Shelter of Love Vol.1 : Critiques

Koboreru Yoru ni

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 12 Mai 2025

Mangaka adulée pour son bijou Perfect World, et également autrice de l'excellent Quand la nuit tombe et du joli Par-delà les étoiles, Rie Aruga fait partie de ces mangakas qui sont emblématiques du catalogue des éditions Akata, et dont on attend chaque nouvelle oeuvre avec un profond intérêt, l'autrice n'ayant désormais plus rien à prouver dans sa capacité à traiter de sujets de société importants avec méticulosité, réalisme et sensibilité. Ainsi, son retour dans les librairies françaises en ce mois de mai, avec Shelter of Love, sa dernière série en date, est est vrai petit événement. De son nom original "Koboreru Yoru ni", ce manga compte cinq volumes à l'heure où ces lignes sont écrites, et a été lancé au Japon le 24 septembre 2022 dans le magazine Kiss des éditions Kôdansha, magazine au sein duquel l'autrice avait déjà proposé Perfect World.

Ici, tout commence en 2012, lorsque Yoru Tôno, une petite fille de dix ans, est transportée en voiture pour être amenée dans sa nouvelle "maison", au sein de sa nouvelle "famille", un foyer pour enfants, accueillant des jeunes de deux à dix-huit ans. Ayant un père qui a disparu quand elle avait sept ans, et une mère récemment internée car elle a été jugée mentalement instable et piquait de terribles crises de colère sur elle, la fillette n'a plus de famille apte à s'occuper d'elle, et doit donc être place dans ce foyer où, en guise d'unique souvenir de sa maman, elle a pu emporter un rubik's cube. Se montrant d'emblée très docile et peu bavarde, sûrement par crainte d'être rejetée ou frappée, elle peine d'abord à s'intégrer, mais peut pourtant immédiatement compter sur celui qui deviendra indispensable à sa vie dans les années à venir: Tenjaku Narita, un garçon de son âge, qui a perdu sa mère, et dont le père était violent au point de lui avoir laissé une grande cicatrice dans le dos. Grâce à lui et à sa promesse de la protéger, Yoru parvient petit à petit à trouver son équilibre, et c'est ainsi que les années passent jusqu'à leur deuxième année de lycée. Tandis que Tenjaku a trouvé des petits boulots pour économiser et a déjà le regard fixé vers l'avenir, Yoru, elle, n'arrive pas du tout à se projeter en dehors du foyer. Alors concrètement, alors qu'une fois leurs dix-huit ans arrivés ils devront quitter ce foyer qu'on leur avait présenté comme une "maison" et une "famille", comment ces jeunes pourront-ils s'intégrer, eux qui n'ont jamais connu de repères familiaux et affectifs normaux ?

Dès la première page, Rie Aruga démarre son récit par des mots forts qui donnent tout de suite la tonalité sensible qui nous attend, à travers une héroïne revenant sur l'époque où elle a intégré le foyer, une époque où, à son si jeune âge, elle se demandait déjà, au vu de ce qu'elle a traversé, pourquoi elle est née, et si elle avait une place sur cette terre. Voila qui cristallise d'emblée le volonté de la mangaka de nous immiscer au plus profond de son sujet, en prenant surtout soin de nous placer autant que possible depuis le point de vue des principaux concernés, à savoir les enfants eux-mêmes. Et de ce côté-là, on devine déjà un gros travail de documentation de l'autrice pour souligner un paquet de choses autour de ces enfants et adolescents devant grandir sans les repères affectifs d'une famille normale, avec tout ce que ça peut impliquer de souffrances pouvant s'exprimer de façons bien différentes. Ainsi, à côté d'une Yoru renfermée et peinant à être extravertie, on a un Tenjaku plus casse-cou, à fleur de peau quand il laisse éclater sa colère dans certaines situations, et semblant toujours désireux de fuir sans pour autant trahir le lien presque fusionnel bâti avec notre héroïne. A ceux-ci s'ajoutent des personnages secondaires bien campés comme, en début de tome, le petit Yûdai, qui cache derrière ses brimades et ses bêtises une douleur encore différente vis-à-vis de l'espoir de voir sa mère venir le récupérer un jour, en ne manquant pas de nous toucher. Et mieux encore, Aruga sait aller plus loin, en dehors du foyer d'accueil, à travers le cas d'Ijuîn, lycéen nous montrant que même quand on a une famille on peut avoir le sentiment d'être abandonné.

A travers une narration assez introspective et une écriture précise, la mangaka décortique avec soin chacune des émotions contenues ou plus explicites de ses jeunes personnages: le sentiment de solitude qui peu s'emparer d'eux, leur rêve de revoir leurs parents qu'ils peuvent continuer d'aimer malgré leurs facettes les plus détestables, au contraire leur peur presque panique à l'idée de les revoir un jour, leur manque d'amour, leurs traumatismes, leurs angoisses comme la peur de n'avoir ni place ni valeur... soit beaucoup de sentiments contrastés que Rie Aruga retranscrit avec soin et impact. A cela s'ajoutent d'autres réalités, comme les limites des foyers d'accueil (ne serait-ce que leur manque de moyens et les difficultés pour les responsables d'y donner, malgré toute leur bonne volonté, suffisamment d'affection individuelle aux enfants), la difficulté pour ces jeunes de se construire normalement sur bien des points (par exemple, quasiment impossible pour eux d'avoir un téléphone portable comme tout ado de leur âge, car ça demanderait bien trop de moyens), et plus encore la question du regard des autres, comme on le voit déjà ici à travers la séquence à la supérette et la crainte de Yoru de dire à ses camarades de classe au lycée qu'elle vit en foyer. Et à partir de là, la question de leur intégration en société, une fois qu'ils seront adultes, se pose tout naturellement.

A l'arrivée, dès ce premier volume où elle nous fait déjà suivre ses personnages sur quelques années et où elle devrait fort logiquement continuer dans cette perspective sur la longueur (comme elle avait déjà si bien su le faire dans Perfect World, où l'on suivait les personnages à différents âges), Rie Aruga frappe très juste, et nous promet d'aborder avec tout le soin, le réalisme et la sensibilité qu'on lui connaît un sujet si délicat et en même temps si important.

Côté édition, enfin, la copie offerte par Akata est impeccable: le papier allie souplesse, épaisseur et opacité, l'impression est très bonne, la traduction effectuée par David Pollet est très claire, le lettrage assuré par Tom "spAde" Bertrand et Adrian S. est très propre, et la jaquette travaillée par Clémence Aresu se veut proche de l'originale japonaise tout en se parent d'un logo-titre soigné.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction