Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 10 Avril 2024
C'est une habitude: chaque oeuvre d'animation de Makoto Shinkai a droit à son adaptation en manga, et voici désormais quelques années que c'est Pika Edition qui s'évertue à nous proposer celles-ci en France, pour un résultat parfois en de ça des attentes mais le plus souvent convaincant (on se rappelle notamment. Suzume, le dernier film d'animation en date du réalisateur n'échappe pas à la règle et, à quelques jours de sa sortie sur support physique chez Crunchyroll, voit sa version manga (mais aussi sa version roman) débarquer dans notre langue.
De son nom original Suzume no Tojimari (comme le film), ce manga est achevé en trois volumes et a été prépublié au Japon de 2022 jusqu'à décembre 2023 dans les pages du magazine Afternoon des éditions Kôdansha. Elle a été confiée à une mangaka débutante du nom de Denki Amashima.
L'histoire nous immisce auprès de Suzume Iwato. Lycéenne de 17 ans dont les parents ne sont plus là et vivant avec sa tante Tamaki qui s'occupe d'elle au mieux, elle apparaît vive et somme toute encore un peu gamine pour son âge, ne serait-ce que pour sa vision de l'amour sur laquelle ses copines la taquinent un peu. Mais voila qu'un jour, elle croise Sôta Munakata, un bel homme lui demandant le chemin de ruines dans un but mystérieux. Plus tard, alors qu'elle est en cours, elle voit s'élever dans le ciel un inquiétante masse informe semblant venir desdites ruines et qu'elle semble être la seule à percevoir. Comprenant que ceci a sûrement un rapport avec l'homme à qui elle a indiqué les ruines, l'adolescente se précipite sur place pour découvrir une porte au milieu de nulle part et déterrer une espèce de statuette bizarre. Sans le savoir elle vient de faire son premier pas dans une histoire folle. La masse qu'elle a vue dans le ciel est le "ver", à savoir une puissance colossale qui se meut dans le Japon depuis des temps immémoriaux sans objectif ni volonté propre, mais ébranlant la terre à chaque fois qu'elle surgit. Normalement, celle-ci reste scellée derrière des portes disséminées dans différents recoins du Japon, mais elle s'en libère parfois, et la sceller à nouveau est la mission de Sôta. Seulement, cette fois-ci l'homme ne parvient pas à remettre la main l'un des sceaux emprisonnant le ver de l'autre côté des portes, et pour cause: il s'agit de la statuette bizarre que Suzume a déterrée, et celle-ci a pris la forme de Daijin, un chat parlant malicieux qui, après avoir fait subir une drôle de transformation à Sôta, a décidé de fuir à travers le pays. Même si Sôta n'est pas chaud à cette idée, Suzume décide alors de l'accompagner à la poursuite de Daijin à travers le Japon, pour ensuite refermer toutes les portes et sauver l'humanité des cataclysmes que le ver est capable de créer.
Pour le moment, sur ce premier tome, la version manga de Suzume se présente comme une adaptation assez conforme au film d'origine, en particulier parce qu'on y ressent et trouve déjà les prémisses des sujets importants du long-métrage. Ainsi, cette histoire de ver s'inspire du drame de mars 2011 pour offrir une représentation des catastrophes naturelles arrivant soudainement en bouleversant des vies (c'est bien pour ça que lors de ses escales dans des lieux ravagés, Suzume doit entretenir la mémoire des personnes qui y ont vécu, pour pouvoir ensuite accomplir sa mission). Ensuite, il y a la prise de maturité d'une héroïne qui va peu à peu quitter l'enfance pour devenir plus adulte : déjà ici, alors qu'elle est plutôt gamine dans les premières pages, elle fait une sorte de fugue en mentant même à sa tante, puis va faire des premières rencontres qui vont enrichir un petit peu sa vision des choses, quand bien même ce dernier élément est rapide et très basique dans ce tome, en plus de pouvoir faire titiller sur quelques détails (quelle mère ferait confiance à une inconnue à peine rencontrée pour garder au pied levé ses enfants ? ). Et enfin, il faudra compter sur la question du rapport de Suzume à ses parents et surtout à s amère qui n'est plus là, sur fond de souvenirs, d'absence et de deuil. A tout ceci s'ajoutent des touchent plus fantaisiste comme le côté capricieux du chat parlant Daijin et la transformation insolite de Sôta, qui amènent de l'animation supplémentaire.
Mais reprendre les ingrédients du long-métrage d'origine ne suffit évidemment pas à assurer une bonne adaptation, alors comment Denki Amashima s'en sort-elle ? Eh bien, ne le cachons pas: c'est malheureusement très poussif dans l'ensemble. Quand bien même, de base, la première partie du film d'origine n'est pas la plus palpitante, ici la mangaka accentue encore une impression de trop grande linéarité (Suzume poursuit Daijin dans le pays, fait des rencontres rapidement abordées, et basta), sa façon de s'attarder sur certains détails anecdotiques et de trop vite aborder des choses plus intéressantes rend le tout un peu soporifique et lisse, a plusieurs reprises on a des transitions minimes voire tout bonnement inexistantes qui donnent l'impression que tout s'enchaîne sans réelle consistance... et, surtout, les dessins en eux-mêmes sont régulièrement aux fraises, chose qui se ressent un peu dès l'illustration de la jaquette où notre héroïne a une tête franchement bizarre (presque flippante, en fait). Si l'on excepte certaines bouilles de Daijin et quelques décors très corrects, le reste est très moyen: les fonds sont généralement basiques, et surtout les inégalités dans les designs, les anatomies et les mouvements des personnages sont incalculables vu qu'il y en a à quasiment chaque page. Un autre signe qui ne trompe pas: même le Sôta-chaise, élément insolite efficace dans le film, est foiré, Denki Amashima ne parvenant jamais à jouer vraiment sur cet élément et parvenant même, là aussi, à être inégalité dans les dessins d'une simple chaise.
C'est alors assez malheureux à dire, mais sur ce premier volume le manga Suzume est très loin des standards de qualité que l'on attend généralement pour une adaptation de ce genre. Entre les raccourcis, la linéarité qui ressort trop fortement ou encore les nombreuses carences graphiques, le souffle initial du film ne se retrouve pas du tout dans ces pages plutôt faiblardes. Espérons donc que la mangaka (débutante, rappelons-le) saura très rapidement peaufiner son travail et mieux trouver ses marques pour offrir une suite un cran au-dessus, d'autant plus que le meilleur reste à venir dans cette histoire.
Côté édition, en revanche, il n'y a rien de spécial à critiquer dans la copie proposée par Pika: la jaquette reste fidèle à l'originale japonaise, le logo-titre est similaire à celui-ci du film, les quatre premières pages en couleurs sur papier glacé sont appréciables, le papier est souple et assez épais malgré une légère transparence parfois, l'impression est très correcte, le travail de lettrage et d'adaptation graphique par le Studio Charon est convaincant dans l'ensemble, et la traduction effectuée par Mathilde Tamae-Bouhon est claire.