Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 02 Novembre 2023
Yûgo Kobayashi est assurément un auteur important pour Mangetsu, puisque c'est avec sa série-phare de football Ao Ashi que l'éditeur a fait ses débuts au mois de mai 2021. Depuis, tandis que le catalogue de Mangetsu s'est bien développé, l'oeuvre footballistique de Kobayashi, riche de 18 volumes publiés en France à l'heure où ces lignes sont écrites, n'a cessé de confirmer son excellence dans son registre, et par la même occasion le talent de son auteur. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir Mangetsu lui rester fidèle en lançant, en ce mois d'octobre, deux autres de ses oeuvres ! Et après le premier volume de Fermat Kitchen il y a trois semaines, c'est Short Peace qui est arrivé à la fin du mois d'octobre.
Short Peace est un projet tout à fait particulier dans la carrière de l'auteur. Un projet qu'il a initié dès 2014 en tant que fan de cinéma, et dont il souhaitait visiblement faire une série régulièrement avant que son responsable éditorial, dès cette même année 2014, ne lui suggère de plutôt concevoir un manga sur le football, ce qui donnera naissance au début de la prépublication d'Ao Ashi dès l'année suivante. Essentiellement focalisé sur Ao Ashi depuis (rappelons que la série est publiée au Japon à un rythme hebdomadaire, et qu'en plus Kobayashi a dû beaucoup se préparer car au départ il ne s'y connaissait pas spécialement en football), le mangaka avait alors dû mettre le projet Short Peace de côté après seulement deux histoires (la première en un chapitre prépublié dans le magazine Spirits des éditions Shôgakukan en février 2014, et la deuxième en deux chapitres parus en juillet et août 2014), mais en guettant toujours l'opportunité d'un jour lui offrir une suite. C'est finalement en septembre et octobre 2017 qu'il put publier une troisième histoire, entre deux chapitres d'Ao Ashi (série qu'il n'a jamais mise en pause), après plusieurs mois passé sur son temps libre à en peaufiner l'histoire et le storyboard. Difficile, après tous ces efforts, de ne pas voir en Short Peace un authentique manga-plaisir témoignant de la passion de son auteur ! Et c'est grâce à l'arrivée de cette troisième histoire qu'un épais volume broché d'environ 240 pages put enfin voir le jour au Japon le 30 octobre 2017. Actuellement, le manga Short Peace est considéré comme achevé en un seul tome, et pourtant le chiffre 1 est affiché sur la jaquette, sans doute pour une raison: la porte est restée ouverte, car il s'agit typiquement du genre d'oeuvre à laquelle Kobayashi pourrait offrir de nouvelles histoires un jour ou l'autre, selon ses envies.
Comme vous l'aurez probablement déjà compris, Short Peace se compose de trois histoires courtes de longueur assez variable, qui sont toutefois connectées les unes aux autres par leurs personnages récurrent issus du club de cinéma d'un lycée. Cela pourrait être un simple club comme il y en a tant, avec son lot de petites projets et ses limites budgétaires faisant qu'il faut se débrouiller avec les moyens du bord. Mais il s'avère que le dirigeant de ce club, Kiyoharu Onda, authentique passionné de cinéma, est d'ores et déjà considéré comme un prodige, tant ses talents sont évidents et ont déjà été remarqués, le club étant même passé dans le journal après avoir été récompensé à un festival du court-métrage. Forcément, cela attire donc un certain intérêt dans leur entourage, qui amènera Kiyoharu et ses camarades du club à rencontrer des personnalités variées à travailler avec elles, voire à faire ressortir le meilleur d'elles-mêmes afin d'effacer leurs doutes et traumatismes.
Ainsi, dans le premier récit, le club répond au mieux à la demande d'un jeune groupe de musique pour réaliser le clip de leur nouvelle chanson, alors même que ce groupe doit composer avec un producteur arrogant et hautain qui se fiche de leur personnalité et veut les pousser à faire du commercial.
La deuxième histoire place sur la route du club la dénommée Hikari, une ancienne enfant-star dont la carrière a ensuite décliné suite à des paroles dures qu'elle n'a jamais digérées, comme quoi elle se contenterait d'adapter à merveille son jeu selon ses rôles en s'inspirant d'autres actrices mais en n'étant alors jamais elle-même, restant ainsi une coquille vide. Sous les caméras du club, saura-t-elle enfin faire face à ses traumatismes pour dévoiler la vraie elle-même ?
Enfin, le troisième récit voit Kiyoharu insister pour recruter un jeune garçon du nom de Kaname, dont il a décelé les talents de cadreur sur des photos où il se soucie profondément de ses sujets. Seulement, l'adolescent acceptera-t-il de les rejoindre, lui qui a toujours subi l'ombre de son défunt père, photographe mondialement réputé mais qui n'a absolument jamais été présent pour lui et sa mère ?
C'était déjà évident à travers le héros d'Ao Ashi qui est un immense espoir du football, puis via les deux personnages principaux de Fermat Kitchen qui excellent respectivement en mathématiques et en cuisine: Yûgo Kobayashi aime mettre en scène des petits génies dont l'éclat va influer sur leur entourage. C'est encore le cas ici avec Kaname dont on découvre le talent fou en cadrage, avec Hikari qui est capable de jouer divinement bien, et surtout, bien sûr, avec Kiyoharu, qui cache derrière son excentrique un véritable talent qui s'exprime immédiatement et à la moindre occasion. Dans une moindre mesure, ce côté prodige des personnages pourrait les déconnecter un peu du lectorat, d'autant plus que l'excentricité de Kiyoharu s'exprime parfois de manière très spéciale (il est très cash dans ses propos parfois au point de blesser un peu les autres, et se montre même un peu brutal parfois, notamment envers la petite Yui). Et pourtant, la sauce prend plutôt bien, non seulement parce qu'à côté de ça on suit avec intérêt l'aspect plus humain de figures comme Kaname ou Hikari qui doivent surmonter leurs blessures, mais aussi parce qu'on ressent en permanence la passion qui transpire chez les personnages, passion que Kobayashi sait toujours insuffler dans ses oeuvres, et peut-être plus encore ici puisque lui-même est un féru de cinéma et que Short Peace est vraiment LE manga qu'il dessine pour son plaisir, comme il l'avoue dans la très longue postface riche en anecdotes (à la fois sur la création de Short Peace et sur celle d'Ao Ashi). On aurait néanmoins peut-être cru que l'immersion dans le monde du cinéma serait plus profonde: il y a bien un petit lot de références et l'évocation de plusieurs termes importants de cet Art (travelling, plan-séquence, cadrage, profondeur de champ, hors-champ...), mais ça ne va pas beaucoup plus loin. En revanche, en mettant en scène tour à tour un groupe de musique, une actrice et un photographe, le mangaka s'offre la possibilité d'évoquer un peu différents autres milieux artistiques. Et pour porter le tout, on retrouve le dessin typique de l'artiste, avec des personnages débordant d'une expressivité communicative et même quelques petites métaphores visuelles sympathiques par-ci par-là.
A l'arrivée, Short Peace se révèle être une lecture facilement emballante. On pouvait s'attendre à ce que certains sujets autour du cinéma soient un peu plus approfondis, mais chacune des trois histoires est rondement menée et déborde d'une certaine passion mais aussi d'un côté humain à travers les personnages. Autant dire que, s'il venait l'envie à Yûgo Kobayashi de réaliser de nouvelles histoires dans cet univers un jour, on ne dirait pas non !
Concernant l'édition, Mangetsu livre une fort bonne copie: la jaquette travaillée par Haikel "Luchisco" B reste très proche de l'originale nippone tout en s'offrant des éléments en vernis sélectif, le papier est à la fois souple et bien opaque, l'impression est très bonne, le lettrage effectuée par le Docteur No est très soigné, et la traduction de Mathilde Vaillant n'a aucune difficulté à bien accompagner le côté vif et passionné de l'oeuvre.