Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 06 Janvier 2025
Auteur officiant dans le doujinshi depuis une vingtaine d'année au sein du cercle amateur Kansai-Orange, et que certains d'entre vous connaissent peut-être pour ses parodies coquines autour de Genshiken, Yotsuba&! ou encore La fille du temple aux chats, Kei Arai a su se faire une très solide niche de fans dans le domaine, surtout grâce à son dessin facilement identifiable. Fort de cette popularité, il a alors pu s'offrir sa toute première publication professionnelle en 2015, chez l'éditeur Core Magazine, avec le recueil Houkago Initiation (littéralement "Initiation après l'école" ), rebaptisé simplement en "Leçons particulières" en France lors de sa publication dans notre langue par Niho Niba en mars 2024.
Ce recueil regroupe des histoires courtes qui furent initialement prépubliées au Japon dans le magazine Comic Megastore Alpha. Au nombre de 7 (dont une en deux chapitres) dans leur pays d'origine, elles ne sont que 6 dans la version française, l'éditeur ayant préféré amputer l'ouvrage de l'une de ses histoires ( "Yugame/Distorted Love" ), probablement après l'avoir jugée trop délicate à faire paraître en France, même si l'on peut se demander un peu pourquoi en y jetant un oeil sur le net (pas de loli ni de shota en vue, en tout cas rien de plus alarmant que ce que l'on a pu voir dans pas mal d'autres histoires sorties dans notre pays sans problème). Au final, au lieu d'avoir un recueil d'un peu plus de 200 pages, on a droit à un livre de moins de 180 pages, ce qui semble un peu maigrichon pour un ouvrage vendu 13,99€, plus encore quand on constate que Niho Niba persiste dans l'absence de sous-titres pour les onomatopées.
Mais bref, passons au contenu du recueil en lui-même, qui offre des récits assez divers, dont le premier, ne faisant que huit pages mais étant tout en couleurs, nous présente simplement les activités coquines et a priori lucratives d'une jeune étudiante qui se prostitue quand elle n'est pas en cours ou avec ses amis. Par la suite, on découvrira une fille devenue la chienne (c'est elle qui le dit, et ça lui convient apparemment très bien) de ses deux amis d'enfance qui sont frères, une présidente du conseil des élèves pas si sérieuse que ça puisqu'elle s'adonne à bien des pratiques coquines et va faire d'un puceau de sa classe son nouveau jouet, l'attrait d'un jeune garçon expérimenté pour sa nouvelle belle-mère chez qui il va réveiller bien des vices (bien plus qu'il ne le pensait), la rencontre d'un patron de café avec une mystérieuse fugueuse qui dit être l'oiseau du bonheur à même de faire prospérer son établissement, et les retrouvailles intenses d'un frère et d'une soeur qui se sont toujours aimés mais que le destin à éloignés.
Entre l'étudiante qui se prostitue pour pas cher, l'amie d'enfance, la présidente du conseil des élèves cachant ses vices derrière son apparence stricte, la belle-mère, la fugueuse énigmatique et la frangine, Kei Arai surfe sur des fantasmes très classiques, au fil desquels il joue efficacement sur certains petits fétiches (à l'image des lunettes de la présidente du conseil) et surtout sur un assez fort parfum de vice (notamment les rapports de soumission/domination des 2e et 3e histoires, d'autant plus sympathiques que la 2e propose une héroïne dominée et la 3e une héroïne dominante), d'immoralité totale (l'adultère beau-fils/belle-mère) et de tabou (l'inceste du dernier récit). L'auteur ne s'arrête toutefois pas tout à fait là puisque, dans certains cas, les histoires vont finir par s'orienter vers des finalités plus inattendues, à l'image de la part de folie s'emparant de la belle-mère, ou de la situation triste et crue que cache en réalité le cas de la mystérieuse fugueuse. Qui plus est, tout ceci permet au mangaka d'amener une certaine diversité dans les ébats, que ceux-ci soient consentants ou non, simple en couple ou avec plus voire beaucoup plus de partenaires: on aura droit à suffisamment de choses différentes dans les pratiques, et c'est quelque chose que Kei Arai met assez bien en valeur à travers son dessin un peu rond, étrangement doux malgré le côté assez brutal et malsain de certaines situations, et porté par des figures féminines qui ont toutes un charme assez propre en termes de visage, d'expressions, de coiffure, de formes et d'accessoires.
Mais est-ce que tout ceci suffit à rendre ce recueil vraiment très bon ? Eh bien, on aurait tendance à dire que non, car malgré le style assez personnel de l'auteur qui a réellement du charme, l'ouvrage montre quelques limites. On pourrait encore revenir sur l'absence d'une des histoires qui tronque le recueil, ou on pourrait éventuellement évoquer les censures partielles (mosaïques dans la première histoire en couleurs, et barres noires dans les histoires suivantes) qui sont signalées via le logo "censuré" de l'éditeur, quand bien même ce logo n'est pas assez clair pour un public qui ne serait pas au courant. Mais ce qui a plutôt tendance à chagriner, c'est la difficulté que Kei Arai montre parfois à bien condenser sa fluidité narrative en un nombre limité de pages: certaines histoires abordent beaucoup trop vite et sans transitions quelques rebondissements pourtant importants, à commencer par le twist dans l'histoire de la fugueuse "porte-bonheur".
On gardera donc de Leçons particulières le souvenir d'un recueil incomplet et un brin maladroit, et qui ne manque pourtant pas du tout de charme dans son genre. Voila qui a de quoi, dans tous les cas, donner envie de voir d'autres ouvrages de Kei Arai en France. Enfin, concernant l'édition française, si l'on excepte tout ce qu'on a déjà pu dire dessus précédemment, il faut aussi y souligner les huit premières pages en couleurs sur papier glacé un peu fin mais souple et suffisamment opaque, l'impression très honnête, le lettrage propre de Jef.Mod, et la traduction assez claire de la part de Willem Fonteneau du Studio Charon.