Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 17 Janvier 2024
Ce 4e volume s'ouvre sur une scène assez effroyable, que Shôhei Manabe prend soin d'amener de façon pleine d'impact: dans un appartement très mal rangé où l'on voit des taches de sang, une jeune fille au corps tatoué et aux bras bourrés de scarification est assise sur un lit, tenant un smartphone à la main, avec au pied du lit le corps sans vie de l'homme qu'elle a poignardé de plusieurs coups de couteau. Juste après, on retrouve celle qui s'appelle Shizuku Kasagi en prison, en train d'être interrogée par son avocat Taiza Kujô qui lui demande pourquoi elle a commis ce Meurtre. Tout en répondant que le défunt a changé sa vie, lui a offert de la valeur mais ne la voyait tout compte fait que comme un bien de consommation, elle explique qu'elle devait le tuer pour enfin redevenir elle-même. Mais afin de mieux comprendre ce que cet homme lui a fait, comment il l'a amadouée puis exploitée jusqu'à la pousser à l'acte meurtrier, Shizuku devra prendra soin de raconter toute son histoire, et c'est précisément ce dont il est question tout au long de ce tome.
Tandis que l'on connaît déjà l'issue macabre de tout ceci dès les premières pages, on suit donc ensuite, forcément avec intérêt et crainte, un long retour en arrière nous faisant découvrir le parcours de Shizuku, un parcours véritablement atroce entre ce qu'elle a subi dès ses 13 ans, les séquelles mentales que ça lui a laissées, l'indignité de ses parents face à ça (aaah, le fameux qu'en-dira-t-on apparemment plus important que la vie humaine elle-même), et les égarements qui en ont découlé. On entrevoit alors bien ce qui a pu faire de Shizuku, arrivée à ses 18 ans, une fille peu confiante en elle, qualifiée d'idiote et d'handicapée à cause de ses séquelles psychologiques, délaissée par tout le monde. Du moins, jusqu'à ce que le dénommé Shûto, un beau gosse, n'exploite alors son manque de confiance, son sentiment de ne pas exister et sa naïveté dans un but bien précis et évidemment tout sauf glorieux.
Vous l'aurez sans doute déjà compris, avec ce nouvel arc, Shôhei Manabe va aborder le sujet difficile des violences (principalement sexuelles, mais pas que) faites aux femmes et de la façon dont elles peuvent être manipulées pour atterrir dans les sordides univers de la prostitution et de l'industrie du porno. Le mangaka s'applique à nous faire ressentir les rouages qui s'emparent petit à petit de la pauvre Shizuku, chose d'autant plus aisée pour ses prédateurs qu'elle est déjà affaiblie mentalement suite à tout ce qu'elle a vécu, à tel point qu'elle voit son arrivée dans le porno comme un moment salvateur puisqu'on lui accorde enfin de l'attention, alors que tous les hommes autour d'eux ne la voient que comme un produit de consommation et comme un moyen de faire de l'argent. Alors même que le mangaka reste sur un ton très neutre et implacable, il est assez difficile de ne pas être chamboulé voire bouleversé par ce que cette jeune fille traverse et par son absence totale de repères affectifs (son père, sa mère et le nouveau compagnon de celle-ci étant eux aussi de sacrées ordures plus intéressés qu'autre chose par l'argent des dommages et intérêts).
Pourtant, à cette étape de sa vie, rien ne laisserait présager que Kujô deviendra un peu plus tard l'avocat de Shizuku, car il ne semble avoir aucunement le profil pour ça et le confirme encore dans ce tome via ses échanges avec Karasuma, son associé, mais aussi avec Reiko Kameoka, une vieille connaissance de fac devenue une importante avocate luttant activement contre l'industrie du porno et contre les violence faites aux femmes, et que notre anti-héros qualifie lui-même de féministe radicale. Entre ces trois personnages ont lieux quelques échanges intéressants, mettant notamment en avant des lois trop indulgentes, des visions différentes du travail d'avocat et des interrogations assez fortes et très actuelles (les lois sont censées traiter tout le monde de façon égale, mais est-ce tout à fait le cas si elles ont été faites dans le cadre d'un régime patriarcal ?)
On ne ressort alors pas indemne de ce volume éprouvant, au fil duquel Manabe met encore le doigt sur bien des errances de la société. Inutile de dire que l'on attendra avec un grand intérêt la suite de cette partie.