Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 29 Juillet 2022
Entre 2010 et 2020, les éditions Kana nous proposèrent de découvrir en français une comédie pas comme les autres : Hayate the Combat Butler, un nom qui doit dire quelque chose à un paquet de monde puisqu'elle bénéficia, pendant des années, d'une forte popularité au Japon, avant de s'achever en 2017 après 13 années de prépublication dans le plus important et plus célèbre magazine des éditions Shôgakukan, le Shônen Sunday.
Egalement riche de deux saisons animées disponibles en France en DVD chez Black Box, ainsi que d'un drama et de plusieurs goodies, le manga n'a pourtant malheureusement pas eu le succès escompté en France, peut-être plombé en partie par la traduction catastrophique de ses premiers volumes avant un changement de traducteur largement bienvenu. L'oeuvre, en plus d'avoir été menée à terme par Kana quasiment sans baisse du rythme de parution (on ne les remerciera jamais assez pour ça), jouissait pourtant d'un humour ultra-référencé très plaisant, mais aussi d'une vaste galerie de personnages tous plus variés et attachants les uns que les autres, et surtout d'un fil conducteur qui n'a jamais été oublié, en nous offrant même certains arcs tour à tour sérieux, mélancoliques et poétiques qui frappaient très juste, jusqu'à un final réellement impeccable et poignant.
Bref, sur Manga-news, Hayate fut un grand coup de cœur, si bien que l'on espérait beaucoup en France sa nouvelle série longue, Tonikaku Kawaii (alias Tonikawa), plus encore après la réussite que fut sa première saison animée (diffusée en France sur Crunchyroll en simulcast pendant l'automne 2020), tandis que sa deuxième saison est attendue dans les mois à venir. Et cet espoir est enfin comblé depuis ce mois de juillet grâce à l'éditeur providentiel, Noeve Grafx, qui a décidément un don pour aller chercher des œuvres parfois trop longtemps attendues dans notre pays !
Tonikaku Kawaii est un titre qui pourrait être traduit littéralement en français par « Emmène-moi sur la Lune » (et en anglais par « Fly me to the Moon », en référence à la chanson bien connue sans doute), avec en prime le mot « kawaii » signifiant évidemment « mignonne », soit un titre qui aura beaucoup de sens au fil de la série. La série a été lancée par Hata le 14 février 2018, toujours pour le compte du magazine Shônen Sunday, et elle compte déjà 20 volumes à l'heure où ces lignes sont écrites.
Cette nouvelle série nous immisce auprès d'un jeune garçon qui, à l'instar de Hayate dans Hayate the Combat Butler, semble doté de parents plutôt indignes en n'ayant rien trouvé de mieux que de le nommer Nasa, en référence à la célèbre organisation spatiale américaine. Sans cesse moqué par les autres à cause de son prénom, Nasa Yuzaki a alors décidé d'en faire une force, en tâchant de devenir encore plus reconnu que la NASA elle-même ! Voici donc des années qu'il se voue entièrement aux études, en se montrant excellent dans toutes les matières avec une détermination sans failles, et cela même si son intelligence confine parfois à la bêtise. Mais alors qu'il vient d'être accepté dans le très prestigieux lycée qu'il visait, une rencontre, par une nuit enneigée sous la Lune (ça nous rappelle un peu la rencontre entre Hayate et Nagi dans le tome 1 de Hayate the Combat Butler, tiens), va bouleverser à tout jamais sa vie.
Estomaqué par la beauté d'une silhouette féminine inconnue dont il tombe immédiatement amoureux, le futur lycéen ne se rend pas compte qu'un camion lui fonce dessus. Et là, c'est le drame... ou presque. Car alors qu'il est en sang et qu'il se pense au seuil de la mort, Nasa se réveille avec juste quelques blessures plus ou moins graves, en ayant visiblement été protégé par la belle inconnue qui lui glisse à l'oreille qu'on ne meurt pas pour si peu, avant que celle-ci ne s'éclipse en n'ayant visiblement aucune blessure. Chamboulé, Nasa ne laisse pas le temps à ses blessures de s'arrêter : porté par sa fameuse détermination un peu bête (il pisse le sang par la tête, quand même), il s'élance derrière l'inconnue pour lui déclarer sa flamme et lui demander de sortir avec elle. Et à son grand étonnement, celle-ci, bien qu'un peu surprise, accepte. Mais à une condition : qu'ils se marient d'abord ?!
Nasa a beau accepter cette demande de celle qui se nomme en réalité Tsukasa (vous aurez la référence à la Lune dans son prénom), tant il est persuadé qu'elle est la femme de sa vie, la belle ne réapparaît plus devant lui pendant quelques années. L'adolescent, de son côté, a laissé tombé le lycée suite à ses blessures, et a préféré se donner à fond dans les petits boulots, tout en n'oubliant jamais celle pour qui son cœur a flashé. Et ça tombe bien puisque, le jour de ses 18 ans, Tsukasa réapparaît enfin pour tenir sa promesse : une fois le mariage conclu, c'est le début d'une vie à deux où le jeune couple aura tout le temps de se découvrir.
Dans ses premières dizaines de pages mettant en place cette rencontre et ce mariage, c'est dans une atmosphère certes régulièrement comique mais aussi très poétique et un peu hors du temps que Kenjiro installe son duo principal, principalement grâce aux nombreuses pensées d'un Nasa rapidement hypnotisé par Tsukasa. L'aspect comédie romantique, lui, puise sa première originalité dans le fait que les deux personnages se marient et se mettent à vivre ensemble alors qu'ils ne se connaissent pas... et dès lors, les premiers instants de leur vie ensemble seront forcément ponctués de premières choses à régler (achat de ce qu'il faut pour vivre à deux, etc), de premières découvertes, et de premiers instants un peu difficiles à gérer... enfin, surtout pour Nasa ! Car le jeune garçon, qui n'a jamais eu de copine, a beaucoup de choses à découvrir, à maîtriser (y compris ses possibles désirs naturels), à apprendre, tout en se montrant attentionné envers cette fille qu'il trouve en permanence tellement mignonne. Et ce côté attentionné, Tsukasa le lui rend bien, ce qui rend ce petit couple en devenir mignon tout plein à suivre, et évidemment souvent drôle, que ce soit grâce à certains comportements décalés d'une Tsukasa semblant vraiment à part, aux petits tourments de Nasa vis-à-vis de sa bien-aimée, au dessin de Hata toujours aussi efficace quand il s'agit d'offrir des bouilles rigolotes, et évidemment au goût toujours aussi prononcé du mangaka pour enchaîner pas mal de références.
Mais si ce début de série sait amuser et parfois nous laisser un peu gaga devant la relation mignonne qui s'installe entre les deux personnages, elle parvient également à installer une véritable aura de mystère autour de son héroïne, Tsukasa cachant derrière ses comportement tantôt adorables tantôt un eu décalés quelque chose de bien plus énigmatique et... lunaire. Comment a-t-elle pu sortir indemne de l'accident de camion où elle a visiblement protégé Nasa ? Pourquoi a-t-elle choisi d'épouser le jeune garçon ? Pourquoi semble-t-elle méconnaître certaines situations normalement gênantes (par exemple, elle dort à côté de Nasa sans se poser de questions pendant que lui es forcément troublé) ? Pourquoi reste-t-elle évasive sur ses parents ? D'où vient-elle ? En réalité, Nasa connaît d'elle encore moins de choses qu'il ne le pensait, et découvrir peu à peu le mystère de l'hypnotique Tsukasa sera alors sans doute l'un des éléments phares du récit. Dans l'immédiat, entre le titre de la série, le prénom et le nom de la jeune fille et les références au Conte de la Princesse Kaguya en début de série, on devine facilement, grâce aux indices efficacement disséminés par le mangaka, que l'astre lunaire ne sera pas étranger à tout ça.
Mission réussie, donc, pour ce premier volume de Tonikaku Kawaii. En plus de retrouver avec beaucoup de plaisir le style visuel et le ton typiques de Kenjiro Hata, il y a de quoi craquer facilement pour la jolie relation qui s'installe entre Nasa et Tsukasa, pour l'humour jouant sur différents registres et pour l'aura de mystère entourant cette exquise héroïne.
Quant à l'édition française, elle est pleinement dans les standards élevés de qualité de Noeve Grafx, avec évidemment la présence du bandeau et de la carte emblématiques de l'éditeur, mais aussi une bonne impression effectuée sur un papier souple et sans transparence, un lettrage très propre d'Emma Poirrier, une traduction soignée de Vanessa Gallon avec même quelques notes sur certaines références, et une jaquette qui, comme toujours chez l'éditeur, attire facilement l'oeil avec ses différents effets.