The Horizon Vol.1 - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 17 Mars 2023

Jung Ji Hun (ou Jung Ji Hoon) est un artiste expérimenté dans le domaine du webtoon, puisque nous avions pu le découvrir en France chez feu Kwari avec l'intéressant ouvrage Ce que j'ai à te dire en 2012, donc à une époque où ce type de BD coréenne n'était pas encore aussi présent. Depuis, on a pu retrouver l'auteur avec Mosquito Wars disponible en France sur la plateforme Delitoon, mais aussi avec le coup de coeur The Boxer qui est proposé en version papier par les éditions Koyohan depuis quelques mois. Et enfin, n'oublions pas l'oeuvre à part qu'est Horizon, une série initiée en Corée en 2016 chez l'éditeur Lezhin, qui est arrivée dans notre pays dès 2018 en inaugurant l'abonnement webtoon de la plateforme Izneo, et qui nous parvient désormais en version papier grâce aux éditions Nazca, via une éditions qui comptera trois gros tomes d'environ 400 pages chacun en grand format.

Jung Ji Hun, nous l'a déjà démontré avec Ce que j'ai à te dire, The Boxer et même Mosquito Wars: il apprécie de proposer des récits durs, où les personnages sont soumis à des épreuves particulièrement difficiles, et Horizon se révélera être peut-être l'exemple le plus marquant de cette démarche puisque, ici, c'est l'humanité tout entière qui semble totalement en perdition. Dans ce monde, tout n'est plus que guerre et chaos, les morts jonchent bien plus le sol que les vivants, et les signes de vie semblent devenus plutôt rares. C'est dans ce contexte qu'un petit garçon, soudainement livré à lui-même après la perte traumatisante des siens, se met à errer sans but, jusqu'à croiser la route d'une petite fille. Elle semble tout aussi perdue, esseulée et détruite que lui, si bien qu'ils ont le sentiment de se comprendre d'emblée, de se ressembler. Désormais, leur voyage pour la survie se fera à deux, quand bien même ils ne savent pas vraiment où se rendre, puisqu'ils n'ont nulle part où aller. Ils se contenteront alors de suivre l'horizon via la route, jusqu'à ce que cette route prenne fin, sans doute en n'y trouvant rien au bout. A moins que leurs pas ne finissent par croiser d'autres êtres, d'autres épreuves, chacune d'entre elles cristallisant toute la folie de ce monde en perdition.

Le premier constat de cette lecture est d'ordre visuel, tant le travail proposé ici est d'une redoutable efficacité pour faire ressortir toute l'ambiance dure et désespérée du parcours de ces deux gosses livrés à eux-mêmes.
Sur le simple plan du passage de la version dématérialisée initiale (ou, comme tout webtoon classique, il faut scroller de haut en bas sur écran) à la version papier, on sent qu'il y a eu un vrai travail de réadaptation afin de réellement proposer toute une mise en scène adaptée aux pages du format livre, cette étape de réadaptation étant souvent ce qui pèche le plus dans les webtoons en atteignant régulièrement des sommets de pauvreté. Tout est impeccable ici, du découpage des cases jusqu'aux doubles-pages, en soulignant toujours très bien les nombreux et divers effets de mise en scène du dessinateur à l'image des plans larges sur le ciel et l'horizon, des positions des personnages dans les cases, ou de certains découpages plus déstructurés lors de certains instants plus chaotiques.
Et au niveau du dessin en lui-même, Jung Ji Hun fait des merveilles. On pense notamment aux designs des deux enfants en apparence simples mais maîtrisés, l'auteur proposant des silhouettes enfantines assez frêles et claires pour mieux souligner leur innocence et leur faiblesse face à cette situation horrible. Mais aussi aux pupilles toutes noires, reflétant sans doute la propre noirceur d'âmes enfantines qui s'éteignent peu à peu face aux drames de la guerre. Ou encore, en guise de contraste, des moments véritablement éprouvants et choquants, le plus marquant arrivant dès le début avec le jeune garçon tentant de remettre à sa place la cervelle de sa mère. Il y a aussi les nombreux traits croisés ou entremêlés lors de tous les moments critiques (les souvenirs des personnes mortes par dizaines, les moments où les adultes vrillent au risque de commettre le pire...), ce qui apporte une atmosphère de chaos et de malaise. Sans oublier la rareté des couleurs, présentent uniquement lors de certains brefs instants empreints de symbolisme, avec en début de volume ce ciel rouge qui a quelque chose d'apocalyptique, au plus tard le rouge du sang.

Côté narration textuelle, ce premier volume, malgré ses environ 400 pages, peut en réalité se lire extrêmement vite si l'on ne profite pas à fond du travail visuel et de l'ambiance, car l'auteur joue ici beaucoup sur l'économie de mots, ce qui a pour effet de rendre d'autant plus importante chaque parole, chaque pensée, chaque réflexion, en tête desquelles le nihilisme qui touche le jeune garçon pendant longtemps, lui qui ne voit plus trop de valeur ou de sens dans la vie. Dans ce climat plus noir que noir où l'on suit l'état désespérant du monde et de l'humanité sous leurs yeux d'enfants bafoués, lui et la petite fille doivent suivre la route en se débrouillant avec les moyens du bord pour survivre, en mangeant ce qu'ils trouvent, et en devant composer avec des éléments extérieurs à commencer par le fou, un homme adulte qui va se mettre à les suivre pendant longtemps et qui va, à plusieurs reprises, les mettre à mal en profitant de leur statut d'enfants, capable de leur voler de l'eau puis de vouloir leur affection juste après. Et dans tout ça, il pourrait y avoir une légère lumière malgré tout: la petite fille, par sa douceur et la part d'innocence à laquelle elle essaie encore de se raccrocher, par exemple en se montrant gentille avec le fou. Mais cette gentillesse ne risque-t-elle pas d'être à double tranchant ? Dans tous les cas, une chose est sûre: le petit garçon n'a plus envie de mourir depuis qu'il voyage avec elle. Et pour que cela dure, il faudra forcément traverser encore bien d'autres épreuves, celle se dessinant dans les dernières pages étant particulièrement inquiétante.

Pour porter cet excellent premier tiers de la série, les éditions Nazca se sont appliquées à proposer une qualité d'édition très correctes. On pourra toujours reprocher certaines petites choses, à commencer par deux coquilles dès les premières lignes de la préface. Mais dans l'ensemble c'est satisfaisant: l'impression est assez bonne, le papier est souple et fin mais sans transparence, la traduction de Gabriel Bontemps est claire, la jaquette est bien épaisse (peut-être même trop, car peu facile à manipuler du coup), et on a même droit à un ex libris en cadeau.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction