Mes yeux rivés sur toi - Actualité manga
Mes yeux rivés sur toi - Manga

Mes yeux rivés sur toi : Critiques

Kimi no Senaka

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 09 Mars 2021

Takeru Inomata vit dans une bourgade éloignée des grandes villes, un hameau où la routine est de grandir, se marier, et avoir un enfant. Pourtant, l'adolescent se sent loin de ces us et coutumes, tout comme il se sent à part de sa bande d'amis. Son quotidien vire aux jours radieux quand un nouvel élève intègre son lycée : Kôtarô, un de ses anciens camarades d'école primaire. Tous deux retrouvent leur complicité d'antan, et quelque chose se développe progressivement chez Takeru, des sentiments qu'il n'avait jamais vraiment connu jusque alors.

Mangaka né en 1971 et artiste gay revendiqué, Kuro Nohara est actif depuis les années 2000, essentiellement via des histoires courtes compilées en ouvrages. Mes yeux rivés sur toi, initialement publié sous le titre anglophone Staring at your back, n'est pas une création faite pour le Japon, mais une commande de l'éditeur sud-coréen 6699press réalisée en 2019. Après un chapitre zéro qui fut un succès, l'auteur a pu poursuivre son histoire sur 8 chapitres supplémentaires, le tout ayant ensuite été condensé en un unique tome.
Toujours friandes de tranche de vie sociales, les éditions Akata se sont montrées captives à la patte de l'auteur, plutôt proche de celle de Gengoroh Tagame aussi bien dans le style que dans le ton. Après une prépublication numérique dès janvier 2020, le volume intégrale est proposé dans nos librairies en février 2021.

Mes yeux rivés sur toi part d'un postulat simple : Les retrouvailles entre deux amis d'enfance qui vont virer à l'amour, au moins pour l'un d'entre eux. Un pitch somme toute classique dans la comédie sentimentale lycéenne, mais surtout quand il s'agit d'un récit hétéro-centré. La seule différence dans le one-shot de Kuro Nohara vient donc du genre de ses deux protagonistes, Takeru et Kôtarô, qui sont tous deux des hommes. Leur histoire va évoluer dans une atmosphère douce et mélancolique, et non sans complications.

Car dans un premier temps, ce qui resplendit dans l'ouvrage est sa manière de traiter l'amour adolescent, et la manière dont il peut amener du vif dans le quotidien d'une jeunesse désabusée. En ce sens, la relation entre les deux protagonistes est belle, séduisant sans mal par sa douceur et ses petits moments intimes tantôt noués autour de l'espoir, et d'autre fois autour de la désillusion. Car si les sentiments de Takeru s'expriment rapidement, toute la complexité de la situation vient concerner Kôtarô, un garçon qui se cherche tant il est d'abord attiré par une fille, mais ses interactions avec son ami le laisseront de moins en moins indifférent. Un récit simple dans la forme donc, mais qui nous rend captif de par le traitement des personnages, jamais lisse, et grâce aux atmosphères douce et amères qui se succèdent.

Évidemment, impossible de ne pas traiter le récit sans aborder la place de l'homosexualité dans la société. Le fait que l'action se déroule dans une bourgade aux mœurs plus accentuée joue un rôle dans l'intrigue, mais ce n'est pourtant qu'en deuxième partie de récit que la question de l'orientation amoureuse se pose véritablement. Au départ, l'amour est traité via un regard objectif sans forcément s'intéresser à la masculinité des deux protagonistes : On est amoureux ou on ne l'est pas, et certaines gestes entre Takeru et Kôtarô ne sont pas remis en question.
La mélancolie de l'ambiance est davantage amenée lorsque toutes les réflexions sociétales se poser. En toile de fond, le mangaka s'intéresse évidemment au regard d'autrui, mais aussi à l'inquiétude d'un jeune gay de voir l'être aimé détruit par les jugements discriminatoires de l'entourage. Jusqu'au bout, l'oeuvre réussit à dresser une issue incertaine, penchant plutôt du côté du tragique, avant de rééquilibrer l'ensemble sur une fin beaucoup plus optimiste. Mes yeux rivés sur toi s'impose alors comme une jolie fable sociétale, une tranche de vie émouvante sur l'adolescence, dont on retire beaucoup de positif.

La comparaison avec Gengoroh Tagame et ses excellents Le Mari et mon Frère et Our Colorful Days paraissait inévitable tant les titres prennent des chemins similaires, tant dans leurs thématiques que dans leurs ambiances, même si les œuvres diffèrent suffisamment pour être distinguées. Dans son trait, Kuro Nohara aborde quelques mimiques graphiques similaires, sans doute le fruit d'un héritage artistique. Ses garçons sont assez costauds mais crédibles visuellement, et son coup de crayon est toujours épuré, qu'il s'agisse dans le dessin des personnages et des décors ou dans la mise en scène. Un style qui sied totalement à l’œuvre, et qui permet de mettre en exergue ses ambiances.

Oeuvre intime, nous confrontant aux maux de la société quant à l'homosexualité et histoire d'amour aux tons divers, porteuse d'un message positif, Mes yeux rivés sur toi constitue une belle lecture qui charme pour les multiples atouts cités dans cette chronique. Un récit qui croque l'adolescence et ses thématiques à pleine dents, tout en présentant un artiste qui mériterait davantage de place dans notre paysage. Car l'auteur a à son actif différentes tranches de vie sociétale et autre romances gay qu'on apprécierait pouvoir lire.

Côté édition, Akata livre une jolie copie avec un format « seinen » qui profite des particularité de l'édition coréenne pour s'enrichir de plusieurs illustrations colorisées. Signée Jordan Sinnes, la traduction est sans bémol, et construit un texte qui retranscrit comme il se doit la belle atmosphère de l’œuvre.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs