Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 07 Août 2024
Au coeur de cet été très chargé en yuri pour leur catalogue, les éditions Meian accueillent notamment une courte série achevée en quatre volumes et dont le titre français est sans équivoque: Mariée à ma meilleure amie. De son nom original "Onna Tomodachi to Kekkon Shitemita" (littéralement "J'ai essayé d'épouser une amie" ), cette oeuvre a été prépubliée au Japon entre 2020 et 2023 dans le Comic Yurihime des éditions Ichijinsha/Kôdansha,sans doute le magazine le plus représentatif du genre. Il s'agit de la première publication française mais de la deuxième série de la carrière de Shio Usui, une mangaka qui a débuté professionnellement en 2018 et dont la bibliographie compte aussi plusieurs histoires courtes, notamment pour des anthologies collectives, le tout exclusivement dans le registre des romances homosexuelle entre femmes.
L'histoire est celle de Kurumi et de Ruriko, deux très bonnes amies de longue date qui, un jour, on vu leur parcours commun prendre un virage important. Alors que la première, autrice de webséries très indépendante et éternellement célibataire, évoquait autrefois son désir d'expérimenter quand même un jour le mariage, la deuxième, boulangère-pâtissière ayant énormément d'affection pour elle, lui fit alors une étonnante proposition: si, cinq ans plus tard, elles étaient encore célibataires toutes les deux, elles pourraient alors tenter de se marier ensemble, le mariage entre femmes ayant été légalisé. Kurumi pensait qu'il s'agissait d'une de ces promesses entre amies qui ne se réaliserait jamais, et pourtant, cinq années plus tard, Ruriko est venue tenir cette promesse. C'est, pour elles, le début du nouvelle vie de "couple" à laquelle il va falloir se faire, et aussi pour Kurumi une expérience dont elle va pouvoir s'inspirer pour sa nouvelle websérie...
Shio Usui narre donc ici le quotidien d'un couple marié pas comme les autres, dans la mesure où les deux héroïnes n'ont justement pas tout d'un couple alors qu'elles sont désormais unies par les liens du mariage. Et c'est donc avant tout, bien sûr, sur la particularité de cette situation et sur ses évolutions que la mangaka va jouer, de façon tout à fait prometteuse sur ces presque 160 premières pages.
La première réalité de la situation nous apparaît vite évidente: Ruriko n'a pas proposé ce mariage à la légère, tant on cerne rapidement qu'elle est sincèrement très amoureuse de Kurumi, probablement depuis bien longtemps. Or, Kurumi ne la voit pas encore autrement que comme son amie et ne se voit pas déjà vraiment former un couple avec elle. Alors forcément, une question se pose: quel avenir attend un tel couple ? D'un côté, comme le souligne son amie Kuroda, on peut se demander si Ruriko pourra être parfaitement heureuse dans cette situation: elle a beau penser avant tout au bonheur de Kurumi et se montrer heureuse rien qu'en vivant avec elle, en son for intérieur n'espère-t-elle pas plus et n'oublie-t-elle pas de penser aussi à elle-même ? Et de l'autre côté, il y a les premières prises de conscience de la très indépendante Kurumi: désormais, elle ne pourra plus vivre sa vie aussi égoïstement qu'avant, alors saura-t-elle s'y faire ? Sur ce dernier point, de beaux éléments de réponse se dessinent déjà petit à petit, comme quand elle ressent un manque en partant en voyage seule, ou quand elle s'inquiète de voir Ruriko toujours faire passer ses besoins avant le reste.
En somme, il va forcément falloir gérer ces différences de personnalité très flagrantes entre elles deux, et c'estdans une atmosphère particulièrement ouverte, bénéfique et positive qu'elles commencent à s'y appliquer. D'abord en mettant soigneusement en place certaines règles, avec mises au point régulières, pour tout ce qui concerne les tâches ménagères, le loyer et les autres dépenses. Puis en s'appliquant à changer ces règles petit à petit pour, au fur et à mesure, mieux s'adapter l'une à l'autre et trouver leur équilibre, dans le but de peaufiner leur mode de vie rien qu'à elles et simplement d'être heureuses ensemble, avec en toile de fond quelques réflexions sur le mariage, sur ce qu'il implique en théorie, et sur une autre vision de celui-ci.
Emballé dans un style graphique classique dans son découpage et dans ses décors mais tout en douceur et en clarté dans les traits des héroïnes, Mariée à ma meilleure amie ne manque alors ni de charme ni d'intérêt au fil de ce premier volume. On en lira la suite avec plaisir, en espérant que les jolies choses posées ici se confirment !
Concernant l'édition française, la copie proposée par Meian est très propre: la jaquette sobre est soigneusement et fidèlement adaptée de l'originale japonaise, la première page en couleurs sur papier glacé nous gratifie d'une mignonne illustration des héroïnes, le papier assez souple et opaque permet une impression tout à fait correcte, le lettrage de Justine Mouron est convaincant, et la traduction de Morgane Paviot est très claire.