Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 31 Janvier 2025
Auteur taïwanais déjà publié par les éditions Asian District (anciennement Kotoji) l'année dernière avec le très joli one-shot L'assaisonnement du bonheur, Ruan Guang-Min vient tout juste de revenir chez l'éditeur avec Restaurant Paradis, un projet un petit peu particulier: premier chapitre de la série "My heaven restaurant" que l'auteur a lancée en 2012, ce récit de 41 pages n'est pas sorti en cette toute fin de mois de janvier par hasard: à l'occasion du Festival d'Angoulême 2025 où l'auteur est invité, ce dernier et Asian District ont décidé de proposer cet ouvrage en édition limitée à 200 exemplaires, dans un grand format de 14,8x21cm avec couverture cartonnée, en vente uniquement sur le stand de l'éditeur pendant le festival, le tout au prix de 12€. Et bien que le prix pourrait sembler élevé pour seulement une quarantaine de pages, il y a ici à la fois le plaisir de soutenir un petit éditeur indépendant et un auteur très sympathiques, d'avoir un objet-livre un peu collector, et de profiter d'une qualité d'édition à la hauteur avec le grand format, la couverture cartonnée, le papier bien blanc, épais et opaque permettant une excellente impression, la traduction soignée de Baptiste Gaussen, et le travail d'adaptation/maquette/lettrage effectué par Pierre Sery, le patron d'Asian District en personne.
Chapitre pouvant être facilement lu comme une histoire courte même s'il appelle largement à l'envie de lire la suite (espérons que celle-ci arrivera en France un jour, donc), celui-ci nous immisce soigneusement auprès d'Ah-Guo, jeune homme dont on découvre avec subtilité l'étonnante capacité, dès les premières pages qui sont intelligemment menée avec leur petit effet-surprise: à l'âge de 9 ans, un accident dont il s'est miraculeusement sorti vivant l'a rendu capable de voir les esprits humains et de communiquer avec eux. Pour une certaine raison que l'on va taire, il a, depuis, entretenu une curiosité pour la signification que peut avoir la cuisine dans la vie des gens, et c'est peut-être en partie ce qui l'a poussé à ouvrir son restaurant avec un ami et un beau chef cuisinier qu'il a "amadoué" d'une façon plutôt étrange. Mais il y a comme un petit problème... ou, en fait, plusieurs problèmes. Non seulement, Ah-Guo a perdu le sens du goût depuis longtemps, si bien qu'il est devenu un cuisinier médiocre. Mais en plus, il a décidé d'ouvrir son restaurant dans une ancienne entreprise funéraire, à côté d'un cimetière et un peu éloignée de tout ! Mais alors que ces choix pourraient sembler saugrenus, ils ont des raisons profondes qui, vite et bien, vont efficacement se dévoiler, en donnant une saveur supplémentaire à l'oeuvre.
Et cette saveur, elle passe évidemment par la faculté de notre héros et ce qu'il veut en faire: explorer les vertus de la cuisine pour faire ressortir ce qu'il y a de plus humain chez les gens. Ainsi, il ne compte pas servir juste des plats, mais surtout proposer des saveurs à-même de réveiller les souvenirs, les émotions et l'amour qui sommeillent en chaque personne... ce qui, ici, passera inévitablement par un rapport au deuil, aux personnes perdues, au beaux souvenirs ou aux regrets que l'on peut garder vis-à-vis d'elles. Et ainsi, tout en proposant une touche plus surnaturelle, l'artiste, tout comme il l'avait fait dans L'assaisonnement du bonheur, exploite l'aspect culinaire pour surtout offrir des portraits de personnages très humains, dans une tonalité évoquant entre autres le regretté Jiro Taniguchi, et dans un beau et sobre rendu visuel où les expressions faciales sont souvent sensibles et réalistes.
Alors, forcément, il y a un goût de trop peu avec ce chapitre d'introduction (même si, rappelons-le encore, il peut facilement être pris comme une histoire courte), mais il y a aussi et surtout la satisfaction de retrouver l'intéressante patte humaine d'un auteur qui a assurément des qualités à revendre ! En somme, si vous passez au FIBD d'Angoulême, on ne peut que vous recommander cette brève mais jolie lecture.