Treize nuits de vengeance Vol.1 - Actualité manga
Treize nuits de vengeance Vol.1 - Manga

Treize nuits de vengeance Vol.1 : Critiques

Tsugaru mugo genka - Onryô Jyûsanya

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 01 Décembre 2023

Artiste incontournable de l'Histoire du manga, chéri par les éditions Kana mais aussi par notre rédaction depuis des années, le regretté Kazuo Kamimura a fait son retour chez l'éditeur en octobre dernier avec le premier volume de Treize nuits de vengeance, un manga pour lequel quasiment tout est dans le titre au niveau du contenu.

Cette oeuvre est véritablement à part dans la carrière de Kamimura, et cela pour deux raisons. Premièrement, parce qu'elle adopte une tonalité assez unique dans la carrière de l'auteur, en entremêlant la poésie graphique chère à l'artiste à des élans plus horrifiques où la violence est bien présente (même si l'on n'atteint pas la brutalité pure des Fleurs du Mal, sorti en France chez Le Lézard Noir). Deuxièmement, car son parcours au Japon et à l'étranger est atypique: initialement prépubliée en 1976-1977 (période pendant laquelle le prolifique artiste planchait aussi, entre autres, sur Fleur de l'ombre et Une femme de Showa, pour ne citer que les titres parus en France), cette succession de 13 histoires courtes n'a ensuite, au fil des décennies, jamais été publiée en volume broché dans son intégralité au Japon, la faute notamment à la longueur très variable des récits, ce qui a plutôt condamné ces histoires à être éparpillées dans différentes anthologies, quand elles ne furent pas tout bonnement oubliées pendant des années. C'est via les efforts de l'éditeur italien de Kamimura mais aussi ceux de la fille de l'auteur que, finalement, put enfin être proposée une édition réunissant les treize histoires composant cette oeuvre, et c'est précisément sur cette version italienne en deux gros pavés de presque 500 pages chacun qu'est basée l'édition française (on vous rassure toutefois sur un point: la traduction française a bien été effectuée depuis le japonais).

Si la série se compose de 13 histoires, ce premier volume n'en comporte toutefois que trois, qui figurent sans doute parmi les plus longues, la première dépassant même de peu les 200 pages. Et pour cerner immédiatement le point commun de ces différentes histoires, il suffit de se pencher sur le titre japonais de l'oeuvre, "Onryô Jyûsanya", signifiant "Treize histoires d'onryô". Vous ne savez pas ce qu'est un onryô ? C'est précisément ce qui nous intéresse: en schématisant un peu car aucun terme française n'est totalement précis pour le traduire, ce terme désigne, dans la littérature, l'art et les croyances traditionnelles japonaise, un fantôme revenant dans le monde des vivants sous diverses formes pour causer du tort au monde des vivants, le tout en vue d'une vengeance. Vous l'aurez alors compris: chacune de ces histoires va narrer la vengeance d'un de ces onryô, qu'il s'agisse d'une femme trompée par son mari qui a en plus tué son père par le passé, d'un homme abattu par l'amant de son épouse qu'il négligeait de plus en plus, ou d'une joueuse de shamisen aveugle délaissée par celui qu'elle était censée épouser et torturée par les femmes de son groupe de musiciennes itinérantes car elle allait les abandonner pour se marier.

Ces vengeances s'expriment, à chaque fois, à la fin des histoires, et correspondent aux élans horrifiques et violents de l'oeuvre, auxquels Kamimura parvient pourtant à offrir une certaine poésie macabre en soignant comme toujours sa mise en scène pleine d'envolée et ses décors, et en faisant appel à des figures animalières pour assouvir les vengeances (les rats dans le premier récit, les oiseaux dans le deuxième, et les être marins - baleine, poissons et sirène - dans le troisième. Ce qui intéresse toutefois le plus l'artiste n'est pas forcément la finalité de ces vengeances, mais plutôt ce qui a fait naître ces soifs de revanche: tout ce qui a pu se passer avant d'en arriver là, donnant tout d'abord lieu, à chaque fois, à un portrait peu reluisant de l'âme humaine. Des adultères aux meurtres en passant par les jalousies, les mensonges, les promesses non tenues, le délaissement de sa famille et autres types de tromperies, le mangaka met le point sur nombre de choses qui s'avèrent cruelles pour les premières victimes de ses histoires. Mais au-delà de ces comportements humains souvent faibles, Kamimura ajoute une part presque critique expliquant la plupart desdits comportements par les différentes pressions sociales que peuvent subir les personnages.

On suit alors avec crainte et passion, tout en étant porté par l'habituelle verve visuelle de Kamimura, le cheminement de chacun de ces récits jusqu'à ce que les drames et élans d'horreur frappent. Mais le mangaka ne s'arrête pas encore tout à fait là, puisque chacun de ses récits puisent dans nombre d'inspirations tantôt juste en forme de clin d'oeil tantôt véritablement essentielles: on voit le mangaka s'appuyer sur des récits littéraires précis, sur des légendes plus ou moins connues, sur des oeuvres picturales d'artistes divers comme Hokusai (envers qui Kamimura n'a jamais caché sa passion en étant même allé jusqu'à interpréter une part de sa vie dans le manga Folles Passions lui aussi paru en France chez Kana), le point commun de toutes ces influences étant de venir d'un passé lointain, au minimum l'ère Edo (où se déroulent les trois histoires de ce premier tome, d'ailleurs) voire plus loin encore.

Pour parfaire le tout, Kana nous offre une édition vraiment à la hauteur pour un tel pavé de presque 500 pages à 18,50€. Evidemment en grand format de 148x210mm (comme tous les autres mangas de Kamimura chez l'éditeur), l'ouvrage est étonnamment facile à prendre en main malgré son épaisseur, grâce à un papier fin, souple, léger et en même temps suffisamment opaque. Malgré quelques coquilles d'inattention ayant échappé à la relecture (sur un pavé pareil, ça arrive), les textes traduits par Jaques Lalloz sont tout à fait convaincants, même s'ils forcent parfois un peu le trait sur le parler "d'époque". Le lettrage, lui, est très propre, et l'impression est convaincante. Mais on saluera surtout la présence de nombreuses pages en couleurs ou en bichromie (le tome s'ouvre d'ailleurs sur quelques illustrations en couleurs), ainsi que la conservation des deux longues postfaces de l'édition italienne, qui offrent de nombreux points de repère à la fois sur le parcours atypique de l'oeuvre et sur les nombreuses influences de Kamimura (avec plusieurs visuels comparatifs en couleurs, s'il vous plaît).

A l'arrivée, on peut assurément affirmer que Treize nuits de vengeance est à ranger directement parmi les chefs d'oeuvre de Kazuo Kamimura, ce qui ne manquait déjà pas dans la belle et riche bibliographie de l'artiste. Atypiques sur plus d'un point dans sa carrière, ces histoires captivantes brillent à la fois dans leur mélange de poésie graphique et d'élans de violence et d'horreur, dans leurs influences marquées, et dans leur critique des pressions sociales amenant bien souvent l'humain à commettre le pire.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs