Moto Hagio - Anthologie - Coffret - Actualité manga

Moto Hagio - Anthologie - Coffret : Critiques De l'humain / De la rêverie

Hagio Moto - Anthology

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 22 Novembre 2013

Après plusieurs passages à Paris (Salon du Livre, Japan Expo) et la sortie du Coeur de Thomas, 2012 était l'année où les lecteurs français purent enfin découvrir Moto Hagio, l'une des auteures les plus reconnues au Japon et considérée comme l'un des mères du manga moderne. Après Kazé, c'est au tour de Glénat de saluer l’œuvre de cette illustre mangaka, en réunissant plusieurs de ses nouvelles en une anthologie qui détonne dans nos librairies par son élégance et sa sobriété. Un fourreau blanc en carton renforcé, duquel l'on extraira deux imposants volumes argent et or, respectivement intitulés « De la rêverie » et « De l'humain ». Le support reprend ainsi le format des séries Vintage de l'éditeur, sans en respecter le code couleur, preuve d'une nette démarcation pour cet objet unique sur le paysage français du manga.


A chaque ouvrage sa thématique, et comme son titre le laisse entendre, « De la rêverie » s'orientera davantage vers les domaines de l'imaginaire, notamment vers la science-fiction avec l'essai central de ce recueil : « Nous sommes onze ». Cette nouvelle, considérée comme pièce centrale dans la carrière de la mangaka, nous entraîne dans un futur lointain, où l'Homme a réussi a étendre son influence dans l'Univers. Dix candidats à l'intégration de l'Université Spatiale sont réunis pour passer un ultime examen en conditions réelles, dans un vaisseau à la dérive. Le problème est qu'une fois à bord, ils se rendent compte qu'il y a une personne de trop parmi eux ! Moto Hagio joue ainsi la carte du huis clos angoissant où tout le monde est amené à se soupçonner mutuellement, mais le cadre de la SF apporte un souffle supplémentaire au récit, les mystères du vaisseau représentant autant de menaces pour nos pauvres survivants, amenés à enquêter sur ce qui est arrivé aux anciens résidents. Et tandis que la température monte, l'ambiance se veut de plus en plus irrespirable... Le tout est sublimé par un soupçon de romance et la confusion des genres, portées par les deux protagonistes de cette série, Tada et Flore, que nous serons amenés à revoir bien vite dans la suite de cette aventure : « Est et Ouest, un lointain horizon ». Ayant réussi à intégrer l'Université Spatiale, nos deux héros reçoivent un message de l'un de leurs anciens coéquipiers, le roi Baseska, qui les invite à séjourner sur sa planète. Mais Tada et Flore arriveront au mauvais moment, tandis qu'un conflit gronde avec la planète jumelle... Derrière le décor futuriste, la mangaka nous présente ici une lutte politique beaucoup plus classique, avec des personnages aux élans chevaleresques. Bien qu'un peu confus, le tout n'est pas inintéressant pour autant, mais l'on reste loin de la superbe de l'histoire précédente.

Le noyau dur de ce recueil est encadré par deux nouvelles bien plus courtes. En guise de mise en bouche et tout en bichromie, « Un Rêve ivre » est une réflexion sur l'Histoire qui se répète et l'inéluctabilité du destin. A l'autre extrémité, l'ouvrage se clôt par « Le petit flûtiste de la forêt blanche », récit fantastique où une jeune fille se lie d'amitié avec un jeune garçon, décédé une dizaine d'années plus tôt. Entre regrets posthumes et amitié éternelle, cette dernière histoire assure ainsi la transition vers le second recueil...


S'il se veut plus réaliste dans ses thématiques, « De l'Humain » offre une variété de situations particulièrement étonnante, preuve de l'étendue du talent de la mangaka. Avec « La princesse iguane », nous découvrons une jeune fille rejetée par sa mère, qui la voit avec l'apparence d'un reptile. Ainsi, au fil des pages, nous verrons la jeune demoiselle se laisser convaincre par cette influence, bouleversant son regard sur elle-même comme sur le monde qui l'entoure. « Mon côté ange » plonge encore plus loin dans les tréfonds de la psyché humaine en présentant pour héroïnes deux sœurs siamoises, l'une se faisant gangrener de l'intérieur par l'autre. Là encore, l'originalité de la situation et la conclusion apportée ne pourront laisser de marbre. Mais c'est encore avec « Pauvre Maman » que la stupeur sera le plus de mise, lorsqu'un homme revient se recueillir sur la tombe de son amour perdu, et qu'il sympathise avec le fils de cette dernière. Là encore, la mangaka nous surprendra avec un retournement glacial, porté par une innocence désarmante.

Ce second recueil contient lui aussi deux essais plus conséquents, dont « Le pensionnat de novembre », qui n'est autre que la première version du Coeur de Thomas, que nous avions pu découvrir l'an dernier. Ainsi, nous retrouvons le cadre de l'établissement et quelques visages bien connus, voire certains éléments clés du récit comme la ressemblance entre Thomas et un autre garçon. Mais le fil de l'intrigue est quant à lui bien différent, mené par le dosage conséquent de l'émotion et les soubresauts du scénario. Enfin, le volume s'achève sur « Le coquetier », qui prend place à Paris lors de l'occupation. Par le biais de trois destins croisés, Moto Hagio signe une chronique des grandes problématiques de l'époque, entre résistance, traque des juifs par les nazis et le chaos pouvant naître dans les esprits en temps de guerre.


Publiées entre le début des années 1970 et le milieu des années 1980 (exception faite de «La princesse Iguane » qui est un peu plus récent), ces nombreuses nouvelles font ainsi un tour assez vaste des thématiques chères à l'auteure. La mort, la fatalité, les complots et autres secrets, mais aussi l'amour, la passion, la romance, avec quelques élans de shonen-ai et d'androgynie, formant le socle de certaines lectures contemporaines. Seul le graphisme, ancré dans les codes de l'époque, pourraient rebuter une partie des lecteurs, bien que nous soyons encore très loin de l'avalanche du shojo fleuri cher à d'autres artistes de son temps.

Après la percée faiblement remarquée du Coeur de Thomas l'année passée, saluons une dernière fois Glénat pour nous proposer cette anthologie, à un prix encore raisonnable vu l'inflation générale du cours des titres patrimoniaux. Il semble impensable, hélas, que le lectorat français moyen, habitué aux carcans d'une lecture stéréotypée, se jette à corps perdu sur la bibliographie de Moto Hagio. Mais, pour le premier pays importateur de lectures japonaises, la sortie de cette anthologie constituait un acte éditorial important et nécessaire, pour éviter de passer à côté d'un pan de cette culture. Quarante ans après leur publication originale, les histoires de Moto Hagio n'ont perdu ni de leur charme ni de leur impact, et il était grand temps que nous puissions, à notre tour, nous y plonger.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Tianjun
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs