Summer of Lave - Manga

Summer of Lave : Critiques

Bokura no Funka Matsuri

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 11 Juin 2021

Depuis l'arrivée en France de Tokyo Alien Bros. en 2017, Keigo Shinzo est assurément devenu l'un des auteurs-phares du Lézard Noir, et plus généralement l'un des noms les plus prometteurs d'une nouvelle génération d'auteurs ayant des choses à observer sur ce qui les entoure. Et ainsi, tandis que s'achèvera la semaine prochaine en France l'excellent drame social Mauvaise Herbe, depuis la semaine dernière l'éditeur poitevin nous propose de découvrir un autre récit de l'artiste, à l'ambiance assez différente.

Après L'Auto-école du collège Moriyama et le recueil Taifû no Hi (à ce jour inédiat en France, Summer of Lave fut la troisième publication en livre broché de l'auteur au Japon. Ou, pour être plus précis, la "deuxième ex-aequo" puisque Taifû no Hi est sorti le même jour, le 20 juillet 2012. De son nom original Bokura no funka sai, cette oeuvre en 16 chapitres (pour un total d'un peu plus de 300 pages) fut initialement prépubliée en 2012 dans l'excellent Big Comic Spirits de Shôgakukan, magazine ayant accueilli un paquet de bijoux comme Bonne Nuit Punpun! et Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction d'Inio Asano, Après la pluie de Jun Mayuzuki, Ping Pong da Taiyô Matsumoto...

L'oeuvre nous immisce dans une ville nommée Kanematsu, et plus précisément auprès de deux ados, Toyama et Sakurajima. Le premier semble plutôt blasé, dormant en classe, un peu solitaire et taciturne, ce qui semble étonnamment attirer un petit peu certaines filles même si lui s'en fiche. Quant au deuxième, il est, au contraire, en recherche de reconnaissance (surtout auprès du sexe opposé), assez vif et plutôt dissipé. Et pourtant, tous deux sont potes, unis par leur goût pour sécher les cours. C'est ainsi qu'ils tuent le temps dans leur petite ville peu vivante, où pas grand chose ne se passe... du moins, jusqu'à ce que la montagne non loin de là ne se réveille en dévoilant un volcan. Une éruption plus loin, et la vie des habitants se retrouve changée, mais pas forcément en mal aux yeux de la plupart d'entre eux: l'éruption a fait remonter des sources chaudes, et il n'en faut pas plus pour que, deux ans plus tard, Kanematsu soit devenue une station balnéaire bourrée de touristes, très vivante, et agrémentée de nombreuses échoppes de souvenirs. Un nouveau cadre qui plaît à l'un des deux lycéens mais pas à l'autre, et qui, dans tous les cas, remue quelque peu leur quotidien ainsi que leur entente. Et en vue d'un grand événement devant être organisé en ville (le "Summer of Lave", référence à l'événement de 1967 bien connu Summer of Love), l'alliance des deux garçons risque d'être encore plus mouvementée...

Summer of Lave se présente donc comme une tranche de vie dans une ville calme (morte, diront certains) qui, suite à une catastrophe naturelle, a basculé en moins de deux ans dans l'exact inverse, en influençant forcément la vie de ses habitants, ne serait-ce que les parents de Toyama qui ont lâché leur précédent travail pour tenir des bains. Cette ville, Keigo Shinzo se fera un plaisir de nous la dépeindre sous différents angles au fil des pages, en nous immisçant dans certains de ses recoins, mais bien souvent avec en vue de fond ce fameux volcan visible de quasiment partout dans la cité comme un symbole des changements de Kanematsu.

Et ce cadre, on s'il plonge donc au rythme du quotidien de Toyama et Sakurajima, personnages principaux confirmant encore que Shinzo adore jouer, dans ses oeuvres, sur des duos de personnages à la fois assez opposés et pourtant rapprochés par la force des choses. Ici, on a donc en Toyama et Sakurajima deux caractères bien différents, ce que le nouveau statut de la ville confirme encore: le premier est agacé/blasé par ce que sa ville est devenue, alors que le deuxième se réjouit de l'animation qui y fleur désormais. Et au gré de différents événements quotidiens (les cours, des visites à la grande soeur de Toyama dans son université au pied du volcan, des rencontres amicales voire amoureuses, les préparatifs du festival...), l'auteur ne cesse de nous faire sentir que ces deux-là ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde. Ainsi voit-on en Toyama un garçon dont la vie auprès des siens est assez rangée et qui, derrière son côté blasé et son manque de passions, semble avoir des prédispositions pour plaire. Alors que Sakurajima, derrière son côté vif, attiré par les filles et un peu immature, semble surtout cacher un garçon touchant dans son désir de reconnaissance, lui qui vit dans un cadre familial pour le moins inexistant et qui ne sent pas de réel talent inné en lui. Chose qu'on voit très bien quand il joue de la guitare et chante: tout le monde le voit comme un gros nul, et il se donne à fond malgré tout, comme pour évacuer.

Shinzo nous offre alors un certain portrait de jeunesse dont il a le secret... et qui va évidemment trouver une forme d'évolution au gré des épreuves placées face aux deux adolescents: leur emballement bien différent pour le futur festival, les questions orientation pour l'avenir, une jolie étudiante qui leur plaît à tous les deux... A plus d'une reprise, les chemins de Toyama et de Sakurajima semble devoir se séparer, s'éloigner, jusqu'à parfois risquer de se briser puisque par moments ils se perdent de vue. Et pourtant, il y a toujours des choses qui les réunissent tout naturellement, qui les rappellent l'un vers l'autre envers et contre tout, en ne faisant qu'affirmer de plus belle la force de leur amitié. Une amitié faite d'épreuves, donc, mais aussi de nombreux bons moments parfois fugaces (ne serait-ce que la simple présence de l'autre) ou plus marquant, avec en clou du spectacle le festival "rien qu'à eux" que les deux garçons se feront, au fil d'une dernière partie de tome délectable à souhait dans son parfum de folie et de fougue de la jeunesse.

Portrait d'une ville métamorphosée et qui a rebondi après une catastrophe (un écho au drame de mars 2011 ?), portrait d'une certaine jeunesse, portrait d'une amitié vraie: Summer of Lave est tout ça à la fois. Et Keigo Shinzo mène le tout avec un grand talent, en emballant toujours avec merveille son récit. De quoi confirmer encore un peu plus toutes les promesses de cet artiste.

Et côté édition, on est dans les standards du Lézard Noir: grand format souple sans jaquette, bonne qualité de papier et d'impression, traduction inspirée d'Aurélien Estager qui colle vraiment bien aux personnages et sait leur offrir un certain parler cohérent.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs