Océan noir - Corto Maltese - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 21 Février 2022

Bien connu par un public féru de mangas grâce à sa participation sur Lastman, Bastien Vivès s’attaque cette fois-ci à une figure emblématique de la bande dessinée : Corto Maltese. Pour cela, il s’entoure du scénariste Martin Quenehen avec qui il a précédemment travaillé sur Quatorze Juillet. S’attaquer à l’œuvre culte de Hugo Pratt n’est pas une mince affaire tant elle est marquée aussi bien par le talent que la vie de son créateur. Pour s’y atteler, les deux auteurs ont choisi plusieurs partis pris, à commencer par le fait de ne pas essayer de singer le style de Hugo Pratt. Bastien Vivès y conserve son propre trait, et réinterprète le personnage à sa façon. Le second choix fort est de situer le récit à une époque moderne, et plus précisément en 2001, alors que le monde bascule dans une nouvelle ère. Cela ne plaira pas forcément aux fans de Corto Maltese souhaitant un album comme en faisait Hugo Pratt, mais malgré tout, l’âme de l’auteur est là. Et pour que la BD soit bonne, mieux vaut qu’elle soit personnelle plutôt qu’une pâle copie de ce qu’aurait pu produire un auteur mythique.

L’histoire nous plonge directement au Japon, après une excursion en mer qui a mal tournée. Lors d’une pièce de kabuki représentant l’histoire de Susanoo et Amaterasu, Corto apprend qu’un trésor mythique de l’archipel aurait disparu, et qu’une société secrète de nationalistes serait à sa recherche. Alors que les services secrets japonais le mettent sur ses gardes, il n’a que faire des conseils et vogue à l’aventure dans le but de découvrir ce trésor. Une quête qui le mène jusqu’en Amérique du Sud, dans les Andes, où il devra se défaire à la fois des autorités, des trafiquants de drogue et d’une société secrète.

À travers ce récit dans lequel Corto tente de déchiffrer un code le menant à un trésor légendaire, on se laisse surtout bercer par les flots, très librement. Et à chaque coin où nous mènent ces vagues, des péripéties interviennent pour notre héros. Même quand il n’est plus maître de son destin, comme lorsqu’il est échoué en mer ou que la police l’embarque, il retombe toujours sur la piste de sa quête ou alors sur des connaissances qu’il retrouve. Ce sont des ficelles scénaristiques un peu grosses mais malgré tout, tout semble naturel à la lecture. C’est peut-être dû à la vie qu’insuffle Bastien Vivès à travers son trait, qui rend tout crédible, ou alors au fait que le récit se lise d’une traite, sans temps mort. En tout cas le voyage passionne et l’histoire ne semble qu’un prétexte pour nous faire visiter le monde. On y rencontre des personnages absolument marquants, voire d’anciennes connaissances de Corto que les fans des BD de Hugo Pratt connaissent bien, quand on ne tombe pas à la renverse devant la beauté des paysages. Océan Noir nous fait du bien, il nous fait nous évader de la plus belle des manières possibles, c’est-à-dire à la lisière entre l’art et le divertissement, et en pleine crise sanitaire, le récit soulage. Il y a évidemment de l’action, de l’aventure, de la romance, des rebondissements mais la BD est pourtant très calme, le ton détaché du protagoniste y est pour beaucoup et la manière dont le dessine Bastien Vivès joue également.

En toile de fond de l’intrigue, le monde change. L’histoire se déroule durant les attentats du 11 septembre 2001, et Corto y rencontre même Colin Powell, décédé d’ailleurs juste après la parution de la BD. Alors même que le monde est en mouvement, Corto reste fidèle à lui-même, il vit son aventure sans se soucier des changements radicaux de l’ère qui se prépare. C’est un tour de force de Martin Quenehen nous prouvant ainsi que Corto Maltese peut être transporté dans n’importe quelle époque, et qu’il conservera toujours son esprit libre qu’importe le contexte géopolitique qui l’entoure. En outre, il y a beaucoup de stéréotypes dans Océan Noir, aussi bien scénaristiques que graphiques, mais cela rend le voyage très identifiable. Les auteurs jouent autour de l’imaginaire collectif pour nous embarquer dans le périple de Corto.

Au niveau du dessin, Bastien Vivès s’est surpassé. Bien évidemment, les personnes voulant du Hugo Pratt seront forcément déçues, mais personne ne fera du Hugo Pratt mieux que Hugo Pratt lui-même, alors autant se replonger dans ses albums à la beauté éternelle. Non, Bastien Vivès dessine selon son propre style, un trait à la fois moderne et naturel, léger et précis, et pour peu qu’on l’accepte, il paraît bien difficile de ne pas s’attarder sur les décors ou les personnages qu’il représente. Il y a une ambigüité dans son dessin faisant qu’il est tellement efficace que les cases s’enchaînent rapidement, et pourtant on a envie de s’attarder sur chacune d’entre elles, de regarder les moindres détails.

S’il est certain qu’Océan Noir a de quoi diviser, il serait toutefois dommage de ne pas profiter du voyage pour ce qu’il est réellement. Il s’agit de la première incursion de Bastien Vivès et Martin Quenehen dans cet univers, et c’est une vraie réussite. Un pari gagnant qui n’était vraiment pas évident, et on ne peut qu’espérer que les auteurs fassent encore plusieurs albums autour du personnage. Il paraît indéniable qu’ils ont d’autres périples à nous offrir, d’autres lieux à nous faire visiter, d’autres rencontres à nous présenter. En fin de compte, à défaut de faire un Corto Maltese dans le style de Hugo Pratt, Bastien Vivès et Martin Quenehen ont fait d’Océan Noir une BD qui aurait pu plaire à Hugo Pratt. Et c’est sans aucun doute en cela qu’elle est une réussite.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
jojo81
17 20
Note de la rédaction