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Veil - Coffret : Critiques

Veil

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 25 Décembre 2020

Si Noeve Grafx, le tout nouveau label manga des éditions Noeve, a su susciter beaucoup d'entrain tout récemment avec l'annonce, surprenante pour un si jeune éditeur, de grosses licences longtemps attendues comme Welcome to the Ballroom ou C'est un mystère (qui marquera le grand retour en France de la géniale Yumi Tamura), il avait déjà su interpeller précédemment pour ses premières annonces: du populaire également comme Miss Nagatoro et Rent-a-Girlfriend qui arriveront en début d'année prochaine, ainsi qu'une étonnante série d'artbooks luxueux en collaboration directe avec des artistes japonais, et des titres plus personnels, plus atypiques, plus confidentiels, comme A Brief History of Robosapien ou l'oeuvre qui nous intéresse ici.

Ainsi, aux côtés du récit de science-fiction Spe-Ope qui a signé le retour dans nos contrées du célèbre mangaka Kia Asamiya après de longues années d'absence, Veil a eu la lourde tâche d'inaugurer le catalogue de Noeve Grafx fin novembre... Proposer une oeuvre aussi atypique d'entrée de jeu témoigne déjà bien des ambitions assez inédites de l'éditeur, alors le pari est-il réussi ? La réponse est assurément oui !

Et cela, on pourrait l'affirmer rien que pour l'édition, assez unique en son genre pour du manga, surtout pour un éditeur qui débute dans le domaine. Noeve Grafx est un éditeur qui, visiblement, aura effectivement à coeur de proposer des éditions de haute qualité, presque luxueuse dans le cas présent, chose dont on prend conscience dès qu'on a les tomes en mains, avant même de les ouvrir: grand format appréciable, marquage doré sur le logo-titre et sur la numérotation de la jaquette pour un rendu luxueux, papier de la jaquette assez épais et doté d'un rendu légèrement granuleux plutôt rare pour du manga... sans oublier les élégantes illustrations en elles-même, qui ne manquent pas d'attirer l'oeil et donnent déjà une idée de l'ambiance. A l'intérieur, le papier est de qualité supérieure, est bien épais (si bien que les ouvrages restent assez gros malgré leurs "seulement" 120-130 pages), et permet une excellente qualité d'impression rendant bien honneur au trait et au travail des couleurs de l'artiste. La traduction de Yukari Maeda et de l'expérimenté Patrick Honnoré est bien dans le ton, tandis que les polices ont un côté très naturel (presque comme écrit à la main) collant fort bien aux choix artistiques de Kotteri!. Mais comme si ça ne suffisait pas, Noeve Grafx réserve encore quelques petites surprises: pour chaque tome, l'éditeur propose une première page à effet de transparence pour un rendu plus précieux, une carte de l'un des deux personnages principaux façon "jeu de cartes à collectionner" avec effet brillant, et une reproduction des inserts en papier typiques des mangas nippons avec, dessus, un système de points qui aura sans doute son importance plus tard pour celles et ceux qui suivront de près l'éditeur. Enfin, soulignons qu'à côté des deux tomes unitaires, l'éditeur a décidément mis les petits plats dans les grands en sortant également, pour le même prix (revenant à 25€ les 2 volumes), un superbe coffret à la fort belle conception (papier-carton épais au toucher agréable, vernis sélectif...) contenant bien sûr les2 opus mais aussi un petit bonus supplémentaire, à savoir une troisième carte brillante. En somme, un superbe écrin, idéal pour profiter au mieux d'une oeuvre atypique.

Et cette oeuvre atypique, on la doit donc à Kotteri! artiste publié ici pour la première fois en France mais actif dans le milieu professionnel au Japon depuis le milieu des années 2010. Sous le nom Fukuda Ikumi, l'artiste a signé quelques oeuvres assez grand public, allant des adaptations de licences connues (la série en 2 tomes Shin Megami Tensei IV - Demonic Gene, le one-shot Digimon Story Cyber Sleuth) à la science-fiction avec Nana Toshi Monogatari (manga en 5 tomes basé sur des romans de Yoshiki Tanaka, l'auteur des Héros de la Galaxie et d'Arslan) et Kiryuu Keisatsu (démarré au Japon ce mois-ci). Le pseudonyme de Kotteri! lui permet de s'essayer à des oeuvres beaucoup plus personnelles, dans un style éloigné du manga "classique".

C'est en septembre 2017 que Kotteri! a commencé à dessiner Veil, en premier lieu pour son plaisir personnelle et en auto-publication sur internet. Il ne s'agissait là que de très brefs petits instants de vie, mettant en scène les deux personnages principaux tels qu'on les connaît, sans rien de plus, même pas un prénom pour eux. Dès l'année suivante, l'artiste propose son oeuvre sous forme de fanzine au Comitia, et de fil en aiguille celle-ci est repérée par les éditions Jitsugyô no Nihonsha (discrètes en France, mais que l'on connaît quand même pour quelques titres comme Miss Hokusai de Hinako Sugiura, Hitler de Shigeru Mizuki ou L'homme qui aimait les fesses d'Osamu Tezuka), avec même une publication dans le magazine numérique Comic Ruelle de cet éditeur. Et à présent, voici donc que cette oeuvre partie d'un simple plaisir personnel franchit les frontières françaises, après avoir tapé dans l'oeil d'un jeune éditeur lui offrant une édition magnifique. Difficile de faire plus joli parcours !

Concernant l'histoire en elle-même, en parler va aller assez vite: dans un recoin de monde inspiré de l'Occident avec a priori différentes influences (pas mal de Russie, un peu d'Angleterre...), un policier un peu maladroit croise un jour à l'extérieur une belle jeune femme blonde ayant pour petite particularité de toujours garder les yeux fermés. L'homme souhaite l'aider à avancer, mais la femme refuse: elle sait très bien se débrouiller toute seule ! Et c'est même pour ça qu'elle compte à présent se dénicher un travail... ce qui tombe plutôt bien, puisque le commissariat où travaille l'homme recherche une standardiste! C'est ainsi que, que ce soit à ce commissariat où les gens aiment boire ou ailleurs, "ell" et "lui" entament une relation faite de tout petits riens, au fil de laquelle ils vivront nombre de petits instants aussi fugaces qu'essentiels mais souvent très élégants, au point de peut-être se rapprocher petit à petit.

Ce qu'il faut bien se dire avant d'entamer la lecture de Veil, c'est qu'il faut être prêt(e) à s'immiscer dans un tout petit univers totalement hors du temps et du monde: Kotteri! ne donne aucune réelle indication sur les lieux, sur l'époque, se contente de diverses inspirations pour croquer des instants de quotidien très brefs (les chapitres étant très courts, pouvant aller de 2 à environ 8 pages) qui n'ont pas d'autre but que de nous faire profiter d'une atmosphère tout à fait unique aux côtés de ses deux héros (et de quelques personnages secondaires discrets). "Lui" et "elle" se rencontrent, se parlent de manière souvent raffinée et savoureuse, s'observent (y compris notre chère femme aux yeux fermés, qui observe de bien d'autres manières qu'avec les yeux), partagent leurs envies et leurs goûts (notamment pour la boisson), s'apprivoisent, se rapprochent, et le tout baigne simplement dans un raffinement permanent, où l'on comprend bien vite que c'est l'esthétisme qui prime.

Car l'esthétisme est bien ce qui fait le coeur de Veil, oeuvre au fil de laquelle Kotteri! délivre de nombreuses merveilles textuelles comme déjà dit, mais aussi nombre de trouvailles et d'expérimentations visuelles. Il y a ainsi le coeur de l'oeuvre, à savoir ses petits chapitres "classiques" aux traits très fins et élégants, aux cases dotées de contours tracés à la main de façon volontairement et faussement irrégulière, au découpage réfléchi, aux couleurs simples et très bien choisies qui peuvent varier et donc changer les ambiances d'un chapitre à l'autre (même s'il y a bien souvent des connotations sépia), pour un rendu quelque part entre le manga et le roman graphique... mais pas que: Kotteri! livre entre les chapitres nombre d'illustrations ravissantes ou de croquis plaisants à observer, ainsi que des apartés encore plus littéraires portés par les réflexions de "lui", d'"elle" ou même d'objets. En permanence, on ressent un aspect hybride, de nombreuses influences, un goût évident pour le raffinement, le luxe, ainsi que la mode via des vêtements travaillés. Sans oublier nombre de planches ou d'illustrations offrant des repères cinématographiques voire citant quasiment des films "d'époque" bien connus.

En somme, oubliez tout ce que vous connaissez du manga pour ire Veil: si ce n'était pas une lecture,on vous dirait presque de faire comme "elle" et de fermer les yeux pour profiter comme il se doit d'une expérience de lecture pas comme les autres. L'oeuvre de Kotteri! demande forcément à ce qu'on y adhère, à ce qu'on se laisse porter, presque comme sur des vagues, par son atmosphère inspirée et inspirante, mais ce voyage au plus près de "lui" et d'"elle", dans leur petit cocon, est assurément ravissant. La bonne nouvelle étant que l'aventure ne s'arrêtera pas là, puisqu'un troisième volume est en chantier.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs