Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 07 Novembre 2022
Jusqu'à cette année, le nom de Shima Shinya nous était totalement inconnu. Artiste japonaise à la patte hybride, du fait de sa forte expérience en Angleterre, pays où elle s'est formée, la mangaka nous a d'abord été présentée en qualité de scénariste du manga Star Wars – La Haute République : Un équilibre fragile il y a quelques mois. Un souvenir de lecture loin d'être indélébile, mais celui de l'autrice pourrait bien le devenir avec ce Lost Lad London, œuvre en trois tomes dont le premier opus nous est proposé en ce mois de novembre 2022.
Shima Shinya devient mangaka professionnellement éditée dès 2018 avec l'histoire courte Light & Specs. C'est l'année suivante qu'elle lance sa première série, ce fameux Lost Lad London, dans les pages de la revue Comic Beam appartenant au groupe Kadokawa Shoten. L'aventure s'achèvera en 2021 après trois tomes. Puis, l'artiste lancera d'autres projets en plus de sa contribution à Star Wars : la série Glitch en 2021, Daddy Steady Go! la même année, ainsi que le one-shot Gutsy Gritty Girl. Un beau programme pour ce nouveau talent qui, avec un simple premier volume, parvient à se saisir de notre intérêt.
Dans ce polar, Al Adley est un étudiant londonien studieux, pas associal mais loin d'être un amoureux des relations humaines. En colocation avec un ami pour lequel il rédige des dissertations contre rémunération, son quotidien paisible bascule le jour du meurtre du maire de la ville. Peu de temps avec le drame qui secoue la capitale, il retrouve dans la poche de sa veste un couteau teinté de sang. Coup du hasard : C'est à ce moment que donne à sa porte Ellis, un inspecteur de police bourru qui a connu ses propres tragédies familiales. A la recherche du moindre indice sur cette affaire, il tombe des nues quand Al lui avoue son effrayante trouvaille. Conscient que le jeune homme sera le suspect numéro un s'il se rend au commissariat, l'enquêteur lui propose un marché qui pourrait le sortir de ce mauvais pas : L'épauler afin de découvrir l'identité du véritable assassin. Car il n'est pas dit que celui-ci ait glissé son arme dans la poche d'Al par hasard...
Lost Lad London, c'est donc ce récit policier tournant autour d'un duo original composé d'un policier désabusé et d'un étudiant qui semble l'être tout autant. Deux personnalités un poil différentes mais qui se rejoignent dans leur rapport aux autres, et qui auront donc de quoi s'apporter tout le fil de l'histoire. Leur association n'a rien d'un hasard, aussi la mangaka commence à nous raconter quelque chose à leur sujet, par de petites pistes lancées ci et là, sans totalement embrasser cette relation pour l'instant. Tombera-t-on dans le schéma d'un Ellis jouant les pères de substitution et Al le reflet de l'enfant que le policier semble avoir perdu ? C'est à voir, mais toujours est-il que cette alchimie bien dosée suffit à mener un binôme efficace et attachant.
A côté, ce premier opus narre une enquête qui ne cherche pas forcément à déstabiliser par sa forme. C'est néanmoins par le rôle d'Al dans cette sombre affaire que le récit s'enrobe d'un intérêt indéniable, développant ainsi un double mystère. La courte série ne doit pas uniquement nous dévoiler le meurtrier mais aussi établir le lien avec le jeune protagoniste, ce qui mènera forcément aux leitmotiv de l'assassin. L'idée est d'autant plus intéressante que le garçon gagne en richesse au fil des pages, passant pour quelqu'un de désintéressé à un individu en proie à de multiples émotions allant de la détresse à la curiosité de connaître son lien dans ce grand scénario. Et parce que cette évolution se fait aussi par son rapport avec Ellis, on se demande forcément dans quelle mesure le policier sera décortiqué, à son tour, dans cette histoire.
Mais si le récit se saisit de nous, c'est tant par cet équilibre dans une enquête classique mais solide avec ces deux figures attachantes que par la patte de Shima Shinya. Quelqu'un dévorant exclusivement du manga aura de quoi être dérouté par ces aspirations visuelles qui tranchent totalement avec ce que l'on trouve dans la bande-dessinée japonaise. Et pour cause, la mangaka ayant fait ses armes en Angleterre, c'est un style aux multiples influences qui marque son identité. Cette esthétique est d'autant plus pertinente qu'elle aborde un cadre hétéroclite et se déroule dans un territoire européen, ce qui est à la fois plus parlant pour nous tout en créant une rupture avec certaines habitudes de lectures. L'art de l'artiste est une qualité indéniable, renforcée par ses idées narratives qui ne manquent d'enrichir l'âme de ce début de série. Shima Shinya brise les barrières et s'imprègne de divers codes de la BD à travers le monde, donnant une certaine unicité à Lost Lad London.
Le manga, sur ses débuts, ne cherche nullement à renouveler son genre. A la place, la mangaka livre un thriller solide qui pique notre curiosité quand il faut grâce à une maîtrise du rythme, tout en développant des expressivités artistiques et narratives de grandes richesses.
Côté édition, Ki-oon livre une belle copie de ce titre chouchouté : Grand format, papier épais de qualité, présence des pages couleur, et une traduction de Sébastien Ludmann en phase avec les différentes auras des personnages, le tout appuyé par l'adaptation graphique propre et solide de Hinoko.