Pour trois jours de bonheur - Actualité manga

Pour trois jours de bonheur : Critiques

Mikkakan no Kôfuku

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 21 Février 2020

Avec le lancement ce mois-ci de la collection Moonlight aux éditions Delcourt/Tonkam, Sugaru Miaki est particulièrement en vue actuellement par chez nous, entre le roman Parasites Amoureux et son adaptation manga, mais aussi les mangas Derrière le ciel gris et Le prix du reste de ma vie. Mais il ne faudrait pas oublier qu'il y a déjà près d'un an, en mars 2019, les éditions Akata nous proposaient de découvrir ce jeune romancier né en 1990 avec son tout premier roman publié professionnellement en version papier ! De son nom original Mikkakan no Kôfuku, Pour trois jours de bonheur j'ai vendu le reste de ma vie est sorti en 2013 au Japon, où il fut un best seller en tant que roman pour jeunes adultes, au point d'être adapté en un manga... qui se trouve être Le prix du reste de ma vie, celui-là même dont la parution française vient de démarrer chez Delcourt/Tonkam.

Dans ce roman de 230 pages environ, tout commence par les souvenirs qu'a Kusunoki, à présent âgé de 20 ans, de l'année de primaire de ses 10 ans. Déjà à l'époque, ses excellentes notes et son intelligence faisaient qu'il se sentait un peu (beaucoup) supérieur à ses petits camarades, ce qui lui valait de négliger un peu tout ce qui l'entourait. Comme peut-être pas mal de monde, il se sentait "à part", spécial... au point de finalement se marginaliser tout seul, incapable de s'intégrer à une société en laquelle il ne semblait déjà pas trop se reconnaître. De cette époque, il garde notamment le souvenir d'un cours de moralité sur le prix de la vie, chose qui ne l'intéressait aucunement, et d'une camarade de classe qui l'agaçait avec ses airs de je-sais-tout et ses notes tout aussi excellentes que les siennes et qui l'empêchaient donc d'être le seul "à part". Et pourtant, Himeno, puisque c'est son nom, était exactement comme lui, incapable de s'intégrer, se sentant spéciale, étant persuadée tout comme lui qu'un avenir forcément brillant les attendait. Himeno était en réalité sa seule amie, si bien que face à leur incapacité à s'intégrer au monde, ces deux enfants se sont fait une promesse: se mettre en couple si, dix ans plus tard, ils étaient toujours seuls et n'étaient pas parvenus à se fondre dans ce monde.

Ces dix années, elles sont désormais sur le point d'être atteintes, et Kusunoki est devenu un jeune homme complètement désabusé par la vie. A force de ne pas évoluer et d'être incapable de nouer de vrais liens, entre autres choses, ses rêves d'avenir brillant se sont entièrement envolés, et son parcours scolaire fut quelque peu chaotique jusqu'à son inscription dans une université où il ne va quasiment pas. Sans but, sans rêve, seul, il vivote en ne s'étant vaguement accroché, pendant toutes ces années, qu'à la promesse que Himeno et lui s'étaient faites, alors qu'il ne s'agissait que d'une promesse entre enfants à laquelle il ne croit en réalité plus vraiment. Car de toute façon, il n'a plus de contact avec Himeno.

C'est ainsi qu'il mène une existence ne lui procurant aucune émotion et pour laquelle il n'a plus le moindre intérêt... tout du moins, jusqu'à ce que ses passages chez des vendeurs de livres et de CDs lui apprennent l'existence d'un lieu surprenant lui rappelant le fameux cours de morale de ses dix ans: dans un immeuble, au troisième étage, existerait une boutique très spéciale, où l'on peut vendre ni plus ni moins que son espérance de vie contre une belle somme d'argent. Sans le sou, Kusunoki décide de s'y rendre, pour voir. Après tout, qu'aurait-il à perdre à vendre des années de son existence dépourvue d'intérêt ? Ce qu'il n'avait pas forcément prévu, c'est le prix accordé à sa vie. Alors qu'il s'interroge sur la valeur que peut avoir une vie de Japonais moyen, qu'il se dit que cela doit bien s'évaluer à quelques dizaines de millions de yens, il tombe de haut: après des analyses concernant sa situation et l'avenir qu'il va avoir, la jeune femme prenant en charge son cas lui évalue 30 années de sa vie pour à peine 300 000 yens. Une ultime ironie sur l'aspect misérable accordé à son existence, que le pousse à accepter avec détachement: le voici riche de juste 300 000 yens, avec plus que 3 mois à vivre, et avec sur le dos Miyagi, la jeune femme en question, chargée d'être son observatrice jusqu'à la fin de son existence pour vieller à ce que le désespoir ne le pousse pas à commettre des horreurs. Particularités de cette jeune femme ayant son âge: elle doit le surveiller en permanence jusque chez lui, il ne doit jamais s'éloigner à plus de 100m d'elle, elle ne peut être vue que de lui et est donc comme inexistante aux yeux de tout les autres, et malgré son joli physique elle semble on ne peut plus taciturne et distante. Soit, Kusunoki fera avec, il s'en fiche et n'est plus à ça près.

Maintenant, reste à voir ce qu'il pourrait bien faire de ses trois derniers mois d'existence. Une fin de vie dont il n'attend rien, et où les rares qu'il a envie de faire, comme appeler un "ami" ou revoir enfin Himeno, risquent de ne pas avoir les conséquences attendues. Et pourtant, au bout de ces dernières semaines d'existence, il risque fort d'évoluer beaucoup plus qu'il ne l'a fait en dix années, à force de remises en question sur lui-même, et de prises de conscience... Saura-t-il alors enfin apprendre tout simplement à vivre et à être heureux sans avoir de regrets ? Peut-être qu'il n'est jamais trop tard...

On pourrait croire en premier lieu que le roman de Miaki va être un questionnement sur la valeur de la vie, voire sur le prix qu'on pourrait mettre dessus, avec à la clé des attentes déjà toutes faites sur certains points, ne serait-ce que sur le "lien" unissant Kusunoki et Himeno depuis dix ans. En réalité, il n'en est rien, et d'ailleurs Miaki déjouera très bien certaines attentes avec autant de réalisme que de dureté, car son récit n'est jamais idéalisé, encore point concernant les soit-disant amitiés d'université et la relation avec son amie d'enfance. Car ce roman, comme le dit lui-même l'auteur dans sa postface, c'est avant tout le portrait d'un idiot, et surtout d'un paumé, qui à force de se vouloir spécial n'a jamais été capable de se lier aux autres et s'est enfermé dans quelque chose d'assez typique de nos sociétés modernes: la solitude, sans points de repaire, sans buts ni rêves.

Et ce que l'on va alors suivre ici, ce sont toutes les étapes qui vont permettre à Kusunoki de prendre entièrement conscience de tout ce qu'il a loupé, de tout ce qu'il a raté, de tout ce qu'il a occulté en restant enfermé sur lui-même. Pas de miracles ici: toutes les dernières choses auxquelles il se raccroche encore plus ou moins nonchalamment ne sont que des désillusions s'abattant sur lui les unes après les autres avec une forme de cruauté, de retour de bâton. Mais ce sont aussi ces épreuves qui, peu à peu, l'éveillent a d'autres choses, refont naître en lui un certain désir de vivre sans forcément se soucier en profondeur de ce que les autres pensent de lui. Et cela passera énormément par le lien qu'il va construire avec un autre personnage: Miyagi, cette jeune femme qui l'observe silencieusement et avec neutralité en permanence, et qui elle aussi va beaucoup évoluer et se dévoiler, ne serait-ce qu'en mettant profondément bien en exergue le sentiments d'être transparente, de ne pas exister dans ce monde. Mais parfois, le bonheur tient à peu de choses, et il ne faut pas forcément vivre longtemps pour en profiter...

L'écriture Sugaru Miaki, a priori excellemment retranscrite dans toutes ses subtilités et sa profondeur par Aurélie Lafosse-Marin, est d'une efficacité exemplaire, et tient en premier lieu en un choix: celui de nous faire vivre absolument tout à travers Kusunoki, qui raconte lui-même son histoire dans les moindres détails, un peu comme s'il s'agissait d'un long journal de sa vie, avec ce que cela implique de pensées, de souvenirs, d'analyses sur lui-même et sur ce qui l'entoure... Une écriture fine nous plongeant dans la pus profonde intimité de ce personnage, nous faisant tout partager de lui, jusqu'à ses réflexions les plus désabusées, ainsi que ses nombreuses pensées sur un paquet de choses comme l'existence bien sûr, mais aussi le bonheur ou les relations humaines... C'est très riche, quasiment chaque page semblant apporter une pierre à l'édifice qu'est ce héros perdu, que l'on apprend à découvrir autant dans ses tares que dans ses évolutions, jusqu'à nous pousser à nous interroger nous-mêmes. On est happé d'un bout à l'autre par son parcours, tout comme on s'attache très facilement à Miyagi (que l'on découvre en profondeur à travers lui), que l'on comprend dans le fond la réaction de Himeno face à lui, etc, etc... C'est brillamment construit, jamais idéalisé, profondément mélancolique mais jamais gratuit, jusqu'à une conclusion sans appel, merveilleusement douce-amère et riche de sens.

Il n'y a que deux choses à tolérer pour vraiment profiter totalement de la lecture. Premièrement, il ne faut attendre aucune explication sur les éléments fantastiques (la manière dont l'entreprise peut racheter de la vie, l'invisibilité de Miyagi...): ce ne sont que des points de départ visant à lancer le vrai propos de l'histoire. Deuxièmement, s'accrocher au départ à la personnalité très "déconnectée" de Kusunoki, mais c'est pour mieux en apprécier la profondeur ensuite. A partir de là, Pour trois jours de bonheur j'ai vendu le reste de ma vie est une franche réussite. De ces romans de jeunesse qui, en partant sur une base curieuse, captent totalement l'attention et font réfléchir sur une multitude de choses (l'existence, le bonheur, et les rapports humains en tête), au fil d'un récit dont les différentes émotions (le spleen en tête) ne nous lâchent jamais, jusqu'à nous hanter encore pendant un bon moment après la lecture.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction