Sayonara Miniskirt Vol.1 - Actualité manga
Sayonara Miniskirt Vol.1 - Manga

Sayonara Miniskirt Vol.1 : Critiques

Sayonara Mini skirt

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 13 Mars 2020

Chronique 2

En 2013-2014, Aoi Makino frappait fort aux éditions Panini avec sa première série longue, The end of the world, un récit sombre, dramatique et très humain qui, brisant les a priori alors très présents sur le shôjo, abordait en filigranes nombre de sujets forts, des brimades/oppressions au sentiment de culpabilité, en passant par la condition féminine ou le désir de protéger ses proches quitte à commettre le pire, entre de nombreuses autres choses. Malheureusement, cette série est désormais en arrêt de commercialisation, et n'a pas forcément rencontré l'écho qu'elle méritait, essentiellement à cause de la très mauvaise réputation que se traînait son éditeur français à l'époque. Reste que, depuis, on espérait vivement revoir cette mangaka dans nos contrées. Or, celle-ci étant peu prolifique, il a fallu attendre jusqu'à ce mois de mars et l'arrivée d'une très belle double-actualité chez Soleil Manga. Tout d'abord, son premier recueil d'histoires courtes, sorti au Japon fin 2018, et regroupant sur 320 pages une sélection de 4 récits dessinées entre 2009 et 2018. Ensuite, l'oeuvre dont il est ici question: Sayonara Miniskirt. Dernière série en date de la mangaka, celle-ci a été lancée en 2018 dans le magazine Ribon de Shûeisha (magazine auquel la mangaka est toujours fidèle depuis le tout début de sa carrière en 2008), compte actuellement 2 volumes au Japon, et risque bien d'être l'un des événements shôjo de cette année: lauréate il y a trois mois du prestigieux prix shôjo du Kono manga ga sugoi 2020 (un prix remis au Japon suite aux votes de plus de 400 acteurs du milieu, notamment des libraires, auteurs et éditeurs), l'oeuvre, sous couvert de petits accents de thriller, aborde de front et avec une certaine profondeur des sujets on ne peut plus actuels.

Tout commence par des premières pages laissant entrevoir une scène aussi mignonne que naïve, celle de PURE CLUB, un groupe de jeunes idols adolescentes connaissant actuellement un succès retentissant, très populaire grâce à la mignonnerie des 5 demoiselles qui le composent et à leurs minijupes, et étant mené avec brio par sa leader Karen Amamiya... du moins, jusqu'à ce que celle-ci, lors d'une rencontre avec ses fans, ne soit agressée au couteau par l'un d'eux avant qu'il ne parvienne à s'enfuir sans montrer son visage. Depuis, 6 mois ont passé, et tandis qu'à la télévision on constate que les 5 jeunes filles du groupe ne sont plus que 4, dans un lycée on découvre l'arrivée d'une nouvelle élève de seconde, Nina Kamiyama, qui dénote beaucoup par rapport aux autres filles: plutôt que l'uniforme à jupe des filles, elle a opté pour l'uniforme masculin à pantalon, et en plus elle montre une coupe de cheveux très courtes, comme un garçon. Veut-elle se faire passer pour un garçon ? Y a-t-il autre chose ? Pourquoi ces choix ? Tout en étant le sujet de quelques messes-basses, cette adolescente semblant peu sociable et détestant les garçons suscite forcément quelques interrogations, jusqu'à également s'attirer l'intérêt de Hikaru. Bien loin des autres mecs, de leurs pensées obscènes ou de leurs préjugés, ce joli blondinet semble plus naturel, plus sincère et dépourvu d'a priori sur Nina, pour qui il paraît s'inquiéter... Percera-t-il le secret de cette jeune fille ?

Ce fameux secret, concrètement ne surprend pas: on le devine aisément... mais cela n'empêche aucunement Aoi Makino de très bien l'installer, au travers d'une narration se voulant maligne et, finalement, assez ambitieuse. Des ambitions qui, globalement, ne feront que se confirmer sur la longueur, l'autrice montrant à nouveau toute sa maestria pour installer et narrer une histoire risquant d'être beaucoup plu riche en surprise qu'on ne pourrait le penser. Car tandis qu'un réel suspense s'installe autour de l'identité du mystérieux agresseur de l'héroïne et du danger qu'il représente encore de façon toujours plus prégnante, chaque chapitre s'achève sur un véritable climax, le plus intense et imprévisible de tous étant celui des toutes dernières pages du tome !

Côté thriller/tension, Makino joue donc bien son coup, en suscitant un vrai suspense, une réelle attente... et pourtant, tout l'intérêt de l'oeuvre se situe encore ailleurs: sa peinture d'une certaine condition féminine très critique au Japon, et par extension ailleurs qu'au Japon, tant nombre de problèmes évoqués se retrouvent dans d'autres pays.

Cela passe en premier lieu, bien sûr, par cette héroïne auparavant agressée violemment jusqu'à voir ses rêves brisés concernant le monde des idols, cette agression ayant laissé des séquelles: physiques bien sûr, mais aussi psychologiques avec un stress post-traumatique rendant effrayant pour elle le moindre contact rapproché avec un garçon, un certain dégoût de la gent masculine, et un rejet de sa féminité qu'elle considère quelque part comme responsable de ce qu'elle a subi. C'est bien pour ça qu'elle a adopté un look masculin, qu'elle a abandonné les minijupes et ses rêves, afin de pouvoir quelque part essayer de se relever et de rester forte. Mais est-ce normal, dans nos sociétés, d'en arriver à ça, à se reprocher d'être née fille à cause d'un autre ? La question est évidemment forte, et est vraiment d'actualité dans le domaine du manga puisqu'un autre tome 1 sorti ce mois-ci aux éditions Akata l'abordait aussi, à savoir Don't Fake your Smile.

Mais Nina n'est que l'élément principal d'un portrait social sans fards qui imprègne entièrement le récit à travers nombre d'autres détails. On pense bien sûr à la vision des idols, et aux différences qu'il peut y avoir entre ce qu'en pensent les principales concernées (leur désir de vendre du rêve innocent aux gens, de les rendre heureux, d'apparaître jolie et de se sentir belle sans arrière-pensée...) et ce que peuvent en penser certaines franges de la population. Mais il n'y a pas que ça, loin de là: multiplication des agressions par un jeune homme mystérieux aux alentours du lycée (ce qui amène une tension supplémentaire), attouchements dans le train poussant le gouvernement à créer des wagons réservés uniquement aux femmes... A travers de nombreux aspects, Aoi Makino dépeint les aspects misogynes, machistes, d'une société quelque part cinglée, et d'autant plus cinglée que tout ce qu'y subissent les jeunes filles et les femmes est quasiment banalisé. Que penser de ce présentateur télé qui, en recevant PURE CLUB, s'offre une remarque bien sexiste sur la beauté des jambes de ces gamines de 15 ans, avec pour seules réponses les sourires des principales concernées ? Des différentes analyses des lycéens sur le corps de leurs camarades féminines ? Des réactions de certains adolescents affirmant que la dénommée Miku a bien cherché son agression à force de mettre des minijupes très courtes et que c'est sûrement ce qu'elle voulait ? De la réaction de Miku elle-même, affirmant tout sourire que ce n'est pas grave car ce n'était "que" ses cuisses, et semblant presque trouver ça gratifiant car ça veut dire qu'on la trouve jolie ? De la façon dont les passants n'ont pas envie de croire à l'attouchement subi par la timide Tsuji avant qu'une preuve n'arrive ? De la manière dont certains badauds, après ça, continuent de trouver ridicule qu'on fasse tout un foin de ça ? La mangaka frappe fort et juste sur de nombreux points, dénonce sans détours toutes ces petites choses sur la condition féminine qui ne tournent pas rond et qui sont banalisées...

Et c'est d'autant plus efficace qu'en plus d'une narration maîtrisée, Aoi Makino offre un style visuel tout aussi soigné, son trait un peu rond et presque mignon parfois contrastant très bien avec les sujets on ne peu plus sérieux, pour un résultat plein d'impact. C'est assez riche, dense, fluide, maîtrisé dans la mise en scène et dans les représentation de ce que l'autrice veut véhiculer.

Attendu au tournant au vu de son sujet, de son prix remporté au Japon et des talents que la mangaka a déjà démontrés par le passé, le premier volume de Sayonara Miniskirt ne déçoit aucunement et interpelle totalement, lançant un récit véritablement prenant dans son côté "thriller", et, à l'instar d'un En proie au silence dans un registre plus "adulte", met les pieds dans le plat là où il faut.

Qui plus est, on sent que Soleil Manga a tenu à bien porter l'oeuvre: en plus de publier simultanément le très bon recueil d'histoires courtes de la mangaka, l'éditeur nous offre ici un livre donc la jaquette attire facilement l'oeil avec ses effets brillants argentés. A l'intérieur, les trois premières pages en couleur sont appréciables, le papier et l'impression sont honnêtes, le lettrage est soigné, et la traduction de Sophie Piauger n'a aucun mal à porter la force du propos de la mangaka.


Chronique 1

Entre 2013 et 2014, nous avons pu découvrir la talentueuse Aoi Makino avec le très bon The end of the world, série traitant de harcèlement et parue chez Panini... avant de tomber en arrêt de commercialisation. En ce mois de mars 2020, c'est l'éditeur Soleil Manga qui s'intéresse à la mangaka, et la remet en lumière avec deux parutions simultanées. La première est le recueil d'histoires courtes d'Aoi Makino, initialement paru en 2018 au Japon.

Mais c'est le second titre qui nous intéresse ici : Sayonara Miniskirt. Lancée l'année dernière dans le magazine Ribon de l'éditeur Shûeisha, la série est toujours en cours, avec deux volumes au compteur pour l'heure. Un récit déjà remarqué, puisqu'il a remporté le Kono manga ga sugoi ! de 2020, dans la catégorie shôjo.

Il y a quelques temps, le groupe d'idoles Pure Club s'attirait l'engouement des foules. Mais un tragique incident est survenu lors d'une rencontre avec des fans : un déséquilibré agressa Karen Amamiya, la leader du groupe, ce qui la traumatisa au point de se retirer de la profession.
Six mois plus tard, dans un lycée du Japon, la jeune Nina Kamiyama fait office d'élève singulière. Elle est la seule à porter un uniforme masculin, et son caractère ferme et solitaire fait qu'elle n'a pas vraiment d'amis. Pourtant, un de ses camarades s'intéresse à elle : Hikaru, un garçon membre du club de judo. Ce dernier va-t-il découvrir le secret de Nina, qui pourrait être en lien avec Pure Club ?

Une nouvelle fois, Aoi Makino nous parle de harcèlement dès les premières page de ce premier tome, mais du point de vue du membre d'un groupe d'idole. Dès lors, le « mystère » planté autour de Nina n'en n'est pas vraiment un, et le lecteur comprend très bien qui est le personnage. Une non-surprise qui n'a absolument rien de grave puisque le propos décortiqué par la suite est tout autre.

Car dans l'immédiat, Sayonara Miniskirt adopte une position très engagée sur la perception de la femme dans notre société contemporaine. La démonstration cible forcément le Japon, mais il est facile d'étendre le discours à n'importe quel pays moderne. Alors, les choix de Nina ne sont que les répercussions de ce que cette société machiste lui a fait endurer. A travers une poignée bien précise de personnage, la mangaka entretient un discours ferme et percutant, et qui mène à réfléchir. Diverses positions sont abordées dans ces pages, tant de point de vue qui dressent un portrait finalement terrifiant du monde qui entoure les personnages. Un récit incisif quelque part, mais qui pousse réellement à la réflexion, en rendant particulièrement bien, et de manière naturelle, les absurdités de notre société.

Et en parallèle à ce discours, l'autrice sait dépeindre un scénario efficace, et véritablement intense. Nina, l'héroïne, sera forcément soumise à une évolution, notamment dans ses réflexions par rapport a rêve auquel elle a tourné le dos, avec un lien fort vis à vis des thèmes du récit : Car c'est cette société misogyne et folle qui l'a contrainte à abandonner son rêve. L'un des enjeux sera alors d'apprécier les changements de l'héroïne, et la manière dont elle reprendra son avenir en main, à condition qu'elle décide de renouer avec ses ambitions d'antan.

Un véritable drame humain contemporain et engagé, auquel se greffe l'histoire entre Nina et Hikaru, membre du club de judo qui sera le seul à approcher la demoiselle pour celle qu'elle est. Une relation assez classique mais cohérente par rapport à l'esprit de la série... mais qui prendra un tout autre tournant vers la fin du volume. Alors, de véritables rebondissements ont lieu, créant une grande surprise et un cliffhanger frustrant à souhait ! Nous ne détaillerons pas plus là-dessus, afin de ne pas dévoiler les tenants et les potentiels aboutissants de l'intrigue, mais il est remarquable qu'Aoi Makino ait su créé un si grand suspense, tout en ouvrant de belles portes pour la suite, qui pourraient aborder les réflexions de l'oeuvre d'une tout autre manière, et même les élargir.

Enfin, si ce premier tome s'avère aussi réussi, c'est bien par le coup de crayon d'Aoi Makino. Véritablement dense, celui-ci met toujours efficacement en valeur l'intensité du récit, mais aussi la lourdeur du monde qui entoure Nina. Il se dégage ainsi quelque chose de net et de violent, à bien des moments, une aura graphique totalement raccorde avec la tonalité du titre.

Il convient aussi de saluer le travail d'édition de Soleil Manga, qui propose un travail de belle qualité. Ainsi, la couverture s'offre quelques reflets métallisés plus que sublimes, tandis que l'ouvrage propose quelques belles pages couleur et un papier épais de bonne facture. La traduction est signée Sophie Piauger, qui livre un texte assez fort, à l'image du récit.

Le retour d'Aoi Makino dans nos librairies est donc à applaudir. Avec ce premier tome, Sayonara Miniskirt se présente comme un récit engagé et puissant, qui pousse à la réflexion, et le tout via un scénario véritablement intense et qui se construit autour de personnages complexes. Autant dire que la suite se fera attendre avec une grande impatience, quand bien même le rythme de parution japonais se montrerait assez lent. Un mal qu'on prendra en patience, tant le manga vaut le coup, et s'inscrit dans des réflexions plus qu'actuelles qui doivent être partagées. Une lecture passionnante et d'utilité publique.
    

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs