Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 27 Février 2024
Première nouveauté de la collection Big Kana pour 2024, Tokyo Cannabis vient enrichir l'offre de thrillers de l'éditeur, sur une thématique que le titre de la série n'occulte aucunement. Derrière cette série lancée au Japon en 2021 dans le magazine Comic Zenon et publiée en volumes reliés chez l'éditeur Coamix là-bas, on trouve Yûto Inukai, un auteur dont c'est la première publication française, mais qui est actif dans son pays d'origine depuis la deuxième moitié des années 2000 et qui a à son actif quelques séries dans des registres différents.
Se déroulant en banlieue de Tokyo de nos jours, cette oeuvre nous immisce auprès de Morio Chitô, un quadragénaire passionné de plantes depuis toujours, ce qui lui a même valu l'autorisation de gérer ses propres plantations à l'époque de l'université. A l'âge de 41 ans, l'homme pourrait se targuer d'exercer le métier de ses rêves en tenant un magasin de fleurs, d'être soutenu par une épouse aimante en la personne de Himari, et d'avoir en Saki, aujourd'hui lycéenne, une fille adorable et ne causant aucun souci. Et pourtant, Morio peine à se sentir rassuré: Himari a beau l'aider, et Saki a pour soutenir ses deux parents dans leur projet de magasin de fleurs, le fait est que la modeste boutique ne rapporte pas assez. Même si sa famille ne se plaint jamais, notre héros regrette que Saki ne puisse pas avoir de smartphone comme les autres adolescents de son âge, et que Himari ait été obligée de prendre un job à temps partiel pour apporter un complément aux finances de la famille. Et ce n'est pas en allant à une réunion d'anciens élèves de la fac que le modeste Morio va se sentir mieux: sur place, chacun semble surtout là pour se la péter sur sa réussite, pendant que lui a l'impression d'être un minable. C'est alors que, sur place, il retrouve Kagayama, sont meilleur amie de l'époque universitaire, qui avait un jour disparu du jour au lendemain en disant qu'il deviendrait quelqu'un, et qui réapparaît devant lui en ayant visiblement beaucoup réussi: il dit être patron, semble riche... mais cette réussite cache un secret: Kagayama s'est enrichi en cultivant et en vendant du cannabis, plante rigoureusement interdite au Japon pour les raisons que vous connaissez. Et en voyant les soucis financier de son vieil ami Morio, il finit par lui proposer de s'associer à lui pour la culture de ce véritable or vert...
Ce premier volume nous narre donc les premiers pas d'un père de famille on ne peut plus honnête, modeste et gentil vers un milieu qui normalement ne le concerne pas du tout. C'est bien cette honnêteté qui, pendant un bon moment, pousse Morio à refuser la proposition de son ami de fac, tout du moins jusqu'à l'arrivée d'un certain événement dramatique ne lui laissant plus le choix s'il veut pouvoir garder l'espoir de préserver son épouse et sa fille de la pauvreté. Il faut toutefois patienter un bon moment avant d'en arriver là, puisque c'est seulement dans la dernière partie du tome que la décision est prise par notre homme, en signant tout juste son premier pas vers l'illégalité... et vers des soucis que l'on devine déjà facilement mais qu'il faudra attendre de voir se concrétiser.
Il faut donc bien se dire que ce premier tome n'est vraiment qu'une longue phase d'introduction, servant à installer le contexte familial de Morio et les différents personnages principaux. Même s'il y a assurément de belles qualités visuelles (des designs bien reconnaissables, des cadrages souvent immersifs, des décors extérieurs et intérieurs photoréalistes qui nous plongent au mieux dans ce récit urbain contemporain), le résultat est un peu trop plan-plan par moments, manque un brin de rythme, et souffre sans aucun doute de quelques rebondissements téléphonés (cet accident qui survient ile quand il ne faut pas) et de personnages un petit peu stéréotypés, voire carrément caricaturaux à l'excès dans le cas du flic Waniguchi, un homme qui ferait presque tâche dans la série avec son allure peu commune, ses manies et ses expressions faciales exagérées. Pourtant, derrière tout ça, il y a déjà un attachement pour Morio, sorte de "bonne poire" prêt à s'enfoncer dans une voie inquiétante uniquement pour le bien des personnes qu'il aime et dont il veut assurer le bonheur comme il peut. Il est également certain que, derrière les activités dans lesquelles il compte se lancer très temporairement (mais pourra-t-il vraiment en sortir si facilement ?), notre héros est mû par un réel amour des plantes qu'il chérit sans distinctions, cannabis compris, ce qui pourrait précisément en faire l'homme idéal pour créer le meilleur cannabis qui soit et devenir le "roi du cannabis". Et en filigranes, le mangaka distille quelques éléments critiques au sujet de la société japonaise, ne serait-ce que le système d'assurance qui ferait péter un câble à plus d'une personne suite à l'accident, en nous faisant bien sentir que dans ce genre de situation où l'honnêteté ne paie pas, la seule solution pour s'en sortir est de tomber dans l'illégalité...
En somme, même s'il n'offre aucune surprise particulière et joue sur certains éléments téléphonés, ce premier volume propose une mise en place assez immersive et efficace, rendant facilement curieux de voir de quoi la suite sera faite. Et côté édition, c'est tout à fait satisfaisant: la jaquette reste proche de l'originale japonaise tout en s'offrant un logo-titre bien imaginé, le papier souple et assez opaque permet une bonne qualité d'impression, le lettrage est propre, et la traduction effectuée par le très bon Frédéric Malet est bien dans le ton de l'oeuvre et toujours claire.