Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 27 Janvier 2021
Voici déjà plusieurs mois que Panini, éditeur autrefois conspué pour ses nombreux arrêts de séries en cours de route et pour son absence de communication, tâche de se racheter petit à petit une image. Ainsi, sous l'impulsion de sa nouvelle équipe éditoriale (bien plus impliquée et sérieuse que celle d'il y a quelques années), et en étant notamment porté par le grand succès de Demon Slayer, l'éditeur a déjà entrepris en 2020 de reprendre pas mal de séries autrefois mises en stand-by (Tokyo ESP, Young Black Jack, Gods, etc...), et il compte bien continuer sur cette bonne voie en cette année 2021. Bien sûr, il y a encore un paquet de titres dont on attend avec espoir des nouvelles (Princesse Kaguya, Man-ken, Red Eyes...), mais il s'agit d'un bon début.
2021 nous réserve donc un flot de bonnes choses. D'un côté, des séries totalement cultes (Banana Fish, Lone Wolf & Cub, Eden) vont enfin faire leur retour dans de nouvelles éditions après avoir été indisponibles pendant des années. De l'autre, des oeuvres longtemps restées en pause (Ane no kekkon, Rain Man...) vont continuer de faire leur retour, quand bien même ce sera dans des éditions un peu cheap (volumes doubles, etc). Enfin, il y a les cas un peu à part: ceux des deux "nouveautés" de Panini de janvier, Aozora Yell et Sidooh. Des séries autrefois stoppées en cours de route, et pour lesquelles l'éditeur a plutôt décidé de tout recommencer à zéro, en reprenant la publication depuis le début (un peu comme ce qui avait été fait avec Demon Slayer/ Les rôdeurs de la nuit), avec une nouvelle maquette pour les jaquettes. Il y a éventuellement de quoi crisper un peu les premiers acheteurs, ceux de la première édition de ces séries, dans la mesure où ils auront des tomes dépareillés. A moins de tout racheter depuis le début... mais est-ce vraiment nécessaire ? En effet, il est bon de noter qu'en dehors de la jaquette et de la première page en couleurs, tout le reste du contenu est exactement pareil entre la première édition et cette nouvelle version. Même traduction d'Arnaud Takahashi dépourvue du moindre changement, mêmes polices, etc... C'est une copie conforme, en somme. Pour le reste, le choix de reprendre Sidooh depuis le début semble venir d'une très bonne volonté de la part de Panini: ne pas limiter la série aux seuls acheteurs de la première édition, et réellement lui donner une nouvelle chance auprès d'un nouveau public, d'autant que depuis la première édition Tsutomu Takahashi a un peu gagner en notoriété dans notre pays (il n'est jamais trop tard...). Si bien que, pour bien faire les choses, le retour de Sidooh en librairies s'accompagne d'un certain matériel promotionnel, notamment des présentoirs. Et puis, quitte à reprendre l'édition française de la série depuis le départ, il est vraiment de bon ton de nous débarrasser du fond jaune/noir immonde de la première édition. En revanche, on regrettera un peu que Panini n'ait pas opté pour le même logo-titre, assez stylé, que l'édition japonaise.
Prépubliée au Japon de 2005 à fin 2010 dans le magazine Young Jump de Shûeisha, Sidooh est la plus longue série de la carrière de Tsutomu Takahashi avec son total de 25 tomes, auxquels il faut ajouter le spin-off/suite en un volume Sidooh Sunrise, sorti dans son pays en 2011 (pourvu que Panini le propose aussi chez nous). L'oeuvre nous plonge à une période particulièrement trouble de l'Histoire du Japon, à l'aube de l'ouverture du pays aux étrangers, après de deux siècles et demi de repli sous le shogunat des Tokugawa. Nous voici en 1858, donc dix ans avant la fin de l'ère Edo (celle des Tokugawa) et le début de l'ère Meiji (marquée par l'ouverture du pays au monde et les débuts de son occidentalisation). Au beau milieu du Bakumatsu, période allant de 1853 à 1868 et durant laquelle le pays mit fin à sa politique isolationniste pour moderniser le système féodal du shogunat et donner naissance au gouvernement Meiji. Une période de quelques années particulièrement trouble, tendue et sombre au coeur de ce pays, alors submergé par les conflits entre les partisans de l'ouverture et ceux qui s'y opposaient violemment.
C'est dans ce contexte que Shotaro Yukimura, 14 ans, et son petit frère Gentaro, 10 ans se retrouvent bien trop jeunes livrés à eux-mêmes. Amenée par les navires venus de l'étranger, la maladie épidémique du choléra, qu'on ne savait alors pas soigner, a raison de leur mère, celle-ci ne pouvant que leur faire promettre de devenir forts pour survivre, en leur léguant pour seul héritage le sabre de leur père, samouraï qu'ils n'ont pas connu. Et de la force, les deux enfants en auront sûrement besoin pour s'extirper des horreurs qu'ils croiseront...
"Dans ce monde absurde, les faibles sont condamnés..."
Le premier volume de Sidooh est une claque, en ceci que Takahashi y pose parfaitement, d'emblée, une atmosphère particulièrement sombre et sans concession, qu'i peaufinera ensuite tout au long des pages. Le mangaka nous fait bien comprendre, dès le début, toute la complexité et l'horreur de cette époque très troublée que fut le Bakumatsu, entre maladies, haine envers l'étranger voire envers l'autre tout court, conflits mortels entre les deux camps opposés... un contexte n'ayant fait que précipiter encore plus les méfaits de maladies comme le choléra ou de troupes de brigands comme Kiyozo Asakura, une rencontre faite par nos deux jeunes héros qui aura une grande importance dès ce tome 1. En somme, un contexte sans foi ni loin, sans états d'âme non plus, où la mort rôde en permanence, et où Sho et Gen sont laissés seuls bien trop jeunes. Ne pouvant compter que sur eux-même, les deux enfants se confrontent d'emblée à toutes les vicissitudes du monde: la mort de la mère, l'effroi d'un homme tailladé par un sabre et proche de la mort, viol, torture... Allant de mal en pis tout au long de ce volume, les deux gamins voient tour à tour, bafouées, leur innocence, leurs espoirs, ou encore les quelques valeurs encore présentes en eux comme la volonté de Sho de venir en aide à cette femme violée. Mais trop de compassion dans ce monde-là semble ne pouvoir mener nos héros à rien de bon, surtout s'ils veulent survivre... C'est alors dans ce cadre malsain et violent à souhait que ces deux gosses vont devoir grandir, se forger pour essayer de survivre et de venir plus forts... sans pour autant pouvoir être maîtres de leurs choix, de leur destin, que certaines personnes essaient déjà de leur dicter, mais pas forcément dans la bonne voie.
"C'est ça, de tuer. C'est toujours la même chose, et quand tu l'as fait une fois, tu es obligé de recommencer à l'infini."
Leur parcours promet alors d'être aussi passionnant qu'immersif, d'autant que Takahashi, avec sa patte si personnelle et reconnaissable, met déjà tout en oeuvre pour offrir une expérience visuelle viscérale. Sidooh est déjà très sombre, y compris dans ses dessins qui n'occultent pas grand chose dans le parcours de ces deux enfants constamment bafoués par la réalité du monde qui les entoure. Les designs sont ciselés, les décors poussés, les ambiances impeccablement portées par le gros travail habituel du mangaka sur le noir, sur les encrages, sur les hachures.
Dire que Sidooh est l'une des oeuvres emblématiques de Tsutomu Takahashi est un euphémisme, et la suite de la série saura très bien nous le prouver. Enfin de retour dans nos librairies, la série frappe très fort dès son premier volume, et ce n'est pourtant qu'un début...
2021 nous réserve donc un flot de bonnes choses. D'un côté, des séries totalement cultes (Banana Fish, Lone Wolf & Cub, Eden) vont enfin faire leur retour dans de nouvelles éditions après avoir été indisponibles pendant des années. De l'autre, des oeuvres longtemps restées en pause (Ane no kekkon, Rain Man...) vont continuer de faire leur retour, quand bien même ce sera dans des éditions un peu cheap (volumes doubles, etc). Enfin, il y a les cas un peu à part: ceux des deux "nouveautés" de Panini de janvier, Aozora Yell et Sidooh. Des séries autrefois stoppées en cours de route, et pour lesquelles l'éditeur a plutôt décidé de tout recommencer à zéro, en reprenant la publication depuis le début (un peu comme ce qui avait été fait avec Demon Slayer/ Les rôdeurs de la nuit), avec une nouvelle maquette pour les jaquettes. Il y a éventuellement de quoi crisper un peu les premiers acheteurs, ceux de la première édition de ces séries, dans la mesure où ils auront des tomes dépareillés. A moins de tout racheter depuis le début... mais est-ce vraiment nécessaire ? En effet, il est bon de noter qu'en dehors de la jaquette et de la première page en couleurs, tout le reste du contenu est exactement pareil entre la première édition et cette nouvelle version. Même traduction d'Arnaud Takahashi dépourvue du moindre changement, mêmes polices, etc... C'est une copie conforme, en somme. Pour le reste, le choix de reprendre Sidooh depuis le début semble venir d'une très bonne volonté de la part de Panini: ne pas limiter la série aux seuls acheteurs de la première édition, et réellement lui donner une nouvelle chance auprès d'un nouveau public, d'autant que depuis la première édition Tsutomu Takahashi a un peu gagner en notoriété dans notre pays (il n'est jamais trop tard...). Si bien que, pour bien faire les choses, le retour de Sidooh en librairies s'accompagne d'un certain matériel promotionnel, notamment des présentoirs. Et puis, quitte à reprendre l'édition française de la série depuis le départ, il est vraiment de bon ton de nous débarrasser du fond jaune/noir immonde de la première édition. En revanche, on regrettera un peu que Panini n'ait pas opté pour le même logo-titre, assez stylé, que l'édition japonaise.
Prépubliée au Japon de 2005 à fin 2010 dans le magazine Young Jump de Shûeisha, Sidooh est la plus longue série de la carrière de Tsutomu Takahashi avec son total de 25 tomes, auxquels il faut ajouter le spin-off/suite en un volume Sidooh Sunrise, sorti dans son pays en 2011 (pourvu que Panini le propose aussi chez nous). L'oeuvre nous plonge à une période particulièrement trouble de l'Histoire du Japon, à l'aube de l'ouverture du pays aux étrangers, après de deux siècles et demi de repli sous le shogunat des Tokugawa. Nous voici en 1858, donc dix ans avant la fin de l'ère Edo (celle des Tokugawa) et le début de l'ère Meiji (marquée par l'ouverture du pays au monde et les débuts de son occidentalisation). Au beau milieu du Bakumatsu, période allant de 1853 à 1868 et durant laquelle le pays mit fin à sa politique isolationniste pour moderniser le système féodal du shogunat et donner naissance au gouvernement Meiji. Une période de quelques années particulièrement trouble, tendue et sombre au coeur de ce pays, alors submergé par les conflits entre les partisans de l'ouverture et ceux qui s'y opposaient violemment.
C'est dans ce contexte que Shotaro Yukimura, 14 ans, et son petit frère Gentaro, 10 ans se retrouvent bien trop jeunes livrés à eux-mêmes. Amenée par les navires venus de l'étranger, la maladie épidémique du choléra, qu'on ne savait alors pas soigner, a raison de leur mère, celle-ci ne pouvant que leur faire promettre de devenir forts pour survivre, en leur léguant pour seul héritage le sabre de leur père, samouraï qu'ils n'ont pas connu. Et de la force, les deux enfants en auront sûrement besoin pour s'extirper des horreurs qu'ils croiseront...
"Dans ce monde absurde, les faibles sont condamnés..."
Le premier volume de Sidooh est une claque, en ceci que Takahashi y pose parfaitement, d'emblée, une atmosphère particulièrement sombre et sans concession, qu'i peaufinera ensuite tout au long des pages. Le mangaka nous fait bien comprendre, dès le début, toute la complexité et l'horreur de cette époque très troublée que fut le Bakumatsu, entre maladies, haine envers l'étranger voire envers l'autre tout court, conflits mortels entre les deux camps opposés... un contexte n'ayant fait que précipiter encore plus les méfaits de maladies comme le choléra ou de troupes de brigands comme Kiyozo Asakura, une rencontre faite par nos deux jeunes héros qui aura une grande importance dès ce tome 1. En somme, un contexte sans foi ni loin, sans états d'âme non plus, où la mort rôde en permanence, et où Sho et Gen sont laissés seuls bien trop jeunes. Ne pouvant compter que sur eux-même, les deux enfants se confrontent d'emblée à toutes les vicissitudes du monde: la mort de la mère, l'effroi d'un homme tailladé par un sabre et proche de la mort, viol, torture... Allant de mal en pis tout au long de ce volume, les deux gamins voient tour à tour, bafouées, leur innocence, leurs espoirs, ou encore les quelques valeurs encore présentes en eux comme la volonté de Sho de venir en aide à cette femme violée. Mais trop de compassion dans ce monde-là semble ne pouvoir mener nos héros à rien de bon, surtout s'ils veulent survivre... C'est alors dans ce cadre malsain et violent à souhait que ces deux gosses vont devoir grandir, se forger pour essayer de survivre et de venir plus forts... sans pour autant pouvoir être maîtres de leurs choix, de leur destin, que certaines personnes essaient déjà de leur dicter, mais pas forcément dans la bonne voie.
"C'est ça, de tuer. C'est toujours la même chose, et quand tu l'as fait une fois, tu es obligé de recommencer à l'infini."
Leur parcours promet alors d'être aussi passionnant qu'immersif, d'autant que Takahashi, avec sa patte si personnelle et reconnaissable, met déjà tout en oeuvre pour offrir une expérience visuelle viscérale. Sidooh est déjà très sombre, y compris dans ses dessins qui n'occultent pas grand chose dans le parcours de ces deux enfants constamment bafoués par la réalité du monde qui les entoure. Les designs sont ciselés, les décors poussés, les ambiances impeccablement portées par le gros travail habituel du mangaka sur le noir, sur les encrages, sur les hachures.
Dire que Sidooh est l'une des oeuvres emblématiques de Tsutomu Takahashi est un euphémisme, et la suite de la série saura très bien nous le prouver. Enfin de retour dans nos librairies, la série frappe très fort dès son premier volume, et ce n'est pourtant qu'un début...