Boy's Abyss Vol.1 - Actualité manga
Boy's Abyss Vol.1 - Manga

Boy's Abyss Vol.1 : Critiques

Shonen no Abyss

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 23 Novembre 2022

Assez remarquée au Japon autant pour ses thématiques graves que pour ses sublimes couvertures, Shônen no Abyss arrive en France aux éditions Kana en ce mois de novembre sous le nom Boy's Abyss, qui est une traduction littérale du titre japonais mais aussi le nom internationale choisi par l'éditeur japonais d'origine, Shûeisha. En cours dans son pays d'origine depuis 2020 au sein du magazine Young Jump (le magazine des bijoux Kowloon Generic Romance, Ascension ou encore Sidooh, entre autres), l'oeuvre est toujours en cours à l'heure où ces lignes sont écrites, et verra son 11e volume paraître au Japon le 19 décembre. il s'agit de la dernière oeuvre en date et sans doute de la série la plus personnelle à ce jour de Ryô Minenami, une mangaka dont c'est la première publication française mais qui officie professionnellement depuis la fin des années 2000, dont la série la plus longue reste la comédie romantique en 17 volumes Hatsukoi Zombie, mais qui a également déjà signé quelques séries plus courtes et plus psychologiques où, déjà, elle esquissait des sujets graves et des thématiques très actuelles.

On fait ici la connaissance de Reiji Kurose, adolescent en deuxième année de lycée qui, dans sa petite ville de province où il est né et où il a toujours vécu sans jamais en sortir, étouffe. A la maison, il est coincé entre un grand frère hikikomori violent et capricieux qu'il déteste, une grand-mère atteinte de démence, et une mère tentant seule de subvenir à leurs besoin savec son job d'infirmière mais qui risque de craquer à tout moment, si bien que le jeune garçon se sent obligé de trouver un travail dès la fin du lycée pour la soutenir aussi vite que possible. Et en dehors de ce cadre familial difficile, ce n'est pas beaucoup mieux, en particulier parce que Gen, un ancien ami d'enfance et fils d'un patron d'entreprise du coin, se prend pour un roi et ne cesse de le traiter comme son larbin. Les seuls moments de joie que l'adolescent passe ont lieu avec son amie d'enfance Tchako, une fille qui pourrait avoir éventuellement plus de chance que lui: elle est intelligente, fréquente le meilleur lycée privé pour filles du département, a plein de passions, semble toujours joviale, et compte bien vivre son rêve d'intégrer une prestigieuse université à Tokyo et quitter cette ville de province où rien ne se passe. Et pourtant, Tchako elle-même semble cacher ses douleurs derrière son apparente jovialité: elle se trouve grosse, petite, poilue, myope et moche. Alors pour tenter de se libérer un tant soit peu de leur situation, ces deux-là ont notamment choisi de se prendre d'intérêt pour Acrylic, un groupe d'idoles montant, et en particulier pour la membre Nagi Aoe, pour qui Tchako voit déjà un bel avenir dans le milieu. Bref, la situation n'est pas des plus joyeuses, mais Reiji ne s'attendait certainement pas à ce que sa vie prenne un nouveau tournant décisif quand, un soir, alors que Gen lui a ordonné d'acheter des cigarettes à la supérette, il reconnaît en la vendeuse Nagi Aoe en personne ! L'adolescent est forcément troublé par cette belle jeune femme de 20 ans, qui lui apparaît loin de la simple idole vue à la télévision, d'autant plus qu'elle semble cacher un certain vague à l'âme au fond d'elle, et qu'elle lui donne rendez-vous le soir-même pour qu'il lui fasse visiter la ville. Nagi recherche plus particulièrement "L'abysse des amoureux", un pont au-dessus d'une rivière qui a été récemment popularisé par un roman où la légende dit que les couples amoureux s'y suicident quand ils ne peuvent pas échapper à leur difficile destin. C'est alors que la jeune idole fait une proposition à Reiji: mourir avec elle dans ces abysses...

"Ainsi débute le crépuscule de ma vie."

Entre cette phrase refermant le premier chapitre et la proposition de suicide de Nagi qui est évoquée dès la page d'introduction, on peut dire que Ryô Minenami installe son ambiance d'entrée de jeu de façon particulièrement forte, comme s'il n'y avait absolument aucun espoir dès le début, et c'est encore plus le cas quand on se dit qu'il y a possiblement une part personnelle dans cette histoire puisque l'autrice dédicace l'oeuvre à "cette ville" et à un certain K qui y sommeille... Et cette atmosphère assez pesante et bourrée de spleen que ne renieraient pas Inio Asano dans certaines de ses oeuvres, Shuzo Oshimi dans les Fleurs du Mal, l'écrivain Baudelaire ou même l'écrivain japonais suicidaire Osamu Dazai (faut-il voir l'idée de l'abysse des amoureux comme un clin d'oeil à la propre fin de Dazai ?), Minenami ne va cesser de l'entretenir froidement en faisant avant tout ressortir une chose: le sentiment d'étouffement de Reiji (et pas que de lui) dans cette ville qu'il ne semble pas pouvoir quitter, comme si sa vie ne lui appartenait pas à cause de ses différentes "obligations", et comme s'il n'y avait aucune échappatoire à sa condition.

Ce climat froid se voit alors, à première vue, un peu brisé par l'entrée de Nagi Aoe dans sa vie. A priori, Nagi aurait pu incarner ce qui lui échappe: elle est d'une beauté particulièrement envoûtante avec ses traits fins, son regard doux et perçant, ses grains de beauté et sa silhouette rayonnante, elle semble vivre son rêve en étant idole, elle pourrait devenir très populaire et avoir un avenir qui apparaîtrait radieux aux yeux du grand public... mais qu'en est-il réellement ? Plus que fascinant et perçant, son doux visage apparaît aussi éteint, un peu las et triste, et ça se confirme quand elle demande à Reiji de se tuer avec elle. Qu'est-ce qui a pu l'amener à cette envie ? Que cache son parcours pour en arriver là ? Que fait-elle dans cette ville exactement en travaillant comme vendeuse de supérette ? Des éléments de réponse s'esquissent déjà, en particulier à travers le personnage de Nozoe, mais la part de mystère reste omniprésente et permet surtout à l'autrice d'accentuer sans cesse le mal-être de ses principaux personnage, entre le sentiment de n'avoir aucune raison de vivre, l'idée d'échapper à son sort grâce à la mort, le désir de se libérer un tant soit peu de l'étouffante et oppressante réalité à travers le sexe, les pressions parfois presque silencieuses exercées par le quotidien (à l'image de la façon dont Gen traite Reiji, de l'espoir qu'a la mère de notre héros de vite le voir trouver un travail pour être soulagée, ou de l'image négative qu'a Tchako sur son propre corps), ou encore l'importance de percevoir le "vrai soi" chez les autres, de regarder vraiment les gens derrière leur apparence, chose que Reiji commence à faire avec Nagi au point de la toucher.

Boy's Abyss promet alors d'aborder de façon à la fois fine et assez frontale (faisant que la lecture, plutôt dure, sera déconseillée à un public trop sensible) des thématiques profondes, dans une atmosphère mature, empreinte d'un spleen aussi "captivant" que difficile, le tout étant emballé dans un dessin convaincant où les décors photoréalistes accompagnes bien les designs fins et les expressions nuancées. Autant dire que l'on suivra de très près cette série très prometteuse.

Au niveau de l'édition française, notons tout d'abord de Kana a fait le choix, comme pour certaines autres oeuvres lancées cette année (Adabana, De nous il ne restera que des cendres), d'opter pour un grand format qui, forcément, augmente d'un cran le prix. Pour certains titres cela se justifie peu, mais ici ça passe car on profite mieux du trait intéressant de la mangaka et de son gros travail d'atmosphère. Ajoutons à cela une traduction très soignée de Sophie Lucas, un bon travail de lettrage, des premières pages en couleurs, un papier fin mais peu transparent et permettant une honnête qualité d'impression, et une jaquette fidèle à l'originale japonaise et où l'on saluera le logo de l'éditeur qui a été retravaillé pour mieux se fondre à l'illustration et ainsi ne rien gâcher de celle-ci.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs