Tout au bout du quartier - Actualité manga

Tout au bout du quartier : Critiques

Kinjo No Saihate

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 19 Août 2021

Parallèlement à des gros lancements comme la collection Junji Itô ou les séries-fleuves Ao Ashi et Chiruran, le jeune label Mangetsu des éditions Bragelonne a également entrepris de faire découvrir des récits plus "intimes". Ainsi, après le très bon Mandala de Feu début juin, on a pu découvrir le mois dernier un auteur des plus talentueux: Pump Sawae, avec l'excellent premier volume de Panda Detective Agency, qui dévoilait un univers original, un style assez personnel et des sujets très intéressants. Une premier contact particulièrement réussi avec le travail de cet artiste, si bien que Mangetsu a décidé de très vite récidiver en nous amenant, en ce mois d'août, l'autre ouvrage publié par l'auteur au Japon: Tout au bout du quartier, qui condense pas moins de dix années de son travail.

De son nom original Kinjo no Saihate (ce qui correspond exactement au titre français), ce recueil d'histoires courtes est sorti au Japon en janvier 2020 aux éditions Leed, et propose donc, sur environ 230 pages, de nombreuses histoires courtes conçues entre 2009 et 2019, celles-ci étant de longueurs très variables: si certaines atteignent la trentaine de pages, la plupart se contentent de moins de dix pages, et d'autres encore prennent la forme de simples anecdotes ou expérimentations d'une ou deux pages.

Une jeune épouse qui aime vaquer à ses occupations entièrement nue chez elle quand son mari n'est pas là. Un ancien joueur de base-ball prometteur mais devenu hikikomori qui se voit secoué par sa propre descendante venue du futur. Deux jeunes qui s'échangent des informations d'une façon étonnante. Une réunion entre les différentes tranches d'âge d'une même personne pour un petit bilan. La collaboration entre un scientifique et une sorcière. Un catcheur "intello" qui ne combat jamais sans ses lunettes. La rencontre d'un jeune homme avec une femme ayant une fleur qui lui pousse sur la tête et à qui il demande de le faire sortir de son négativisme. Une tortue remerciant l'homme qui s'occupe d'elle de façon surprenante. Un petit garçon qui analyse comme un jeu vidéo le possible remariage de s amère avec un prétendant qu'il a du mal à accepter. Etc, etc...

Le titre du recueil est très bien trouvé, dans la mesure où les histoires sont toutes unies par une même idée: elles semblent pouvoir se passer à n'importe quel coin de rue, toujours dans notre monde... mais avec nombre de petits éléments sortant largement de l'ordinaire, surfant sur le fantastique, le surnaturel, la science-fiction, en cristallisant alors très bien l'inventivité dont est capable le mangaka, une inventivité dont on avait déjà largement pu profiter sur Panda Detective Agency. La manière dont Pump Sawae fait intervenir l'"improbable" dans l'ordinaire a quelque chose de très enthousiasmant... mais ça ne l'empêche pas, de temps à autre, de distiller vaguement des éléments sociaux et humains, à l'image de cette épouse voulant vivre comme elle l'aime dans la première histoire, de l'hikikomori de la deuxième histoire, du héros de l'histoire "Le peuple des feuilles" rongé par son négativisme après un passé difficile, ou surtout du petit garçon de l'histoire Saikon Quest (l'histoire la plus récente du livre) qui, derrière ses analyses en forme de jeu vidéo semblant amusantes, cache en réalité dans ce comportement une vérité bien plus profonde, triste et touchante sur la père du plus cher des êtres.

On retrouve également avec plaisir le style visuel assez reconnaissable de Pump Sawae, et avec d'autant plus de plaisir que le format en histoire courtes lui permet quelques variations, que ce soit dans son dessin en lui-même ou dans sa manière de découper les planches. A ce titre, mention spéciale au rendu de l'histoire "La ville de la fumée", non seulement dessinée à l'encre de Chine avec un rendu assez foisonnant, mais en plus découpée d'une manière assez atypique.

Enfin, on appréciera les nombreux mots de l'auteur, pour quasiment chacune de ses histoires, et où il n'hésite pas parfois à se confier sur ses moods, ses inspiration, les origines étonnantes de certains projets (par exemple, quand il se stimulait par skype avec un ami pour créer des récits un peu en "speedrun"). Pump Sawae se veut assez simple et bavard, nous permettant de bien ressentir l'humain derrière le mangaka, et c'est sans doute encore plus vrai à la lecture de sa postface finale où il fait brièvement part de sa maladie, une maladie expliquant sûrement son impossibilité de dessiner depuis quelque temps. Croisons les doigts pour qu'il puisse se rétablir.

Au final, Tout au bout du quartier est un recueil riche, varié, où la grande brièveté de la plupart des récit n'empêche pas une explosion d'idées emballantes. une belle trouvaille, une nouvelle fois, d'autant qu'elle est servie dans une édition très satisfaisante. D'emblée, on adorera l'excellente idée de Tom "spAde" Bertrand d'incruster les lettres du tire parmi les animaux (mention spéciale à la trompe de l'éléphant malmenant le "B"). Et à l'intérieur, on a droit à un papier souple et sans transparence permettant une très bonne impression, à un lettrage soigné du Studio Mameshiba, et à une traduction impeccable de Satoko Fujimoto et Nathalie Bastide.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction