Lovers' Kiss - Actualité manga

Lovers' Kiss : Critiques

Lovers' kiss

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 30 Septembre 2025

Après la trilogie d'action Banana Fish, Yasha et Le Sommeil d'Eve, les éditions Panini nous font l'immense plaisir, en ce mois de septembre, de continuer leur exploration de la bibliographie de la grande Akimi Yoshida en publiant Lovers' Kiss, qui plus est dans leur habituel format Perfect qui, ici, réunit les deux tomes d'origine en un seul beau pavé de plus de 370 pages.

Prépubliée au Japon dans le magazine Betsucomi des éditions Shôgakukan en 1995-1996, comme une sorte de pause plus "calme" entre Banana Fish (achevé en 1994) et Yasha (démarré en fin d'année 1996), cette oeuvre est l'occasion pour Akimi Yoshida de mettre en scène pour la première fois de façon aussi prégnante la ville de Kamakura, à laquelle elle est très attachée depuis son enfance. A cette époque, elle ne peut pas encore se douter que Lovers' Kiss deviendra le premier volet de sa "trilogie de Kamakura", dont les deux autres volets seront les tranches de vie Kamakura Diary (bijou qu'elle conçut entre 2007 et 2018, et qui est disponible en France aux éditions Kana) et Utagawa Hyakkei (sa dernière série en date, qu'elle dessine depuis 2019, et qui est prévu en France chez Panini l'année prochaine sous le titre Les cent vues d'Utagawa). Auréolé d'une solide réputation grâce notamment à sa construction narrative et à ses sujets réalistes profonds sans avoir besoin d'en dire trop, et faisant partie des oeuvres ayant alors considérablement marqué le shôjo des années 1990 grâce à ses sujets sentimentaux (entre autres) plus mûrs et dramatiques (au même titre que Mars de Fuyumi Soryo, pour citer un autre incontournable), Lovers' Kiss a même eu droit à une adaptation en film en 2003, en plus d'évidemment connaître plusieurs nouvelles éditions japonaises au fil du temps.

Tout commence sur la plage de Kamakura où Rikako Kawana, lycéenne dans un établissement mixte, observe de loin, le regard plutôt désabusé, surfeur dont elle se dit qu'il est plutôt doué. Quand celui-ci vient à sa rencontre, elle constate qu'il s'agit de Tomoaki Fujii, beau garçon bien bâti mais ayant la réputation d'être un play-boy draguant toutes les filles qui lui plaisent pour les mettre dans son lit. Au lycée, quand son entourage, notamment sa meilleure amie Miki Ozaki, lui confirme que Fujii a très mauvaise réputation et que le simple fait de traîner avec lui pourrait faire naître un paquet de rumeurs, Rikako semble en faire très peu de cas, et en vient même à aller proposer d'elle-même à Fujii de coucher avec elle, même s'il n'y a pas d'amour entre eux. Pourtant, à partir de cet acte, c'est comme si quelque chose attirait de plus en plus Rikako et Tomoaki, qui, sans avoir besoin de trop fouiller dans leur passé respectif, sentent bien qu'ensemble ils pourraient se comprendre et se soutenir face aux à leurs pires démons...

Qu'a-t-il bien pu arriver à Rikako et à Tomoaki quelques années auparavant ? C'est une question que se pose toujours Takao Sagisawa. En tant qu'ami d'enfance de la première (avec qui il suivait des cours de musique) et ami de collège du deuxième, il sait à quel point ces deux-là étaient différents autrefois... et c'est en particulier sur Tomoaki qu'il s'interroge. Sans en avoir parfaitement conscience lui-même au départ, et sous l'oeil de son cadet Atsushi Ogata qui s'intéresse beaucoup à lui, Takao pense beaucoup à son ami du collège qui n'a jamais quitté ses pensées, mais doit pourtant taire de plus en plus des sentiments semblant inavouables, au fur et à mesure qu'il les découvre.

Quant à Eriko Kawana, petite soeur de Rikako, voici bien longtemps qu'elle déteste sa grande soeur pour diverses raisons, et sa façon de désormais fricoter avec Tomoaki, avec le lot de rumeurs que ça crée, ne semble clairement pas devoir arranger les choses. Quand elle ne passe pas son temps avec son camarade de classe Atsushi, devenu un super pote avec qui elle peut plus ou moins tout partager (au point qu'on les croit souvent en couple), la jeune fille, un peu pour fuir sa propre famille, a pris l'habitude de se réfugier chez celle de Miki, l'amie de Rikako. Le dédain d'Eriko envers sa soeur pourrait bien passer aussi par le fait que Rikako est si proche de Miki, quand elle rêverait elle-même de devenir plus importante pour cette dernière. Mais voilà, malgré ses sentiments, Eriko a aussi conscience que les pensées de Miki sont surtout tournées vers quelqu'un d'autre...

Vous l'aurez sans doute compris: Lovers' Kiss est un récit choral divisé en trois parties à peu près égales de deux chapitres chacune, où les deux personnages principaux d'une des parties deviennent des figures secondaires des deux autres, même si un certain fil conducteur se dessine autour de Tomoaki, de son passé l'ayant tant traumatisé (et au vu de la vérité que l'on découvrira là-dessus dans les dernières pages, qui ne le serait pas ? ), de son présent fait de dragues et de rumeurs, et de son avenir pour lequel il devra inévitablement prendre une décision. Ne laissant personne indifférent dans son entourage, et étant un personnage si marquant qu'Akimi Yoshida le reprendra en tant que figure secondaire dans Kamakura Diary, Tomoaki dévoilera à petites doses, la plupart du temps à travers le regard que les autres peuvent poser sur lui, les différents éléments ayant fait de lui ce qu'il est, en soulignant rapidement une chose: mieux vaut ne jamais se fier aux premières apparences et aux rumeurs.

De manière générale, c'est là, peut-être, la plus grande finesse d'Akimi Yoshida dans son oeuvre, tant elle exploite parfaitement l'aspect choral pour nous faire peaufiner voire réviser le regard que l'on pourrait porter sur ses personnages. Quand Rikako et Tomoaki semblent d'abord légers dans leurs moeurs, la vérité qui se dessiner sur leur besoin de fuir certains traumatismes vient complètement retourner l'image qu'on peut avoir d'eux. Quand Eriko et Atsushi semblent être en couple d'après leur entourage tant ils sont proches et complices, la réalité de leurs sentiments respectifs est tout autre. Et l'hostilité d'Eriko envers sa grande soeur, elle, paraît cacher des sentiments qui vont encore au-delà des jalousies et autres querelles entre soeurs. La compréhension de ces personnages complexes passe également par tout un tas de petits détails que Yoshida dissémine et peaufine très soigneusement au fil des pages: la symbolique de la Lune se reflétant sur la mer, la façon dont Rikako insiste sur les mains froides, le piano qu'on n'utilise plus, le refus de Tomoaki d'ouvrir la porte à sa père quand elle vient lui rendre visite... ne sont que quelques-uns de ces détails a priori anodins et qui prennent toujours plus de sens au fur et à mesure de ce que l'on comprend sur les personnages.

Des personnages qui, en plus de permettre d'évoquer pas mal de sujets réalistes (en tête, autour des relations familiales compliquées voire toxiques), sont tous marqués par une chose: ils ne peuvent pas vivre pleinement l'amour qu'ils ressentent. Certains doivent se séparer après s'être pourtant enfin trouvés, d'autres essuient simplement un refus car la personne qu'ils aiment a le regard tourné vers quelqu'un d'autre de façon que l'on sent irréversible, d'autres encore choisissent simplement de taire au plus profonds d'eux-mêmes ce qu'ils ressentent car ils comprennent d'emblée que leur amour sera impossible... Cette constatation étant notamment sublimée par la manière dont la mangaka met sur un pied d'égalité toutes les formes d'amours qu'elle évoque, car ici l'important n'est pas qu'il s'agisse d'hétérosexualité ou d'homosexualité masculine comme féminine, mais bien de ce que ces jeunes ressentent envers une personnes en particulier, sans forcément s'enfermer dans une case.

Enfin, pour parfaire tout ça, il y a le style bien mûri de Yoshida. Une certaine poésie teintée de mélancolie se dégage de ses récurrentes références artistiques, notamment à Arthur Rimbaud et Paul Verlaine dont quelques lignes de poèmes riches de sens ouvrent chaque chapitre, ou encore à Erik Satie qui est cité plusieurs fois là aussi de façon sensée. Soulignons aussi son écriture où aucun mot n'est de trop, où la mangaka dévoile juste ce qu'il faut pour ensuite laisser place aux non-dits qui en disent longs, afin de nous laisser sonder les zones grises des personnages, tout cet aspect étant par ailleurs très, très bien respecté et rendu par la traduction de Nathalie Lejeune, impeccable. Enfin, à travers ses designs fins, sa manière de jouer sur les silences qui disent tout lorsque qu'elle s'attarde sur des regards ou des gestes, et sa façon de saisir un instant et une atmosphère dans ses découpages (les premières pages suffiront à vous en convaincre) Yoshida brille dans sa narration visuelle et dans ses suggestions.

Que dire d'autre ? Eh bien, ni plus ni moins que Lovers' Kiss est le bijou que l'on attendait. L'oeuvre n'a rien volé de sa réputation, est d'une finesse et d'une maîtrise rares autant dans son écriture que dans ses non-dits, ou dans la profondeur et les sujets dégagés par les personnages en un nombre limité de pages... Il s'agit bel et bien d'un incontournable absolu de sa catégorie.

Enfin, côté édition, en plus du format perfect et de l'excellente traduction comme déjà dit, on peut profiter d'une belle jaquette bien pensée puisqu'elle combine soigneusement celles des deux tomes de la première édition japonaise, d'un lettrage propre de la part d'Acrobat, d'une belle première page en couleurs sur papier glacé, et d'une impression convaincante effectuée sur un papier souple et suffisamment opaque.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
19 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs