Ranpo Gekiga - L'anthologie Vol.1 - Actualité manga

Ranpo Gekiga - L'anthologie Vol.1 : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 08 Novembre 2021

Gosho Aoyama, Junji Itô, Makoto Kobayashi, Tsukiji Nao, Atsushi Kaneko... On ne compte plus les mangakas influencés par Edogawa Ranpo. Et pour cause, l’écrivain est devenu un pilier incontournable de la littérature japonaise, à tel point que l’on retrouve son empreinte dans différents médias, comme le cinéma ou même le jeu vidéo. Concernant le neuvième art, c’est essentiellement Suehiro Maruo qui lui a le mieux rendu hommage. L’univers d’Edogawa Ranpo est parsemé dans son œuvre, et surtout le dessinateur a fini par adapter directement son maître avec La chenille, L’île panorama ou encore Le nain qui danse, une histoire courte moins connue qui se retrouve dans l’artbook au nom sans équivoque de Ranpo Panorama. Difficile de faire plus marquant que Suehiro Maruo tant l’auteur s’inscrit dans la lignée directe de l’écrivain, et pourtant d’autres immenses mangakas ont essayé. C’est ce que nous retrouvons dans l’anthologie Ranpo Gekiga.

Avant de publier cette série d’histoires courtes en trois volumes, les éditions Le Lézard Noir, dont le nom est une référence évidente à une œuvre emblématique d’Edogawa Ranpo, avaient déjà sorti le manga La chenille, l’artbook Ranpo Panorama et également l’essai Edogawa Ranpo, les méandres du roman policier au Japon. Miyako Slocombe participait d’ailleurs à ce dernier, et on la retrouve à la traduction de Ranpo Gekiga. Un choix naturel puisqu’elle avait brillamment traduit les textes d’Edogawa Ranpo parus chez les éditions Wombat, à savoir Le démon de l'île solitaire et Un amour inhumain. Pour l’anecdote, les couvertures de ces livres sont illustrées par Suehiro Maruo. Ce dernier n’est cependant pas au programme de Ranpo Gekiga. Le premier tome met à l’honneur Kazuo Kamimura, qui signe également l’illustration de la couverture, et Jirô Kuwata. On retrouvera ensuite Kyûta Ishikawa, Mori Masaki et Ryôichi Ikegami lors du deuxième volume et enfin Mitsuteru Yokoyama pour le troisième.

La première histoire de Ranpo Gegika est donc une adaptation de L’île panorama datant de 1973 par Kazuo Kamimura, merveilleux mangaka qui a signé des œuvres telles que Lorsque nous vivions ensemble, Le fleuve Shinano, Lady Snowblood, Le club des divorcés, La plaine du Kanto ou encore Les Fleurs du Mal, que des titres incontournables, aussi élégants que profonds. Même s’il a illustré une édition de Sherlock Holmes et qu’il s’est à plusieurs reprises inspiré de l’eroguro, on ne le connaît pas forcément pour ses thrillers. Cette adaptation est donc l’occasion de le découvrir dans ce registre particulier. L’histoire débute lorsqu’un écrivain raté apprend le décès d’un richissime chef de famille qu’il lui ressemblait comme deux gouttes d’eau lorsqu’ils étaient à l’université. Il décide alors de déterrer le corps dans le but de prendre sa place et d’accomplir son utopie, c’est-à-dire construire une île ne correspondant pas à ce que la nature peut créer. S’il arrive à se débarrasser des proches du défunt grâce à la puissance de l’argent, il reste tout de même un dernier problème : la femme. Plus l’imposteur la rejette et plus cette dernière le désire, ce qui est dangereux étant donné qu’elle risque de découvrir la supercherie. La nouvelle d’Edogawa Ranpo est un thriller utopique, et donc la version de Kazuo Kamimura aborde naturellement les questions de l’enquête et de la construction de l’île, paradis esthétique où la nature a été déformée par l’homme grâce à l’intermédiaire de divers trucages. Cependant l’auteur axe davantage son récit sur ce qu’il sait le mieux dépeindre : la relation entre la veuve et l’homme qui a usurpé l’identité de son mari. Il décrit leur lien avec élégance, à mi-chemin entre désir charnel et inquiétude morbide. C’est à la fois poétique et tragique, on sent parfaitement que l’artiste rendu populaire grâce à Lorsque nous vivions ensemble est dans son élément. De plus, Kazuo Kamimura brille par la finisse de son trait dont on ne se lasse décidemment jamais et ses merveilleuses idées de découpage des cases. La mise en scène est envoutante, donnant de la force au récit et surtout rendant la lecture fluide. Comme à son habitude, l’auteur étoffe son œuvre d’une aura symbolique en se servant notamment de la signification des fleurs et en enchaînant les scènes iconiques. Même si on a en tête la version de L’île panorama de Suehiro Maruo, parue chez les éditons Casterman, au début de la lecture tant elle est sublime, on l’oublie peu à peu pour se laisser bercer par celle de Kazuo Kamimura. La première étant centrée sur l’utopie et la seconde sur la romance, l’impression de déjà-vu ne se ressent pas forcément malgré certaines scènes qui se ressemblent évidemment. L’auteur parvient sans mal à s’approprier le récit d’Edogawa Ranpo, ce qui rend cette adaptation si fascinante.

La seconde nouvelle est quant à elle signée Jirô Kuwata, il s’agit d’une adaptation de Paysages infernaux réalisée en 1970. Connu pour avoir dessiné Batman en manga ou encore pour la série 8 man, dont une suite écrite par d’autres mangakas est parue chez les éditions Black Box, il est un auteur malheureusement méconnu en France. Ce qui est normal puisqu’il n’y avait jamais été publié jusqu’à la sortie de cette anthologie. Paysages infernaux est donc l’occasion de découvrir un monument de la bande dessinée japonaise resté trop longtemps dans l’ombre. L’histoire prend place après qu’un inspecteur constate le suicide d’un tueur en série. Il aperçoit au loin une sorte de parc d’attractions et son collègue lui raconte qu’il s’agit d’un endroit où se réunissent des jeunes riches en comité réduit. Alors qu’une série de meurtres mystérieux débute dans ce lieu clos, il leur rend visite afin de mener son enquête et en conclut que le tueur se cache forcément parmi eux. L’intrigue avance en alternant les meurtres et les investigations, créant une certaine tension pour les personnages présents, allant même jusqu’à la paranoïa. Si le récit tient en haleine par son suspense, il revêt une dimension fascinante grâce aux étranges environnements dans lesquels se déroulent les meurtres, comme par exemple le labyrinthe semblant sans fin au cœur duquel le premier cadavre est retrouvé. Le style de dessin réaliste de Jirô Kuwata apporte beaucoup de crédit à l’enquête, il colle parfaitement à ce que l’on attend d’un polar noir tout en ajoutant une inquiétante touche de folie lorsqu’il le faut. Les premiers pas de l’artiste en France sont donc réussis, ils nous donnent envie de le retrouver très vite dans d’autres registres.

En réunissant Kazuo Kamimura et Jirô Kuwata autour des écrits d’Edogawa Ranpo, l’anthologie Ranpo Gekiga est le parfait moyen de découvrir autrement l’illustre écrivain. De plus, L’île panorama et Paysages infernaux sont des histoires qui se prêtent remarquablement au jeu de l’adaptation en manga tant elles sont graphiques. En effet, les deux récits placent leurs personnages sur des terres étranges, réaménagées par l’argent et la folie des hommes, aussi inquiétantes que fascinantes. Le rôle des décors est donc central et même si on est loin du perfectionnisme de Suehiro Maruo qui a reproduit des œuvres d’art pour proposer sa propre utopie dans son adaptation de L’île panorama, leur présence menaçante se fait sentir au long des intrigues. En fin de compte, bien que les deux dessinateurs de ce premier volume de Ranpo Gekiga aient des styles différents, les deux histoires se ressemblent plus qu’elles en ont l’air, jusque dans leur conclusion. Rendez-vous désormais pour la sortie du deuxième tome afin de découvrir de nouvelles visions d’Edogawa Ranpo par de talentueux auteurs de mangas.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
jojo81
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs