Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 04 Mars 2025
Isekai et récits de vilaines ont toujours le vent en poupe, chose que l’éditeur Meian a bien comprise puisque ces segments du manga constituent toujours une place forte de son catalogue. Ainsi, le mois de février 2025 voit paraître un nouveau manga jouant sur ces deux tableaux : « The One Within the Villainess ». Comme dans la majorité des cas des titres de vilaines, l’œuvre est basée sur un light novel, celui de Makiburo. Le roman « Akuyaku reijô no naka no hito : Danzai sareta tenseisha no tame usotsuki heroine ni fukushû itashimasu », illustré par Mai Murasaki, a vu le jour en 2020 sur la plateforme Shôsetsuka no narô avant de gagner une version professionnellement publiée l’année suivante, aux éditions Ichijinsha. Aujourd’hui, l’œuvre littéraire d’origine est bouclée en deux volumes, ce qui laisse entrevoir un récit plutôt court.
La version manga voit le jour en 2021, la même année que la publication physique du light novel. Toujours en cours avec 5 volumes parus au Japon, elle est proposée dans le magazine josei Comic POOL des éditions Ichijinsha. La réalisation du manga est assurée par Nazuna Shiraume, une autrice que nous découvrons avec cette adaptation, mais qui œuvre depuis les années 2010 au Japon et a eu l’occasion de réaliser une belle poignée de titres.
Issue d’une fille de bonne famille, fiancée par intérêt par son père, Remilia Rose Graupner est vouée à devenir la méchante de l’histoire. Personnage d’un jeu vidéo adoré par Emi, la petite fille se réveille un jour comme si elle était prisonnière dans son corps et spectatrice de ce qu’elle va devenir. Pour cause, Emi est décédée de maladie dans le vrai monde, mais elle s’est réveillée sous les traits de Remilia. Consciente de ce que va devenir la petite fille, elle prend les choses en main pour lui éviter un avenir funeste. Observant de quelle manière Emi tourne son destin et comprenant les enjeux de ce qui se trame, Remilia noue un vrai attachement avec l’autre âme que son corps héberge, au point qu’une vraie complicité se noue entre elles. C’est alors que surgit Pina Blanche, la « Demoiselle étoilée », héroïne de l’histoire vouée à être au centre des intérêts. Mais tout comme Remilia, la demoiselle est habitée par une âme réincarnée depuis l’autre monde. Bien peu satisfait de la tournure prise par les événements du jeu qui balaient tout machiavélisme chez la « vilaine », Pina tourne les choses à son avantage, quitte à faire basculer Emi dans un profond désespoir. Mais pour Remilia, avoir blessé celle qui a sauvé son âme est un crime impardonnable, aussi son plan de vengeance s’enclenche quand elle reprend la main sur son corps…
Un synopsis plutôt dense qui, en réalité, traduit une bonne moitié du premier volume de l’histoire. Il faut dire que l’histoire imaginée par Makiburo met un certain temps à se mettre en place et à dessiner ses véritables enjeux, si bien qu’on est entraîné de fausse piste en fausse piste sur ces premiers chapitres, jusqu’à ce que la vraie tournure de l’histoire se concrétise. « The One Within the Villainess » est-il l’œuvre de la douce Emi qui va redorer le blason de Remilia ? Non. Ni celle d’une rivalité sur le long terme entre les deux réincarnées dans cet univers de jeu de romance. C’est finalement un manga de vengeance qui prend place, de manière très réussie tant les éléments instaurés apportent un contexte assez riche ainsi que des possibilités multiples.
L’une des surprises de ce début de récit vient de la place occupée par l’héroïne du jeu, Pina, incarnée ici par une vraie peste que Remilia devra remettre à sa place. D’une certaine manière, il n’y a pas une héroïne et une méchante, mais bien deux personnages négatifs d’une manière ou d’une autre, que ce soit par le regard des personnages secondaires sur eux ou par notre propre jugement. L’approche, déjà satisfaisante, jouit d’une autre originalité via le lien fusionnel entretenu par Emi et Remilia, une sorte de Dr Jeckyl et Mister Hyde qui fait de cette histoire un véritable Yu-Gi-Oh ! dans un monde de romance et de fantasy. Avec comme objectif de jouer sur les règles de ce monde pour le tourner à son aventure, le récit de Remilia pose des bases intéressantes et bien plus riches que ce à quoi nous pouvions nous attendre de prime abord. Ce premier tome déjoue nos attentes pour établir un plot très convaincant qui donne l’envie de suivre l’aventure sur le long terme.
À ceci se couple le joli trait de Nazune Shiraume, plein de finesse et de légèreté dans la phase introductive de l’œuvre, quand il s’agit de présenter le rôle resplendissant d’une Remilia qui s’éloigne de son rôle de vilaine. Un style qui se densifie au même rythme que les évolutions du scénario, virant parfois dans le grotesque pour représenter l’odieuse Pina, puis dans des écueils plus sombres, mais majestueux, quand la quête de vengeance s’enclenche. L’art de l’artiste se découvre sur la durée et sert très bien le scénario de base. Il y a donc un vrai plaisir esthétique en plus de la satisfaction procurée par le scénario, sans compter une narration globalement maîtrisée, bien qu’elle a de quoi décontenancer sur les premières pages avec sa narration extérieure faite par une Remilia qui observe le parcours de son alter ego. Une narration pourtant censée et qui apporte beaucoup à la relation entre les deux âmes qui résident chez la "vilaine".
Une entrée en matière réellement prenante, donc, pour un premier tome surprenant par ce qu’il propose et par son art de ne jamais nous conforter dans nos attentes. La série a de quoi se montrer pertinente par la gestion de tous ces éléments sur le long terme, et le fait que le roman d’origine soit aujourd’hui conclu permet de croire à un manga qui racontera dignement ce qu’il a à narrer sans s’étendre plus que de raison.
Côté édition, Meian offre une copie à laquelle on est maintenant habitués, notamment via un papier épais pour un ouvrage solide. Petit défaut qui incombe à la version nippone : pas de page couleur ici, ce qui est fort dommage tant le trait fin de Nazuna Shiraume mériterait d’être apprécié autrement qu’en noir et blanc. Signée Célia Chinarro, la traduction rend un texte globalement solide dans sa manière de jongler entre les caractères des personnages et les tons du récit. Quant au lettrage d’Elodie Baunard, celui-ci est bien calibré et rend digeste une lecture qui, sur sa première moitié, nécessite de digérer bon nombre d’éléments et de concepts.