Ocean Colored Polaris - Actualité manga
Ocean Colored Polaris - Manga

Ocean Colored Polaris : Critiques

Ocean Colored Polaris

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 18 Mai 2021

Chronique 2 :

Elle a beau être assez prolifique, la bande dessinée taïwanaise reste encore assez rare dans notre pays. Mais heureusement, certains éditeurs, plus particulièrement des indépendants, tâchent de temps à autre de mieux nous la faire découvrir à leur échelle, notamment au travers d'oeuvres très inspirées par le format manga. Ainsi a-t-on par exemple eu, en tout début d'année, le très bon one-shot muet Ichthyophobia aux éditions Nazca. Mais sur le créneau taïwanais, ce sont bien les éditions ChattoChatto qui semblent les plus prometteuses, tout en ne négligeant aucunement les formats manga d'autres nationalités (le Japon bien sûr avec Quand la neige m'appelle et récemment Country Girl, mais aussi Hong Kong avec Frankenstein Family, et même le Canada avec Carciphona). Ca a commencé fin 2019 avec la série Don't Call Me Magical Girl, I'm OOXX qui va en se bonifiant, ça s'est poursuivi à partir de juin 2020 avec le surprenant et excellent Dragon Metropolis... Et cette année, c'est donc un one-shot (ou plus précisément un recueil, comme on le verra plus bas) qui vient enrichir encore un petit peu plus l'offre taïwanaise de l'éditeur: Ocean Colored Polaris.

Annoncé par ChattoChatto dès la fin du mois de juillet 2020 pour une sortie initialement prévue en décembre de la même année, l'ouvrage dut finalement être repoussé à cause de la situation sanitaire, pour finalement paraître à la fin du mois de janvier dernier, en étant alors la première nouveauté de 2021 de l'éditeur. On doit cette oeuvre à Wu Yushi, une jeune autrice taïwanaise qui officie depuis déjà quelques années, et qui a surtout confirmé les espoirs placés en elle en remportant en 2019, dans son pays, le prix du meilleur jeune talent des 10e Golden Comics Award.

Conçu en 2018, Ocean Colored Plaris est une histoire en trois chapitres canoniques, qui démarre d'une façon particulièrement douce-amère puisque l'on découvre la jeune Zi-Xuan, lycéenne de 17 ans, alors qu'elle est sur le point de se suicider en se jetant dans la mer. Finalement terrifiée au moment de sauter de la falaise, elle n'évite pas la chute à cause d'une glissade, mais est rapidement sauvée de la noyade par une rencontre semblant irréelle et qui risque de changer son existence: une sirène, nommée Hai Man Francis Dai Na dans son monde sous-marin, mais que l'adolescente préfèrera renommer Xiao Hai. Et suite à ce qui vient de se passer, Xiao Hai a une proposition précise à faire à Zi-Xuan: l'aider à entrer en contact avec la personne humaine qu'elle aime, et s'arranger pour que cette personne tombe amoureuse d'elle. En échange de quoi la sirène demandera à une sorcière de sa connaissance une potion avec laquelle la jeune fille pourra mourir sans souffrir. Mais sur ces bases pleines de mélancolie vis-à-vis du sentiment amoureux et de la vie, l'histoire commune de l'adolescente et de la sirène risque de prendre une tournure imprévue...

Avec ses quelques airs de La Petite Sirène (le conte d'Andersen, pour différents détails) dans les grandes lignes (chose qui se confirmera encore dans le premier des deux chapitres bonus), Ocean Colored Polaris aurait pu voir Wu Yushi s'engouffrer rapidement dans un récit aux allures de déjà-vu. mais fort heureusement, l'autrice est plus maligne que ça, dans la mesure où son histoire, une fois ces bases passées, va lui permettre d'évoquer un petit paquet de choses, à commencer par des sujets toujours bien ancrés dans notre société moderne, sujets qui trouveront toujours plus de points d'attache au fur et à mesure que l'on découvrira les principaux personnages et leur parcours, en particulier celui de Zi-Xuan. Car des interrogation sur cette jeune fille, il en découle pas mal dès la première page: pourquoi veut-elle mourir ? Qu'est-ce qui la fait tellement souffrir ? Mais Xiao Hai n'est pas en reste, l'identité de la sirène mais aussi de la personne qu'elle aime apportant encore des sujets supplémentaires. Il sera alors question, en vrac, d'orientation amoureuse, de manque d'affection parentale, de harcèlement scolaire pour des raisons injustes, de malhonnêteté masculine... et pour leur apporter des réponses, des possibles solutions, l'autrice s'appuie sur deux éléments en particulier.

Tout d'abord, le statut de de Xiao Hai, sirène vivant dans l'ocean depuis toujours, et méconnaissant donc tout du monde humain, de la société humaine, si bien qu'à quelque reprises le personnage pose sur notre société un regard intéressant car dépourvu des normes qui nous sont imposées. Ca donne lieu à quelques instants presque amusants, comme quand Xiao Hai veut donner une glace déjà entamée à un garçon à peine rencontré. Mais ça offre surtout quelques réflexions toutes simples, comme quand la sirène se demande de façon candide si c'est bizarre d'aimer les garçons, qui plus est quand on est soi-même un garçon.
Et c'est de cette façon d'être de Xiao Hai que va découler l'autre élément intéressant: indéniablement, la sirène va ouvrir les yeux à Zi-Xuan sur certaines choses, notamment l'importance de ne pas rester enfermé avec son mal-être, d'oser parler, se dire les choses, s'expliquer. le talent de l'autrice étant de trouver un assez bon équilibre sur ce point, puisqu'il ne sera jamais question, même après les explication, de tomber dans le tout rose avec pardon immédiatement accorder à celles qui briment. Et sur certains points, c'est aussi la jeune humaine qui permettra à la sirène de changer un peu, leur rencontre étant bénéfique à toutes deux.

Il y a donc des éléments de fond vraiment intéressants dans le récit. On y sent que Wu Yushi a des choses à dire, qu'elle a posé un regard sur notre société qu'elle a voulu partager... mais est-ce que cela suffit à en faire une oeuvre totalement réussie ? Malheureusement non, essentiellement parce que l'histoire souffre d'un gros problème: sa brièveté, surtout par rapport à tout ce qui est abordé. Ocean Colored Polaris a effectivement été décidé dès le départ par son éditeur pour être un récit court, si bien qu'ici l'histoire principale occupe tout juste la moitié du tome avec environ 90-95 pages. Dans sa postface, l'autrice avoue elle-même qu'il y a des choses qu'elle n'a pas pu développer comme elle le voulait, des éléments qu'elle a dû écarter, et ça se ressent pas mal dans la profondeur-même des sujets (car finalement, tout reste en surface) et dans le rythme trop rapides, avec pas mal de moment où l'on sent vraiment que les chose son dû être condensées, donnant lieu à une narration et à un découpage qui peuvent parfois donner l'impression d'être trop foutraques. Impression qui n'est peut-être pas aidée par le travail effectué par le studio Makma sur l'édition française: s'il n'y a rien de catastrophique dans la traduction de Sarah Grassart ni dans l'adaptation graphique de Cyril Bouquet, on ressent quand même des lourdeurs dans certaines formules, un petit manque d'émotion, des phrases qui ne semblent pas toujours bien se répondre, et un lettrage parfois basique.

On se consolera quand même avec les deux chapitres bonus qui, le temps d'une trentaine de pages, viennent apporter quelques petits plus à l'histoire principale. Le premier nous immisce brièvement auprès de la fameuse sorcière évoquée au tout début, ce qui permet non seulement d'entrevoir un petit peu une part du passé et un autre visage de la sirène, mais aussi d'évoquer rapidement quelques autres sujets de société autour notamment du rejet de ce qui est considéré comme différent. Quant au deuxième chapitre, il s'agit d'un petit moment d'enfance assez malicieux, laissant penser que les deux personnages principaux étaient déjà joliment connectés.

Notons, enfin, que le livre est complété par deux histoires courtes d'environ 25-30 pages chacune, deux romances adolescentes que Wu Yushi a dessinées a priori en 2015. Ca aurait pu être très classique (et la première histoire l'est d'ailleurs totalement), mais l'ensemble est intéressant à lire à la suite, car ces deux romances semblent presque se répondre en offrant deux situations d'amour difficile à avouer assez similaires mais prenant deux voies différentes. Avec à la clé, le sujet classique mais efficace de la difficulté à exprimer ses sentiments et à avoir confiance en soi.

Ajoutons à ça les différents petits mots de l'autrice (y compris sur la couverture, sous la jaquette), et on obtient un ouvrage intéressant, assez beau, parfois touchant, porté par l'esquisse de différents sujets de société, mais qui souffre de sa brièveté imposée, et qui aurait sans doute gagné à être un peu plus long, tant on sent que Wu Yushi a été limitée dans ses possibilités. Quant à l'édition française, en dehors de ce qui a déjà été dit, on y saluera une nouvelle fois les efforts fournis par ChattoChatto, avec la présence d'une jolie jaquette réversible. A part ça, le papier et l'impression sont d'honnête facture, et le travail effectué par Tom "spAde" Bertrand pour la jaquette est très soigné, en particulier pour le logo-titre joliment imaginé.


Chronique 1 :

Lycéenne, Zixuan veut en finir en se jetant du toit d'un immeuble. Mais lors du moment fatidique, elle prend peur et en vient à préférer rentrer chez elle. C'est par accident qu'elle chute, au moment fatal, aperçoit un beau visage, celui d'une sirène nommé Hai Man Francis Dai Na, mais que l''adolescente va surnommer Xiao Hai. En réalité, l'entité n'est pas de sexe féminin : Elle est un garçon qui a gagné des jambes, et propose à Zixuan un marché. Si elle l'aide à se rapprocher de la personne qu'il aime, alors il demandera à une sorcière un moyen pour elle de mourir paisiblement. Coup de chance : l'être que Xiao Hai recherche est dans le même établissement que Zixuan. C'est ainsi que débute une amitié étonnante et surnaturelle, et une aventure humaine durant laquelle les deux jeunes gens vont se découvrir mutuellement.

Depuis ses débuts, Chattochatto se penche souvent sur le catalogue chinois, particulièrement méconnu en France. Cela a permis a l'éditeur de dénicher des pépites qu'on ne souppçonnait pas, comme l'étonnant et intense Dragon Metropolis. Avec Ocean Colored Polaris, c'est un récit plus mélancolique et intimiste qui nous est proposé. Dessiné en 2018 par l'autrice chinoise Yushin Wu, le manhua a été apprécié au point de remporter le 10e Golden Comic Award, prix taïwanais dédié à la bande-dessinée.

Une adolescente qui tente de mettre fin à ses jours, puis une rencontre avec une sirène de genre masculin tombé amoureux d'un être humain... L'amorce d'Ocean Colored Polaris est étonnant par cette dimension pleine de fantaisie, chose d'autant plus déroutante que l'ensemble de l'histoire finit rapidement par s'écarter du fantastique, afin de s'ancrer dans la tranche de vie mélancolique et sociale. Car dans cette histoire, Yushin Wu aborde différents maux de la société, allant du harcèlement à la difficulté d'éprouver son amour dans un monde très normé, ceci en passant par la vaste thématique de la complexité de l'adolescence. Ceci avec deux personnages donc, la brisée Zixuan et Hai Man, surnommé Xiao Hai. L'une souhaite pouvoir périr sans souffrance, et lui faire connaissance avec l'être aimé. Deux chemins qui se croiseront, puisque la collaboration des deux entités va grandement jouer sur leurs destins.

En seulement trois chapitres, l'autrice narre ainsi une véritable fable sociétale qui brille par ses différents messages. L'idée générale qu'on peut tirer de cette fiction est sans doute "l'absence de barrières", nos deux protagonistes évitant à tour de rôle les obstacles qui les empêchent d'aimer, et tout simplement de vivre. Chose que l'on découvre d'amour par l'identité de l'humain dont est épris Xiao Hai, et qui se poursuivra avec le développement de Zixuan. On s'attend forcément à ce que l'héroïne ne persiste pas éternellement dans son idée d'en finir avec la vie, mais le plus saisissant viendra de son développement, et des raisons qui l'ont poussée vers ces idées.

Le pièce d'Ocean Colroed Polaris était donc de tomber dans le tire-larmes. Il faut dire que la vie de Zixuan est particulièrement lourde et injuste, amenant la plus grande part d'intensité dramatique dans le récit. Pourtant, l'artiste arrive à nuancer toutes ces émotions, tout comme elle traite avec différentes teintes la question du harcèlement subie par l'héroïne. Plutôt que simplement condamner la pratique (ce qui est évident dès les premières pages), Yushin Wu fait dévier son sujet par la pluralité des émotions adolescentes, ses paradoxes aussi, traitant en filigrane de la difficulté à s'exprimer clairement et à prononcer ses sentiments. On ne pardonne certainement pas aux bourreaux, tout comme le harcèlement que subit l'héroïne n'est jamais excusé, mais il est intéressant de voir comment le point d'orgue du scénario va délier la situation. Alors, bien que très mélancolique dans son déroulement et sur tous ses axes, Ocean Colored Polaris profite d'un vent d'espoir appréciable. Malgré les impossibilités dans le scénario et sa conclusion presque douce-amère, la fin proposées est saisissante et émouvante, pour une atmosphère particulière qui ne tombe pas dans l'émotion facile.

Et si le récit principal ne compte que trois chapitres, il se voit complété par deux épisodes bonus en lien avec l'intrigue principale. Deux histoires qui permettent d'étoffer un peu l'ensemble (notamment en ce qui concerne la fameuse sorcière qu'on découvre enfin) et de piquer davantage la relation entre Zixuan et Xiao Hai, définitivement marquée par le destin. D'autres histoires qui proposent d'autres émotions, tragiques comme mélancoliques, et qui se greffent bien à l’œuvre clé.

Dans tout ce qui concerne Ocean Colored Polaris, peut-être que la plus grande complexité viendra de la narration de Yushin Wu, très fouillée et vive, qui n'a rien de vraiment scolaire. Certains la trouverons même complexe, tant il n'est pas forcément indiqué à qui ou à quoi un personnage fait écho dans chaque situation, ce qui concerne aussi le chapitre bonus autour de la sorcière. Pourtant, c'est une richesse narrative qui contribue au charme du titre. Yushin Wu a indéniablement sa patte, un trait ravissant et une manière de conter son intrigue avec un certain mysticisme, ce qui sied au folklore de l’œuvre.

Car dans la toute fin du recueil, le style de l'autrice se pose. Le one-shot se conclue alors sur deux histoires courtes publiées par l'artiste, toutes deux traitant de romances lycéennes basées sur des relations entre amis assez opposés et mettant en exergue la difficulté à exprimer ses sentiments. Si le premier récit peut sembler convenu, le second est clairement plus audacieux. On s'étonnera alors de sa fin amère qui brise les canons standards, ce qui nous fait refermer le volume avec une certaine amertume, assez loin finalement de l'espoir que portait l'histoire principale.

Oui, Ocean Colored Polaris est finalement plus un recueil d'histoires qu'un unique récit, bien que la fable sociale autour de Zixuan et Xiao Hai prennent les trois quarts de l'ensemble. Il en découle une création envoutante par ses ambiances et la narration de son autrice, garnie de différents messages finement exploités et traitant, de manière parfois personnelle, des maux de la société. Une belle trouvaille de la part des éditions Chattochatto, qui diffère parfois des tranche de vie que nous avons l'occasion de lire, et qui pourra sans mal trouver sa place dans les mangathèques des amateurs du genre.

Cette chronique se basant sur une épreuve numérique, nous ne pouvons traiter de l'édition.
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

13.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs