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Utamaro : Critiques

Mugen Utamaro

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 25 Avril 2018

Dans le Japon de l'ère Edo, le peintre Utamaro Kitagawa aime plus que tout la vraie beauté, et la dépeindre dans ses oeuvres. Amené à rencontrer Guren, sublime oiran du quartier de Yoshiwara dont la popularité commence à grimper, il est subjugué par sa beauté sans égale, et accepte de faire son portrait. L'artiste considère l'oeuvre comme sa plus grande réussite, et elle satisfait tout autant Guren, tant ce portrait semble la représenter à la perfection jusqu'à son âme. Mais par la suite, tandis qu'Utamaro poursuit l'exercice de ses talents jusq'à même se faire repérer par des hommes du shôgun qui pensent qu'il pourrait leur être utile, la belle oiran, elle, finit par penser que le portrait est maudit, tandis qu'elle sombre petit à petit dans certains travers...

Dessiné en 2008-2009 pour le magazine Monthly Afternoon des éditions Kôdansha avant de sortir en un tome relié en 2010, Utamaro fait donc partie des oeuvres les plus récentes de Gô Nagai, et se démarque quelque peu dans la très longue et riche carrière de l'auteur de par son inspiration: ici, Nagai se base sur le Portrait de Dorian Gray, célèbre roman de l'écrivain irlandais Oscar Wilde devenu un incontournable. Le roman d'origine narre le funeste parcours de Dorian Gray, jeune homme dont la beauté est telle qu'elle suscite l'admiration d'un peintre qui fait son portrait. Or, le portrait ne cesse de s'enlaidir au fil des années et des mauvaises actions commises par Dorian. Comme si cette peinture aspirait les plus horribles facettes de son âme, tandis que lui reste étonnamment beau... et on n'en dira pas plus, afin de ne pas gâcher l'histoire du roman à celles et ceux qui ne l'ont jamais lu.

Gô Nagai reprend bien le déroulement de l'intrigue du roman d'origine... mais plutôt que d'en faire une bête et simple adaptation (chose qu'il ne souhaitait pas), le mangaka a eu l'idée de transposer cette histoire culte dans son pays, le Japon, et à l'époque Edo. Le jeune et beau Dorian Gray est remplacé par la magnifique oiran Guren, tandis que pour la figure du peintre Nagai a choisi d'utiliser le célèbre Utamaro.

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas encore, Utamaro est un artiste qui a bel et bien existé, et est même l'un des trois plus célèbres maîtres de l'ukiyo-e, style d'estampes japonaises par excellence. Parmi les styles d'oeuvre où Utamaro excellait, on trouve le bijin-ga, sous-genre de l'ukiyo-e qui avait pour objectif de représenter les plus belles courtisanes de l'époque, et l'ôkubi-e, proposant des portraits rapprochés. le talent d'Utamaro dans ces domaines était tel qu'on disait de lui qu'il savait parfaitement capture l'âme de ses modèles... alors autant dire que le choix de Gô Nagai d'en faire son héros est, ici, parfait, tant il correspond à la figure du peintre telle qu'il la fallait pour la libre adaptation du roman de Wilde.

Gô Nagai offre une excellente transposition du Portrait de Dorian Gray, car en plus d'en reprendre la trame dans les grandes lignes, il s'en réapproprie également certaines thématiques essentielles : le rapport entre corps et âme, ce que l'apparence peut cacher de plus sombre, la chute et la décadence humaines... Guren représente parfaitement cet aspect, en se dépravant petit à petit dans sa quête de popularité et d'argent, salissant son corps dans la luxure... Mais elle a beau rester physiquement toujours aussi magnifique avec le temps qui passe, le portrait "maudit", reflet de son âme, ce cesse de lui renvoyer au visage son intérieur perverti, au point qu'elle se met à avoir peur et à haïr Utamaro.

Mais le mangaka ne s'arrête pas là, car son choix de transposer le récit de Wilde dans le Japon d'Edo auprès d'Utamaro s'accompagne de tout un travail assez rigoureux, où il brille sur deux points. Tout d'abord, son désir de rester fidèle à plusieurs éléments de la vie d'Utamaro, ne serait-ce que par certains enjeux qu'il attire, ou via la présence à ses côtés de certains autres personnages historiques comme Juzaburô Tsutaya (l'un des principaux éditeurs d'estampes de l'époque), Shunshô Katsukawa, ou encore le conseiller du shôgun Okitsugu Tanuma. Ensuite, un important travail de reconstitution, qui passe par l'omniprésence de décors d'époque parfois bluffants. Nagai sait offrir des fonds bien travaillés, assez denses et très crédibles, à l'image du quartier de Yoshiwara avec son animation, ses bâtisses typiques, ses lanternes, sa grande porte ômon... Mais n'oublions pas les costumes et les coiffures, bien rendus également !

Pour le reste, visuellement on retrouve aussi certaines habitudes de l'auteur: un certain goût pour les pointes d'érotisme (ici autour de la belle Guren), des déformations physiques sur le portrait qui prennent parfois des allures démoniaques telles que l'auteur les aime...

Concernant l'édition, hormis 2-3 petites coquilles d'inattention (un "Utamro" au lieu d'"Utamaro" par exemple), il n'y a rien à redire. Le grand format est très appréciable ici pour profiter notamment de plusieurs planches denses, le papier allie souplesse, blancheur et épaisseur, l'impression est satisfaisante, la traduction de Mélissa Millithaler est vive et assez naturelle, le travail de lettrage de Cindy Bertet est très honnête... A défaut d'avoir des pages couleurs (vu qu'il n'y en a pas non plus dans la version japonaise), l'édition brille pour ses suppléments en fin de volume. On trouve une postface très intéressante de Gô Nagai lui-même, où il présente les origines du projet et la manière dont il l'a envisagé. Mais surtout, il faut saluer le travail effectué par Erell : une petite postface, une annexe présentant Utamaro, Le Portrait de Dorian Gray (avec même un petit comparatif entre des événements du roman d'origine et ceux du manga de Nagai !) et les quartiers de plaisir, et une trentaine de clés de compréhension présentant de façon suffisamment détaillée nombre de termes spécifiques croisés dans le tome, notamment autour de plusieurs personnages, de lieux, et de termes liés à l'ukiyo-e. C'est un excellent et passionnant travail !

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs