Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 04 Juin 2024
Paru il y a quelques jours aux éditions IMHO, Présence de corps étrangers vient enfin compléter chez l'éditeur une trilogie de recueils éditée au Japon par l'éditeur Seirin Kogeisha et entamée en France il y a un petit peu plus d'une décennie. En effet, ce triptyque a été initié avec le formidable "Une collision accidentelle sur le chemin de l’école peut-elle donner lieu à un baiser ?" (sorti au Japon en avril 2012 et en France en janvier 2014, et qui reste l'un des joyaux de la bibliographie de Shintaro Kago, tant on y trouve toutes les facettes de son inventivité absurde, gore et sans limites dans un excellent équilibre), et a pris fin avec "Villes et infrastructure" (paru au Japon en avril 2021 et en France en mai 2023).
Sorti au Japon en mars 2015 sous le titre "Ibutsu Konnyû" (littéralement "Contamination par des substances étrangères", le titre français étant donc proche dans sa signification), le recueil dont il est question ici est donc le deuxième ouvrage de la trilogie, mais sa parution postérieure à celle de "Villes et infrastructure" n'a pas vraiment d'importance, dans la mesure où chaque recueil regroupe des petites saynètes parfaitement indépendantes les unes des autres. Riche d'un petit peu plus de 170 pages, le livre regroupe pas moins de 43 chapitres allant d'une seule page à sept pages, et qui furent initialement prépubliés avril 2012 et février 2015 tantôt dans le magazine Ubu mode de l'éditeur Core Magazine, tantôt dans la cultissime revue AX des éditions Seirin Kogeisha, quand il ne s'agit pas d'inédits proposés pour la première fois dans cette version brochée.
Tout comme pour les deux autres recueils de cette trilogie, résumer les histoires n'aurait absolument aucun intérêt puisque, à chaque fois, Shintaro Kago se contente de partir d'une petite idée ayant germé dans son esprit pour, ensuite, partir sur toutes sortes de petites délires où l'on oscille entre ses styles spécifiques: si certains sont purement grotesques, d'autres incluent dans leur absurdité une part plus gore et sexuelle (peut-être même plus que dans les deux autres ouvrages de la trilogie, rendant le présent recueil vraiment réservé à un public averti), quand d'autres encore laissent entrevoir certains gimmicks que l'artiste poussera plus loin dans la suite de sa carrière (ainsi, on a dans quelques chapitres quelques architectures bien barrées, aspect que le mangaka explorera réellement dans "Villes et infrastructure" bien sûr, mais aussi dans "La Princesse du château sans fin" et "Les Douze Soeurs du château sans fin" qui sont tout deux sortis en France aux éditions Huber).
Mais surtout, si l'on ne veut pas vous en dire vraiment plus sur chacune de ces petites scènes, c'est bien parce que le grand plaisir de ce genre de recueil est de découvrir par soi-même quelle direction va prendre le mangaka, à chaque fois, pour parvenir à nous surprendre, à nous faire rire ou à nous faire esquisser une petite grimace de dégoût (souvent, ce sont les trois à la fois qui arrivent), le tout en ne se posant absolument aucune limite. On peut tout de même souligner l'habituelle maestria graphique de l'auteur bien sûr, mais aussi sa manière de parvenir à tirer son imagination de tout et n'importe quoi, que ce soit l'Histoire qu'il revisite à sa sauce dans toute une salve de chapitres en milieu de livre (un autre de ses dadas, qu'il a aussi exploité dans "La Grande Invasion Mongole" et dans les deux opus du "château sans fin" bien sûr), certaines modes qu'il tourne en dérision ou pousse à l'excès (mention spéciale aux applications de smartphone et au kabe-don, technique de drague visant à coincer l'élu(e) de son coeur contre un mur, donnant lieu ici à quelque chose de délicieusement excessif), ou les petites choses qui semblent lui être passée par la tête sur le moment (vous ne verrez plus jamais les fourmiliers de la même façon).
A tout ceci, il suffit d'ajouter un Aurélien Estager en très, très grande forme à la traduction, celui-ci nous gavant de petits jeux de mots qui font très souvent leur effet et qui sont parfaitement dans le ton de l'oeuvre. Et on obtient alors, dans la bibliographie du maître, une nouvelle perle d'inventivité, oscillant constamment entre l'absurde et le trash, entre la cruauté et l'idiotie, pour nous amuser d'un bout à l'autre !