Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 31 Octobre 2023
Cinq années après le très bon Mon père alcoolique et moi, l'autrice Mariko Kikuchi revient en France, toujours aux éditions Akata, avec un nouveau manga-témoignage: Survivre à ses parents toxiques, où tout est dans le titre ou presque. De son nom original Doku-oya survival, cette oeuvre d'environ 150 pages a été publiée au Japon par les éditions Kadokawa en 2018, et voit la mangaka mettre en images 11 témoignages qu'elle a recueillis, en compagnie de son éditrice Madame Hatano, de la part de personnes ayant grandi dans un cadre familial hautement voire parfois très hautement toxique, le premier témoignage n'étant autre qu'un rapide retour sur la jeunesse de Mariko Kikuchi puisqu'elle même a grandi dans un environnement toxique, chose qui était d'ailleurs tout le sujet de son précédent manga autobiographique Mon père alcoolique et moi. Restée forcément marquée par sa propre histoire, elle en a gardé une grande sensibilité en voyant des personnes ayant vécu le même genre de choses, et semblait donc très bien placée pour nous proposer ce genre de recueil documentaire et social regroupant des témoignages d'autres gens.
La toxicité familiale peut toucher tous les milieux, et ce manga en est une excellente preuve au vu des différents horizons d'où viennent les témoins: mangaka bien sûr, mais aussi journaliste santé, poétesse, éditeur, écrivain, employé de bureau, réalisateur de films pour adultes, cartomancienne... Et dans chaque cas, il y a des choses nouvelles à observer sur les différentes formes que peut prendre la toxicité parentale, voire plus globalement la toxicité familiale puisqu'il n'y a pas toujours que les parents qui se montrent toxiques.
L'enrôlement dans une secte, l'alcoolisme, le suicide, l'obsession pour la réussite, la surprotection, le dénigrement verbal incessant, la violence physique, la prédation sexuelle, la tyrannie, l'addiction au pachinko (et, par extension, aux jeux d'argent), les disputes permanentes, les repas avariés donnant l'impression qu'on nous veut du mal... sont quelques-uns des nombreux aspects qui se voient évoqués au fil des témoignages, le tout en n'oubliant jamais de souligner tout ce que cela a pu provoquer sur les victimes: anxiété sociale, automutilation, inadaptation, absence de repères affectifs, envies de meurtre sur ses propres parents, et on en passe. L'idée phare étant de bien faire sentir à quel point il ne faut jamais négliger ce genre de situation toxique. Car comment savoir, pour un enfant dont le repère essentiel est ses parents, si ce qu'il vit est normal ou pas ?
Forcément, avec un tel sujet grave, la lecture aurait pu être excessivement pesante. Mais la mangaka, tout comme dans Mon père alcoolique et moi où elle évitait régulièrement l'apitoiement en apportant une part d'humour, souhaite précisément éviter les ambiances trop difficiles. En plus de rester simple dans son dessin afin de désamorcer d'emblée les choses trop dures, elle choisit aussi de ne pas s'attarder visuellement sur les moments difficiles, voire d'occulter graphiquement les plus horribles la plupart du temps, pour mieux souligner le fait que chacun des témoins adultes, même s'ils continuent parfois de lutter contre une part de leurs démons, sont parvenus à se relever de cette toxicité. A ce titre, le dernier témoignage a quelque chose d'assez symbolique puisqu'il concerne une femme qui est elle-même, à son tour, devenue mère, en évitant soigneusement de reproduite les souffrances qu'elle-même a vécues. Mais n'oublions pas le cas de l'éditrice Hatano, sorte de petit fil rouge que Mariko Kikuchi suspecte d'avoir elle-même connu des parents un peu toxiques sans en avoir conscience, son cas aboutissant à un petit épilogue bien trouvé.
Ajoutons à cela une belle préface très sincère de la mangaka puis une intéressante analyse de la psychologue-clinicienne Sayoko Nobuta, et on obtient un nouveau manga-documentaire réussi, tant il pose le doigt avec soin sur les différents aspects de ces relations familiales toxiques.
Côté édition, Akata a eu la bonne idée de proposer ce tome dans un grand format sans jaquette et des teintes similaires à ceux de Mon père alcoolique et moi, pour un rendu cohérent une fois les oeuvres rangées l'une à côté de l'autre. A part ça, on a un logo-titre bien pensé par Tom "spAde" Bertrand, une qualité de papier et d'impression satisfaisante, un lettrage propre, et une traduction impeccable de la part d'Alexandre Fournier.