Poison Quotidien Vol.1 - Actualité manga

Poison Quotidien Vol.1 : Critiques

Shigatera / Ciguatera

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 26 Janvier 2022

Depuis 2018, les éditions Akata ont entrepris de faire découvrir en France l'oeuvre de Minoru Furuya, mangaka culte dans sa catégorie et qui, avec des oeuvres sociales fortes en tête desquelles l'incontournable Himizu, a marqué toute une génération d'auteurs parmi lesquels Inio Asano ou encore Shuzo Oshimi. L'éditeur a ainsi proposé, tour à tour, les séries Saltiness, Gereksiz puis Himizu. Et un an et demi après la conclusion française de cette dernière série en juillet 2020, l'heure est donc enfin venue, en ce mois de janvier, de découvrir dans notre langue un autre récit-charnière de la carrière de Furuya: Ciguatera, renommé dans notre pays Poison Quotidien.

Cinquième série de la carrière de Furuya (si l'on compte à part ses recueils "Super Remix"), Poison Quotidien a initialement été prépublié dans le Young Magazine de Kôdansha (magazine auquel l'auteur est toujours resté fidèle sauf pour sa plus récente série Gereksiz) entre 2003 et 2005, directement après Himizu, et confirmant le tournant majeur pris par le mangaka à partir de cette dernière oeuvre (rappelons qu'avant le virage Himizu, Furuya ne faisait que des comédies). Auréolée d'une solide réputation, la série, initialement achevée en 6 tomes brochés, connut ensuite dans son pays une réédition en 4 épais volumes en 2013. L'édition française, elle, se base sur la version en 6 opus.

Poison Quotidien, voilà deux mots qui semblent coller à la peau de Yusuke Ogino, un lycéen banal et effacé, et qui se voit lui-même comme un loser n'ayant rien pour lui. Au lycée, jour après jour, lui et son pote Takao Takai se font brimer voire racketter par Taniwaki et sa petite bande. Et si le riche Takao évite les coups en étalant le fric auprès de son tortionnaire tout en ayant quand même une forte soif de vengeance intérieurement, Yusuke, lui, se contente de faire profil bas, de subir, en attendant que ces années lycéennes soient finies pour dire adieu à tout ça. Yusuke et Takao ont toutefois un secret, qu'ils doivent éviter d'ébruiter pour ne pas être expulsés: depuis quelque temps ils se sont pris d'intérêt pour la moto et suivent des cours afin de passer leur permis, en particulier Yusuke qui, réellement passionné par le sujet, a même pris la première initiative personnelle de sa vie en dégottant un petit boulot afin d'ensuite pouvoir acheter une bécane. Et non seulement la perspective de voguer un jour librement dans le pays sur une deux roues lui permet de tenir le coup quotidiennement, mais en plus les cours à l'école de moto lui permettent d'admirer, de loin, une ravissante inconnue de son lycée, dont il ne connaît pas le nom, mais dont il s'est épris...

Dès les débuts de la série, Minoru Furuya installe avec une immersion et un réalisme certains un personnage principal qui, à bien des égards, peut cristalliser nombre d'espoirs et surtout de doutes de tout adolescent considéré comme banal ou normal. A une période charnière, formatrice de son existence, Yusuke fait partie de ces nombreux jeunes discrets, qui ne se sentent aucunement spéciaux ou brillants, voire qui, au contraire, se considèrent comme des losers, des bons à rien, qui plus est face aux vicissitudes (harcèlement, etc) que fait déjà peser la société sur eux. Au fil des chapitres, on suit l'adolescent tantôt étouffer face à ce poids du quotidien, tantôt s'offrir des élans d'espoir et d'échappatoire essentiellement à travers ses rêves de moto et son amour secret, et toujours se poser de nombreuses interrogations selon les événements qui lui arrivent, événements semblant presque être trop impossibles pour lui qui n'a aucune confiance. Par exemple, y a-t-il la moindre chance qu'un garçon "comme lui" plaise un tant soit peu à la fille de ses rêves ? Est-il bel et bien ami avec Takao, ou les deux garçons se sont-ils juste rapprochés car ils sont tous deux les souffre-douleur de Taniwaki ?

Le grand mérite de Furuya est de déjà chercher à décortiquer en profondeur les tourments intérieurs de son héros avec des nuances et un réalisme qui plairont à tout fan d'Inio Asano, et c'est d'autant plus immersif et précis que quasiment toute la narration passe par Yusuke, par ses pensées, par son ressenti, ce qui permet vraiment bien de mettre en exergue toute l'ambivalence de ce qu'il ressent, des moments d'espoir aux plus profond sentiment de mal-être en passant par toutes les craintes qu'il peut avoir, en particulier quand, par manque de confiance, il est persuadé que la fille qu'il aime ne peut en aucun cas s'intéresser réellement à lui. A tout ça, le mangaka ajoute également d'autres sujets en filigranes, par exemple l'intérêt naissant pour le sexe pendant l'adolescence, les éléments toxiques pouvant aller avec (avec son intérêt prononcé pour le porno, Takao ne risque-t-il pas de développer une vision très biaisée et nocive de la chose ?), ou encore bien d'autres choses notamment via la dénommée Sakazuki, adolescente au physique ne correspondant pas aux critères de beauté, si excentrique qu'elle est écartée par tout le monde, et ayant elle-même ses petits secrets.

A l'arrivée, ce premier tome de Poison Quotidien est bourré de promesses, en confirmant, après le chef d'oeuvre Himizu, tout le talent de Furuya pour dépeindre avec réalisme une jeunesse ballottée par le poids de la société et du quotidien.

Cette chronique ayant été réalisée à partir d'une épreuve numérique fournie par l'éditeur, difficile d'en juger pleinement la qualité. On peut tout de même signaler la qualité de la traduction d'Anaïs Koechlin de BLACK Studio, le travail intéressant fait par Tom "spAde" Bertrand pour la jaquette (avec une illustration différente et plus parlante que la jaquette japonaise), l'incursion de l'oeuvre dans la collection principale de l'éditeur (alors que les précédentes séries de Furuya publiées en France furent proposées dans la collection WTF?!), et la présence d'une postface très sympathique écrite par une autre figure-phare d'Akata, la mangaka Akane Torikai, qui fut elle-même assistante de Furuya pendant quelques années, et qui explique ici son rapport particulier avec Poison Quotidien qui l'a beaucoup marquée. Quelque part, au vu de l'importance de Torikai à la fois dans le manga de société actuel et dans le catalogue d'Akata, on peut dire que la boucle est bouclée.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs