Vie devant toi (la) - Actualité manga
Vie devant toi (la) - Manga

Vie devant toi (la) : Critiques

Kûya Shônin ga ita

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 07 Juin 2019

Sôsuke Nakatsu, 27 ans, exerçait encore, 5 jours auparavant, un travail d'aide-soignant au sein d'un EHPAD, un job qu'il avait choisi un peu en désespoir de cause, mais qu'il exerçait avec application. Pourtant, suite à un drame, il a récemment choisi de démissionner, malgré le soutien de ses collègues ainsi que la réticence de Masami Shigematsu, l'assistante sociale de 46 ans qui s'occupe de lui. C'est pourtant grâce à cette dernière qu'il retrouve rapidement un travail auprès de Seijirô Yoshizaki, un vieil homme de 81 ans qui se déplace en fauteuil roulant, a besoin d'aide pour prendre son bain... Le vieillard est réputé acariâtre voire capricieux, ayant donné congé à ses précédents auxiliaires de vie, mais qu'en est-il exactement ? A son contact, il se pourrait bien que Sôsuke passe outre le sentiment de culpabilité qui le ronge et qu'il change. Mais il pourrait en être tout autant de Mlle Shigemitsu, femme indépendante cachant ses propres doutes, voire du vieil homme lui-même, qui pourrait se confier un peu plus au gré de ses comportements et demandes parfois étranges.

Ki-itchi, Ki-itchi VS, The world is mine: en trois oeuvres parues en France, le vétéran du manga Hideki Arai s'est largement imposé parmi les plus brillants mangakas polémistes de ces dernières décennies. Même si'l ne connaît en France qu'une estime de niche et qu'il n'est malheureusement pas assez publié chez nous, ses portraits au vitriol et colériques d'une société partant en vrille ont sans nul doute marqué en profondeur ses lecteurs. Et trois ans et dmei après la fin en France de Ki-itchi VS, on le retrouve avec beaucoup d'attente dans notre langue aux éditions Akata. Un beau retour aux sources pour Akata, puisque c'est grâce à eux, à l'époque de leur collaboration avec Delcourt, qu'on avait pu découvrir pour la première fois l'auteur dans notre langue, avec Ki-itchi en 2003.

Au programme de cet épais one-shot de plus de 350 pages, toutefois, on retrouve un Hideki Arai qui a changé, comme il l'explique dans sa préface. L'homme qui martelait autrefois ses messages de façon enragée pour faire bouger le peuple apathique se dit, depuis quelque temps, que face à une société qui devient elle-même de plus en plus folle avec son obsession du fric et du pouvoir, mieux valait répondre désormais par la raison et la morale. La forme est donc un peu différente ici, mais le Hideki Arai révolté que l'on a toujours connu est toujours là. Simplement, il a évolué, sa façon de s'exprimer a pris une nouvelle forme... et quelle forme !

C'est effectivement dans un récit à la fois dur, poétique et humain que l'auteur nous plonge en adaptant un roman de Taichi Yamada, roman qui l'a complètement chamboulé quand il l'a lu en mai 2011, un peu après la catastrophe de mars 2011. Il s'agit d'ailleurs de la première fois que Arai donne dans l'adaptation d'une autre oeuvre, et nul doute qu'il en a ressorti toute la dureté, mais aussi toute la beauté et la luminosité, au fil d'un portrait de trois vies destinées à s'impacter.

Sôsuke. Yoshizaki. Shigemitsu. Trois êtres bien différents, mais voués à croiser leurs vie d'une façon qui, au bout du compte, sera peut-être salvatrice pour chacun d'eux, car tous trois renferment en eux certaines détresses. Célibataire à 46 ans, ayant toujours voulu se montrer indépendante au risque de rater bien des occasions et de passer pour une personne imbue, Shigemitsu, dans son évolution et sa remise en question finale, s'avère touchante et humaine, tout comme les deux autres. A travers Sôsuke et son sentiment de culpabilité suite à un drame, le récit met en valeur toute la difficulté et, en même temps, l'essentialité et l'humanité parfois délicate du travail en EHPAD et plus généralement des soins envers les personnes âgées, tâches pouvant être très ingrates (surtout quand la personne âgée est démente, auquel cas aucun rapport émotionnel réel n'est possible... du moins, peut-être) mais étant en même temps admirables par plus d'un aspect, ne serait que l'abnégation qu'on peut y trouver, ainsi que le désir d'aider les autres. En plein doute, le jeune homme pourrait bien trouver des choses salvatrices en Yoshizaki, même si ce dernier démontre régulièrement des facettes moins belles, y compris vers la fin, facettes qui le rendent surtout très humain. Quant à Yoshizaki lui-même, il offre un portrait beau, poignant et parfois déroutant de ce que peuvent être la vieillesse, le sentiment de devoir bientôt mourir, les regrets, le fait d'avoir vu disparaître les unes après les autres toutes les choses qui faisaient sa vie... mais également la volonté, lumineuse, de vivre jusqu'au bout et de laisser une trace auprès de Sôsuke et Shigemitsu.

Il y aurait beaucoup de choses à dire encore sur ce récit très riche, mais on va s'arrêter là et vous laisser le loisir de découvrir par vous même toute la profondeur d'une oeuvre tour à tour douce et poétique, ou difficile et cruelle. Dans tous les cas, il s'agit d'un récit à l'humanité sublime, qui ne laisse pas indifférent, et qui est porté par un dessin où l'on reconnaît bien le trait typique d'Arai, mais dans une mise en scène et un découpage plus doux, plus posés. Ca ne l'empêche aucunement d'offrir quelques belles petites variations stylistiques (quelques lavis, quelques effets plus crayonnés pour certains mini-flashback impliquant Yoshizaki, un style plus blanc et allant vers l'épure pour certains souvenirs de Sôsuke...), ainsi que des décors omniprésents et très réalistes ancrant très bien l'oeuvre dans notre monde.

Il ne faut pas oublier de lire, en fin de tome, la très longue rencontre de 14 pages entre Hideki Arai et Taichi Yamada. passionnante, celle-ci éclaire beaucoup de choses sur l'oeuvre, mais aussi sur le rapport des deux hommes entre eux et à leur oeuvre.

Côté édition, c'est de l'excellent travail. Grâce à un papier assez souple tout en restant épais et dépourvu de transparence, le livre est facile à manipuler malgré ses plus de 350 pages. Le travail de lettrage est très soigné (on notera, comme toujours, le choix éditorial de traduite et remplacer les onomatopées, chose qui plaira ou non), et la traduction d'Aurélien Estager est impeccable avec des aspects à la fois authentiques, bruts, humains et donc naturels.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs