divertir via des combats sanglants et acharnés, en prenant pour héroïnes des grandes figures féminines de l'histoire dont le vécu est largement romancé. La série de Homura Kawamoto et Makoto Shiozuka ne prétend pas être une encyclopédie historique, mais un défouloir où se mélangent boucherie et défilé de femmes historiques, dépeintes par de belles silhouettes, parfois même sexy. De la série B, donc, mais qui peut être tout à fait satisfaisante.
Et c'est le cas. À partir du moment où le lecteur accepte ce contrat passé avec les auteurs, ce premier volume vient constituer une agréable lecture, grisante par sa violence et par son utilisation des codes du récit de combat à tendance surnaturelle. La bonne idée de Kawamoto dans ce titre, c'est de jongler avec de pures batailles à armes blanches, puis de bifurquer sur des éléments fantastiques avec l'implantation du concept magique. Simple dans les faits, celui-ci consiste à octroyer un pouvoir ou une arme à l'image de chacune des combattantes, de quoi étoffer les affrontements par des techniques basées sur leurs personnalités. Pour le premier face à face, la guerrière Tomoe Gozen s'oppose à la sadique Elizabeth Bathory, deux figures qui ne sont pas forcément les plus parlantes pour un lectorat français, mais dont on apprécie le combat endiablé et sanguinolent. Et si Witches' War n'est certainement pas une œuvre didactique, peut-être donnera-t-elle l'envie de s'intéresser à chaque fois aux sorcières qui se confrontent.
À côté, un petit semblant d'intrigue vient nous saisir au fil des pages en la personne de Jeanne d'Arc. Personnage ni sympathique ni antipathique, la demoiselle incarne un vide volontaire qui laisse place à un potentiel développement tout le long de la bataille. La série prend certes un parti-pris en la dépeignant comme une héroïne, ce qui implique une quasi-impossibilité de défaite jusqu'à la fin, mais la manœuvre est astucieuse pour établir un intérêt scénaristique à côté de l'aspect jouissif du tournoi.
Et si l'ensemble demeure efficace, c'est parce que la patte de Makoto Shiozuka est assez idéale pour un tel manga. Son trait est fin, maîtrisé et dense, et sa narration se montre grandiloquente. Que ce soit pour symboliser les figures historiques sous l'apparence de jolies filles ou pour gratter des combats violents et explosifs, l'artiste relève admirablement le challenge. Alors, dans tous ses ingrédients, Witches' War s'annonce comme une sympathique lecture sur le long terme, à condition que le titre parvienne à se renouveler ponctuellement. Une série B d'action aux jolies promesses, à condition d'accepter le postulat de départ, bien entendu.
Côté édition, Pika livre une belle copie, que ce soit par la fabrication, le lettrage bien calibré de Raphaëlle Marx, la traduction pertinente de Xabière Daumarie, et la belle maquette de couverture aux allures de chroniques guerrières signée Tom « spAde » Bertrand.