Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 24 Juin 2024
Après Blue Corner en 2018, Un Assassin à New York en 2021 et Samurai Non Grata en 2022, Pika Edition continue de s'intéresser, dans sa collection Graphic, aux oeuvres de première partie de carrière du regretté Jiro Taniguchi, à une époque où il s'adonnait à des récits plus durs avant de se lancer pleinement dans les tranches de vie ayant fait sa renommée. Cette fois-ci, place à Rude Boy, un récit d'environ 200 pages, qui fut initialement prépublié au Japon pendant l'année 1984 dans le magazine Play Comic des éditions Akita Shoten (magazine dans lequel il proposa aussi, cette même année, le manga Enemigo, sorti en France aux éditions Kana), et où il retrouva le scénariste Caribu Marley (illustre auteur d'Old Boy, entre autres) avec qui il avait déjà, collaborateur régulier à cette époque (rappelons que c'est déjà lui qui avait signé le scénario de Blue Corner deux années auparavant, entre autres).
Né dans les années 1960 en Jamaïque (un pays auquel Caribu Marley semblait attaché, puisque ce pseudonyme y fait aussi référence), le terme de "rude boy" désigne les jeunes gars des rues de Kingston souvent marginaux, sous-prolétaires et comptant sur leur débrouillardise et sur la violence pour subsister ici et là. Et ce terme semble plutôt bien coller au personnage principal de cette histoire, un garçon se faisant appeler Minakata, dont nous allons suivre quelques étapes de la vie au gré des pages, notamment quand, glandouillant dans les rues en attendant son heure, il vient à la rescousse de pauvres gens pris à parti par des petites frappes, pour ensuite se faire payer à manger et à boire ou être temporairement hébergé chez eux en guise de remerciements. Tel est le mode de vie de ce jeune homme mystérieux qui préfère cacher ses origines, du moins jusqu'à ce qu'un petit boulot de déménageur lui fasse poser les yeux sur une femme si belle et élégante qu'il a immédiatement le coup de foudre. Seulement, comment approcher une femme telle que Yoshiko, ancienne actrice tout juste divorcée d'un homme a priori odieux, venant d'emménager dans une résidence de standing, et habituée à une vie plus aisée ?
Cette histoire nous propose donc la naissance d'un amour entre deux personnes que tout semble opposer, entre elle la belle femme faisant plutôt partie de la haute société, et lui le garçon des bas-fonds bien plus rugueux et n'étant auparavant jamais tombé amoureux, si bien qu'il n'a aucune idée de comment bien draguer l'élue de son coeur... mais qui, peut-être que ses manières souvent déplacées finiront par la charmer, elle qui s'est justement séparée de son ancien époux en recherchant une vie plus libre ? Ajoutons à ça la découverte, au bout d'un moment, des origines de notre héros somme toute très classiques, et on obtient une histoire apparaissant plutôt banale dans le fond, et même trop rapide et facile sur la fin, mais qui ne manque pourtant pas d'un certain charme.
Ce charme de l'oeuvre, on le doit en premier lieu, bien sûr, à ses deux personnages principaux, ayant chacun un mode de vie très différent, et semblant vouloir nous confirmer que les opposés s'attirent. Pour ça, même si c'est brièvement, Caribu Marley s'applique suffisamment à faire ressortir la façon d'être de ces deux-là: là où Yoshiko séduit par son allure et ses manières de femme élégante et raffinée, Minakata marque assez bien par son mode de vie libre, débrouillard, et un brin violent et rustre sans pour autant être méchant. Enfin, il y a évidemment les qualités de dessinateur de Taniguchi déjà bien présentes à cette époque, et dont le style s'adaptait décidément bien à ce type de récit un peu plus dur (même si le mot est fort ici, car il y a aussi pas mal de notes d'humour, et car le récit reste quand même léger).
S'il est certain que l'on a affaire ici à une oeuvre mineure dans la carrière des deux mangakas, il reste que ce Rude Boy a de quoi divertir assez facilement, le temps de ses 200 pages, sans forcément rester en mémoire bien longtemps. Et puis, il y a toujours ce plaisir récurrent à découvrir à chaque un peu plus l'autre facette de la carrière de Taniguchi. Et l'édition, elle, est excellente: la couverture donne assez bien le ton, la charte graphique typique de la collection Graphic est là, le grand format est très bien pour profiter au mieux du travail visuel de Taniguchi, le papier bien épais et bien blanc permet une très bonne qualité d'impression, le lettrage est propre, et la traduction de Mathilde Tamae-Bouhon est claire.