Si nous étions adultes Vol.1 - Actualité manga
Si nous étions adultes Vol.1 - Manga

Si nous étions adultes Vol.1 : Critiques

Otona ni Natte mo

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 17 Novembre 2021

Chronique 2 :

Une oeuvre de la talentueuse Takako Shimura est à peine finie en version papier aux éditions Akata qu'une autre lui succède: après la sortie du 3e et dernier volume de la très intéressante série Comme un adieu fin octobre, place à la dernière série en date de l'autrice, à savoir Si nous étions adultes.... De son nom original Otona ni Natte mo (que l'on pourrait traduite littéralement par "Même en tant qu'adulte"), ce manga est toujours en cours au Japon, depuis 2019, dans les pages du magazine Kiss des éditions Kôdansha, un magazine orienté pour les femmes adultes qui a également accueilli, entre autres, les séries Perfect World, Princess Jellyfish ou encore Nodame Cantabile. Et quand on dit que Si nous étions adultes... est la nouvelle publication française de Shimura, nous ne sommes pas tout à fait dans le vrai: la série fait effectivement partie de celles qu'Akata propose également en avant-première numérique, chapitre par chapitre. 20 chapitres sont sortis chez les e-libraires à l'heure actuelle (ce qui nous amène à la toute fin du tome 4), cette avant-première numérique ayant été lancée en mai 2020.

Ce nouveau récit commence par nous immiscer auprès d'Ayano Ôkubo, une femme de 35 ans, qui exerce le métier d'institutrice en école primaire, et qui semble tout à fait épanouie. Souriante, polie, s'entendant bien avec ses collègues... L'un de ses petits plaisirs étant toutefois, de temps à autre, d'aller se sustenter avec une bonne bière, certains soirs, dans un petit restaurant suffisamment éloigné pour que des parents d'élèves ne puissent pas la voir. Et c'est précisément dans ce resto qu'un soir, après ses réunions avec les parents d'élèves, elle fait la connaissance d'Akari Hirayama, serveuse en congé ce soir-là, elle aussi âgée de 35 ans, et avec qui le courant passe immédiatement. L'harmonie semble totale entre les deux femmes qui, d'emblée, et peut-être un peu sous le coup de l'ébriété, s'embrassent. Elles se sentent immédiatement bien ensemble, sont irrésistiblement attirées l'une par l'autre, ont déjà envie de se revoir... Mais alors qu'Akari a l'espoir d'enfin vivre un amour heureux après des échecs passés, elle ne sait pas encore qu'Ayano, malgré la sincérité de ce qu'elle ressent, n'a pas su lui avouer immédiatement la vérité sur sa situation.

Intelligemment occultée par le synopsis de l'éditeur, cette vérité concernant Ayano tombe dès la toute fin du premier chapitre, après une trentaine de pages. Et étant donné que toute la suite du récit repose sur cet élément, les lignes qui suivent vont le spoiler, afin de pouvoir décortiquer un peu plus en détails l'oeuvre, ses thématiques et sa narration. De ce fait, si vous ne souhaitez absolument rien savoir sur cette révélation, vous pouvez sauter le paragraphe suivant.

Il s'avère donc qu'Ayano est mariée, depuis déjà quelques années, à un homme avec qui elle s'entend bien et suit une routine assez confortable, ce qui immisce donc immédiatement en Akari des questions: pourquoi cette femme, qui semble si pure et dépourvue de préjugés, pour qui elle éprouve déjà des sentiments forts, mais qui semble donc hétéro, s'est-elle laissée aller avec elle jusqu'à l'embrasser et à se montrer "chaude" comme le dit la belle brune ? S'est-elle laissée porter par l'ambiance, par le moment ? A-t-elle juste voulu évacuer un coup de blues ? Ou y a-t-il bien un courant qui passe parfaitement entre elles deux avec, à la clé, un amour mutuel ? Les interrogations se bousculent forcément pour Akari, ce qui a surtout pour effet de rappeler à sa mémoire ses échecs amoureux du passé, elle qui, comme elle le dit, a souvent vu ses ex petites amies finir par se ranger dans la "norme" et épouser un homme. Takako Shimura évoque alors très bien les désillusions passées d'Akari... mais elle n'oublie pas pour autant Ayano qui, elle aussi, se pose des questions, en tant que femme mariée à un homme mais ressentant désormais une forte attirance pour une femme. Des questionnements qui, là aussi, permettent à la mangaka de sonder peu à peu l'institutrice, ses doutes mêlés à son désir d'être honnête y compris envers son époux, et surtout la façon dont elle a été amenée à se marier sans se poser trop de questions, parce que ça semblait être le cours des choses. Aurait-elle seulement épousé son mari si elle avait eu 25 ans à l'époque ? Se serait-elle sentie prête en tant qu'adulte ? L'est-elle seulement maintenant ? Se serait-il passé d'autres choses ? Tout le talent de Shimura est vraiment d'amener l'introspection de ses personnages avec naturel, douceur et néanmoins maturité dans le traitement, en alternant efficacement les points de vue de chacun(e), y compris le mari d'Ayano qui, une fois la chose apprise directement de la bouche de sa femme, commence lui-même à s'interroger. Et ce qui en ressort avec beaucoup de nuances, c'est qu'aucun de ces principaux personnages n'en ressort mauvais: chacun apparaît humain dans cette situation qu'ils ne maîtrisent pas voire ne comprennent pas, face à ce coup de foudre qui ne peut être contenu. Un coup de foudre semblant parfois presque aussi naïf qu'un jeune amour adolescent, quand bien même les personnages sont adultes. Enfin, le sujet permet également à Shimura d'esquisser, en filigranes et sans trop en dire, l'un de ces portraits des diktats silencieux de la société dont elle a le secret: attentes envers les couples mariés concernant les enfants, normes privilégiant l'hétérosexualité jusqu'à étouffer dans l'oeuf le reste...

Une nouvelle fois, en s'appuyant sur sa narration subtile et sur un dessin cette fois-ci assez réaliste mais tout en douceur, Takako Shimura sait frapper là où il faut, voire déstabiliser volontairement par certains partis-pris cassant les stéréotypes, afin d'offrir un portrait crédible et moderne d'adultes on ne peut plus prometteur dans ses thématiques.

Quant à l'édition française, elle s'vaère impeccable. la série, proposée en petit format shônen/shôjo, rejoint néanmoins la collection "Large" de l'éditeur, et s'offre un papier assez souple mais bien épais qui permet une très bonne qualité d'impression. La traduction de Jordan Sinnes (déjà traducteur de Comme un adieu) colle parfaitement aux personnages adultes et à l'atmosphère typiques de Shimura, tandis que le lettrage d'Erwan Charlès s'avère très propre, et que le logo-titre imaginé par Clémence Aresu a le bon goût de rester sobre. Enfin, il faut noter que l'éditeur a entrepris d'offrir une jaquette bien différente de l'originale japonaise, en proposant une autre illustration. Si celle-ci colle fort bien à la série et constitue donc un choix de bonne facture, il y a tout de même de quoi être attristé par la perte de la magnifique illustration de la couverture japonaise. On aurait alors adoré, par exemple, retrouver cette dernière en guise de première page couleur au début du livre, mais peut-être n'était-ce pas possible vis-à-vis des ayant-droit japonais...


Chronique 1 :

Les éditions Akata n'auront pas tardé pour publier de nouveau une œuvre de Takako Shimura dans son catalogue. Tandis que le troisième et dernier volume de Comme un adieu est disponible depuis le mois d'octobre, c'est la série actuelle de la mangaka qui pointe le bout de son nez chez nous. Lancé en 2019 dans le magazine Kiss de l'éditeur nippon Kôdansha, sous le titre d'origine Otono ni Natte mo, Si nous étions adultes... compte à ce jour cinq tomes dans son pays d'origine, et est toujours en cours.

Enseignante en primaire qui a dépassé les 35 ans, Ayano mène une vie épanouie. Après une journée de travail rude marquée par une rencontre parents-professeur, c'est dans un café qu'elle rendre Akari, jolie belle brune et célibataire. Le courant passe directement entre elles, si bien qu'elles finissent par s'embrasser. Leur attirance réciproque ne fait aucun doute, et quelque chose de fort est en train de se créer entre elles. Seulement, quand elle revoie Ayano, Akari fait une découverte qui remet en cause leur possible relation...

Dès les premières pages de Si nous étions adultes..., l'intention de Takako Shimura sur cette nouvelle œuvre ne semble faire aucun doute. L'autrice nous propose une romance entre deux femmes, et surtout deux adultes. Pourtant, la rencontre entre Ayano et Akari a cette touche adolescente marquée par le coup de foudre et l'exaltation un peu naïve que chacune éprouve rapidement pour l'autre. Les dés semblent alors jetés entre les deux protagonistes du récit, jusqu'à ce que la conclusion du premier chapitre nous bouscule par une révélation surprenante, donnant immédiatement un tout autre sens au manga. A ce titre, on apprécie que la quatrième de couverture n'en dise pas trop à ce sujet, laissant au lecteur le loisir d'être surpris, au même titre que l'une des deux héroïnes.

Le propos derrière Si nous étions adultes... apparaît alors bien plus clair. C'est une relation a priori impossible qui nous est narrée, avec en permanence une tension dramatique résident surtout sur l'envie infernale des deux jeunes femmes de se retrouver. Tandis que l'ouvrage développe peu à peu les tourments sentiments vécus par Akari et la situation personnelle et pleine de dilemmes d'Ayano, c'est bien cette impossibilité amoureuse apparente qui rythme le récit et nous porte. Pourtant, ce début d'œuvre ne s'enfonce jamais dans la drame au pathos trop prononcé. Bien au contraire, une ambiance douce règne du début à la fin, ce qui peut paraître paradoxal étant donné les enjeux plantés dans l'histoire. C'est aussi ce qui donne de la maturité au récit, la capacité qu'ont les personnages à se poser, réfléchir et apprécier justement la situation sous leurs yeux. Certains trouveront peut-être même un manque de réaction chez certains personnages peu démonstratifs, mais pourtant bien torturés par certaines inquiétudes.

On pourrait même aller plus loin dans les sujets brassés par ce début d’œuvre, en émettant certaines hypothèses sur le devenir de l'intrigue suite à quelques indices habilement disséminés. Pour le moment, le récit semble aussi aborder les impératifs de la société, ses règles de foyer patriarcales, ses mœurs hétéronormées, et pourquoi pas même l'enjeu derrière de multiples amours simultanés. Et parce que toutes ces interrogations restent en suspens au terme de ce premier volume, nous avons la confirmations que Si nous étions adultes... arrive rapidement à planter de belles ambitions. La série dépassera les cinq volumes, ce qui laisse le temps à Takako Shimura d'explorer ces thématiques mais aussi (et surtout) le destin d'Ayano et Akari, ces deux jeunes femmes aux tourments différents, mais réunies par des sentiments sincères.

Côté édition, Akata livre un bien jolie copie, que ce soit grâce à sa couverture mate d'un bel effet, son agréable papier épais qualitatif, la traduction de Jordan Sinnes qui porte admirablement l'ambiance du récit, le lettrage clair et lisible d'Erwan Charlès, ou encore la belle conception graphique de Clémence Aresu, responsable du logo. Notons d'ailleurs que la couverture est différente de celle japonaise, un choix que certains regretteront tandis que d'autres apprécieront, tant le visuel proposé est d'un superbe effet grâce à la patte colorée si particulière de Takako Shimura, sans compter la composition très sensée étant donné les idées brassées par ce premier tome.
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

16 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs