Sayuri - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 13 Novembre 2020

Il est difficile de passer à côté du nom de Rensuke Oshikiri depuis quelques mois. Le mangaka, particulièrement friand de jeux-vidéo, a signé les deux titres nostalgiques que sont Bip-Bip Boy et Hi Score Girl, ce dernier ayant même été adapté en série animée par Netflix. C'est d'ailleurs cette déclinaison qui fera connaître l'artiste, avant que ses mangas nous parvienne. Et si Hi Score Girl est le récit le plus populaire d'Oshikiri, disponible chez nous aux éditions Mana Books, c'est avant tout l'éditeur Omaké Manga qui se fera précurseur pour oser cet auteur à la patte visuelle si marquée. Dans un premier temps, il est question de publier Bip-Bip Boy, manga en grande parie autobiographique dans lequel le mangaka livre ses anecdotes de jeunesse autour du rétrogaming, ce qui lui inspirera Hi Score Girl, une comédie sentimentale beaucoup plus romancée. Puis, Omaké a pioché dans le domaine de prédilection de l'artiste pour continuer de le représenter chez nous : L'horreur. Car Rensuke Oshikiri a beau adorer jouer, il est très friand de récits fantastiques et horrifiques. C'est ainsi que nous est proposé Le Perce Neige, titre sanglant de massacre avec comme toile de fond le harcèlement et la frontière entre les adultes et la jeune génération, pour un récit lourd psychologiquement mais aussi terriblement mélancolique et dramatique. Après cette œuvre marquante, l'éditeur ne délaisse pas le mangaka puisqu'il est question de proposer l'une de ses œuvres préférées : Sayuri.

Initialement paru dans le magazine Birz des éditions Gentôsha entre 2010 et 2011, Sayuri fut initialement compilé en deux volumes, conformément à la rupture marquée dans l'histoire. Une scission qui ne satisfait pas vraiment l'auteur, d'ailleurs. Aussi, le 24 décembre 2015, le lectorat japonais peut célébrer noël dans l'effroi avec une réédition intégrale, en un seul volume donc, de l’œuvre. Un moyen d'avoir tout le récit en un seul épais pavé d'une part, mais aussi une satisfaction pour Rensuke Oshikiri qui voit son titre comme un tout, et non comme deux parties de scénario distinctes.

Ayant vécu jusqu'ici dans un appartement plus que modeste, la famille du jeune Norio aspire à une vie meilleure dans une grande maison achetée par le père du jeune homme, un peu à l'écart de la ville. Un nouveau départ pour le foyer dans une bâtisse si grande qu'elle permet d'accueillir aussi les grands parents de l'adolescent. Tout semble aller pour le mieux pour cette petite famille, l’aménagement marquant les habituels conflits entre des enfants qui bataillent au sujet de leur chambre. Pourtant, bien rapidement, de mystérieux événement vont frapper le foyer. Tandis que de sordides rumeurs au sujet de la maison sont colportées, le père de Norio est frappé d'un épuisement dont il ne se remet par. Puis, ce sont les autres occupants de la demeure qui se trouvent, à leur tour, marqué par des événements inhabituels. Norio va connaître l'horreur dans son nouveau domicile, mais devra aussi élucider le mystère qui se cache derrière ces faits étranges.

Avec Sayuri, Rensuke Oshikiri narre une histoire horrifique de maison hanté, un genre particulièrement fréquent dans ce type de fiction. Ici, ce n'est pas une bande de copains qui fera la macabre expérience, mais bien un foyer composé d'enfants, d'adultes et de vieillards. Et si bien souvent une règle est établie concernant les personnages aptes à trépasser, notamment dans le cinéma américain, l'auteur fait fi de ces limites pour développer une véritable tragédie de famille. Et c'est en ce sens que Sayuri dérange dans un premier temps : Les apparitions effroyables, de plus en plus récurrentes, ont bon nous prendre par stupeur, c'est surtout la chute de chacun des membres de la famille de Norio qui créé un sentiment d'angoisse réussi chez le lecteur. D'ailleurs, il est d'abord difficile d'établir le jeune homme comme réel protagoniste du titre, et c'est parce que les différents membres du foyer vont subir, ou non, la menace Sayuri que le héros de cette mésaventure horrifique se dessinera, au fil des chapitres donc.

L'auteur développe donc tout un travail d'ambiance, page après page, que ce soit dans les atrocités vécues par la famille ou par le mystère autour de l'entité qui hante les lieux qui se décantera progressivement. Il faut dire que le titre ne laisse pas de place au doute concernant l'origine des événements surnaturels, mais qu'en est-il de cette Sayuri ? Le scénario répondra à cette question, dans sa seconde moitié notamment, et aura alors l'intelligence de résoudre la macabre situation tout en apportant des révélations qui planteront quelques thèmes précis dans la trame. Et concernant cette fin, on a la satisfaction de découvrir un final solide et non une tragique fin ouverte, comme ce qui se fait régulièrement dans le cinéma d'horreur. C'est une volonté propre du mangaka d'ailleurs, les lecteurs ayant le loisir de découvrir son état d'esprit par rapport à cette conclusion dans quelques notes de fin de volume. Celui-ci revient même sur la rupture entre les deux parties de récit, évoquées en début de chronique. S'il aime considérer son titre comme un tout, difficile de ne pas remarquer le changement de tonalité, notamment parce que le dernier tiers d'intrigue revet un côté effréné un peu burlesque, mais qui revet une certaine importance dans ses messages.

Le one-shot (du moins, dans cette version proposée) narre évidemment l'histoire angoissante d'une famille qui aménage dans une maison hanté, mais pas que. Comme nous l'avons relevé, le scénario dévoilera d'autres sujets au fil de ses révélations, une démarche chère au mangaka qui ne se contente pas de simplement conter des récits d'horreur mais qui cherche aussi à parler de la société, comme Le Perce Neige nous l'a montré. Avec Sayuri, c'est avant tout notre peur du monde et de l'inconnu qui sont mis en exergue. La situation de départ traite de la famille et du changement d'environnement, tandis que la menace Sayuri peut-être interprétée de différentes manières. Face à elle, le comportement de l'un des personnages dans la dernière partie de tome prend un sens fort, quitte à renouveler l'atmosphère du titre de manière nette. Face à la peur, à l'inconnu et au monde, il ne faut jamais se résigner, mais plutôt chercher à comprendre. La résolution de l'histoire, en plus d'être très satisfaisante, se montre forte... et une nouvelle fois un peu mélancolique. Car si Rensuke Oshikiri parle du fossé entre les générations dans Le Perce Neige, il évoque ici les soucis de compréhension au sein du famille, et la manière dont un foyer peut provoquer sa propre destruction quand chacun de ses membres se ferme à autrui.

Enfin, difficile de ne pas évoquer la patte visuelle de l'auteur, qui constitue une vraie identité d'artiste. Oshikiri a un trait déroutant, mais particulièrement efficace dans les récits d'horreur. Il faut dire que ses personnages ont souvent des airs sinistres, tandis que le mangaka est assez brillant pour dessiner des entités malsaines et délicieusement glaçantes dans ses planches. Pour un non initié, entrer dans l'univers graphique de l'auteur reste peut-être délicat, mais le cachet finit par l'emporter et garantir une expérience esthétique unique.

Alors, Sayuri remplit particulièrement son office en tant qu’œuvre d'horreur d'une part, et manga de Rensuke Oshikiri de l'autre. Car d'un côté, cette histoire d'épouvante marque sans mal et propose de nombreuses idées bien trouvées, tandis que la patte de l'auteur garantir une ambiance prenante et un scénario aux différents degrés de lecture. Du Oshikiri comme on l'aime, et un ouvrage qui confirme tout le talent d'un auteur qui mériterait davantage de reconnaissance. L'initiative d'Omaké de continuer à éditer l'artiste est à saluer, et on croise les doigts pour voir d'autres de ses mangas paraître chez nous, dans les mois à venir.

Côté édition, Omaké propose une nouvelle belle copie. Outre le papier de qualité et la maquette ergonomique qui permettra au one-shot de bien se marier avec les volumes du Perce Neige dans une mangathèque, il est appréciable que l'épaisseur du pavé (environ 385 pages) n'entrave jamais le confort de lecture. Enfin, le travail de traduction de Florent Gorges et Stéphanie Lemoine sert totalement l'ambiance du récit, et semble donc sans fausse note.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction