Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 17 Décembre 2024
Parallèlement aux différents volets de sa saga culte Doukyuusei, les éditions Hana continuent d'explorer la carrière boy's love de la talentueuse Asumiko Nakamura, et ont ainsi publié en fin d'année 2023 les deux volumes de la série Les vestiges d'un parfum. De son nom original "Kaori no Keishou" (dont le titre français est une traduction fidèle), cette oeuvre fut, à l'origine, prépubliée au Japon entre 2008 et 2015 dans le magazine Be x Boy Gold des éditions Libre Publishing.
Cette histoire nous immisce au sein d'une riche famille japonaise dirigée par Shinobu, un homme à la tête de l'entreprise familiale. Bourreau de travail, il a peu de temps à accorder à son épouse Mariko et à son fils adolescent Kaname, et semble carrément détester son propre petit frère Takezô... au grand dam de ce dernier, qui a toujours eu pour son aîné une fascination malsaine ayant pris la forme d'un amour impossible à assouvir. Alors, que fera Takezô quand il aura, de bien étrange manière, une occasion de vivre en quelque sorte cette passion interdite ? En effet, c'est Kaname lui-même qui, parce qu'il a conscience des sentiments de Takezô, par curiosité et "parce que ça a l'air marrant" d'après ses dires, propose à son oncle un stratagème glauque à souhait: il compte rendre temporairement son père "aveugle", puis inciter Takezô à abuser de lui en se faisant passer pour Mariko, en empruntant le parfum et les gants de cette dernière...
Quand l'éditeur affiche, en quatrième de couverture, un avertissement pour public averti mentionnant des scènes de viol, d'inceste et de sexe explicite, l'éditeur ne ment pas: dès le premier chapitre qui contient tout ce qui est dit dans le résumé ci-dessus, Asumiko Nakamura livre l'une des oeuvres les plus malsaines de sa carrière, brisant ensuite un par un nombre de tabous, jusqu'à même inclure un personnage mineur dans ses moments érotiques. L'effet est forcément immédiat: la mangaka bouscule son lectorat à travers un récit qui envoie valser toute morale de manière assez crue, quitte à rendre son oeuvre très difficile d'accès au vu de ce qu'elle aborder.
Et pourtant, ne vous attendez pas à un récit se complaisant purement dans un voyeurisme malsain, car à l'image de certains cinéastes japonais souvent transgressifs d'il y a quelques décennies (Nagisa Oshima, par exemple), la mangaka propose un abord choquant du sexe pour mieux rendre marquant le portrait qu'elle va ensuite, petit à petit, faire de chacun de ses personnages principaux. Et le résultat est assez saisissant à plus d'un égard. Non seulement, la mangaka brille par son dessin fin typique dégageant une profonde sensualité, par la précision de ses découpages et de ses angles de vue faisant ressortir tout le ressenti des héros, par son écriture décortiquant finement, peu à peu, chacun des trois personnages centraux, et par sa construction scénaristique jouant sur différentes périodes non-chronologiques où les odeurs et le parfum font souvent office de transition. Mais en plus, elle nous laisse ainsi tout le loisir de cerner à petites doses le véritable fond de ses protagonistes, chez qui le sexe semble servir d'échappatoire à quelque chose: l'impossibilité de vivre au grand jour un amour interdit pour l'un, et le besoin de combler même artificiellement une existence vide de sens pour l'autre. Chacun des deux hommes doit contenir ce qu'il ressent comme si cela n'existait pas, et à ce titre le concept des bandeaux sur les yeux est hautement symbolique et bien trouvé. Reste, alors, le cas de Kaname, peut-être le personnage le plus intrigant tout compte fait. Pourquoi agit-il comme il le fait ? Est-ce simplement "parce que ça a l'air marrant" ? Par curiosité malsaine envers le sexe qu'il connaît déjà bien à son jeune âge d'adolescent précoce ? Pour exorciser lui aussi quelque chose ? Espérons que le deuxième volume apportera des éléments de réponse.
A l'arrivée, on a un volume-choc, brisant beaucoup de tabous dans une atmosphère assez malsaine, et qui ne plaira clairement pas à tout le monde en étant sans aucun doute, à ce jour, l'oeuvre la plus difficile d'accès de l'autrice à être paru en France. Mais derrière les divisions que la série pourra créer, il ne fait aucun doute qu'Asumiko Nakamura reste maîtresse de son art et des sujets qu'elle veut évoquer. Rendez-vous est pris pour le deuxième et dernier tome, que l'on espère à la hauteur de ce premier opus.
Du côté de l'édition, c'est du tout pour pour Hana: la jaquette reste fidèle à l'originale japonaise, le papier et l'impression sont de bonne qualité, la première page en couleurs sur papier glacé nous gratifie d'une belle illustration de l'autrice, le lettrage du Studio Pullo est assez propre, et la traduction de Delphine Desusclade retranscrit très correctement la finesse d'écriture de la mangaka.